Qu'est-ce que la FNSEA, le syndicat qui porte la colère des agriculteurs ?
La FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, porte-voix des agriculteurs. Le principal syndicat agricole est en première ligne pour exprimer la colère de la profession. Il est reçu, avec les Jeunes Agriculteurs (JA), par le Premier ministre, lundi 22 janvier. Plus tôt, son président, Arnaud Rousseau, a promis sur France Inter que "dès aujourd'hui et toute la semaine et aussi longtemps qu'il sera nécessaire, un certain nombre d'actions vont être menées". Que représente ce syndicat agricole, souvent qualifié de "puissant", qui inquiète l'exécutif ? Éléments de réponse avec Jean-Noël Jouzel, sociologue, spécialiste du monde agricole. Il est directeur de recherche au CNRS, rattaché au Centre de sociologie des organisations à Sciences Po Paris, et auteur du livre L'Agriculture empoisonnée, Le long combat des victimes des pesticides.
La FNSEA et les JA, syndicats historiques et hégémoniques
La FNSEA, créée en 1946, "historiquement, c'était un porte-parole quasi hégémonique de la profession", rappelle Jean-Noël Jouzel. Aujourd'hui encore, c'est le syndicat professionnel majoritaire du secteur agricole en France, qui remporte quasi systématiquement les nombreuses élections en chambres d'agriculture, en faisant liste commune avec les Jeunes Agriculteurs. En 2019, lors des dernières élections, ils obtiennent plus de 55% des voix.
La FNSEA revendique 212 000 adhérents. Ils sont 50 000 chez les Jeunes Agriculteurs, syndicat qui existe depuis 1957 et qui, comme son nom l'indique, regroupe les moins de 35 ans. Les Jeunes Agriculteurs sont "l'antichambre de la FNSEA, selon le sociologue, "souvent c'est chez les Jeunes Agriculteurs que se recrutent les futurs élus de la FNSEA".
Du fait de son ancienneté et de sa représentativité, la FNSEA est un gros syndicat qui "a des moyens humains et financiers, la capacité à se mobiliser sur tous les dossiers, estime Jean-Noël Jouzel. C'est un mouvement de centre droit qui a toujours été associé aux politiques agricoles." Ainsi, la modernisation agricole de ces dernières décennies est passée "par une alliance objective entre le ministère et ce syndicat, et il en reste une trace aujourd'hui, avance-t-il. Cela reste le partenaire vers lequel le ministère se tourne spontanément quand il y a des problématiques posées en agriculture. Quand il faut trouver une solution, on essaye d'abord avec la FNSEA."
La FNSEA, un syndicat puissant qui a la tolérance de l'exécutif
Arnaud Rousseau, président de la Fédération depuis avril 2023 et lui-même céréalier, était invité à Matignon lundi, cinq jours après le début des blocages des autoroutes en France. Comment expliquer cet accueil par le Premier ministre en plein mouvement contestataire ? "C'est une histoire longue, qui se rejoue à chaque fois, ce n'est pas inédit et les 30 dernières années sont parsemées d'actions coups de poing qui n'empêchent pas la FNSEA de rester le partenaire privilégié du gouvernement", analyse Jean-Noël Jouzel.
"L'agriculture n'est pas un métier comme un autre et cela se traduit par des spécificités politiques et notamment celle d'avoir cette tradition de manifestation assez spectaculaire, assez dure, qui n'empêche pas que les liens institutionnels restent très forts entre ministère et FNSEA."
Jean-Noël Jouzel, sociologue, directeur de recherche au CNRSà franceinfo
Alors que l'autoroute A64 est toujours bloquée par des agriculteurs lundi, au niveau de Carbonne en Haute-Garonne, le ministre de l'Intérieur a indiqué qu'"il n'est pas prévu d'évacuation par les forces de l'ordre […] puisqu'il n'y a pas de dégradation sur ce site". Jean-Noël Jouzel relève cette "capacité historique qu'ont les agriculteurs, ou leur porte-paroles comme la FNSEA, à faire des manifestations qui flirtent avec la limite et qui sont plutôt moins durement réprimées que les équivalents dans d'autres secteurs." Les agriculteurs bloquent des routes, répandent du fumier, brûlent de la paille, "une violence symbolique qui peut être parfois plus grave", souligne Jean-Noël Jouzel. Mais "c'est plus compliqué politiquement d'aller réprimer très durement ce genre de manifestations, assure-t-il. Et c'est aussi une source de pouvoir pour la FNSEA qui sait que les sanctions seront limitées, notamment parce que l'agriculture est un métier très difficile, sous pression. Et voilà, la FNSEA a toujours beau jeu de dire qu'il ne faut pas en rajouter."
Contrairement à la FNSEA et aux JA, reçus à Matignon lundi, d'autres syndicats agricoles existent en France mais ils ne bénéficient pas de la même attention du gouvernement. La Coordination rurale, créée en 1992 et comptant 15 000 membres, revendique des actions notamment près d'Agen dans le Lot-et-Garonne, mais regrette de ne pas avoir été invitée. La Confédération paysanne, qui compte 10 000 membres, n'a pas non plus été conviée à Matignon. "Ils sont minoritaires mais ils existent", rappelle Jean-Noël Jouzel.
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