Cinq réponses à votre beau-père Jean-Louis, qui ne voit pas en quoi la crise grecque le concerne
Le ministre grec des Finances a confirmé, mardi, qu'Athènes ne paierait pas avant la fin de la journée l'échéance de 1,5 milliard d'euros qu'elle doit au FMI. De quoi plonger un peu plus le pays dans la crise, ce qui n'a pas l'air d'inquiéter Jean-Louis. A tort ?
Avec le début de la canicule, votre beau-père Jean-Louis a pris un coup de chaud, dimanche midi. En resservant du beaujolais à toute la famille entre la poire et le dessert, il s'est embrasé sur la Grèce. "C'est sûr, c'est pas avec leur résiné imbuvable qu'ils vont relancer leur commerce extérieur !"
Et le tourisme ? Ne le lancez pas sur le sujet : il y a vingt ans, il a négocié en Crète, à un prix imbattable, un séjour dans une "chambre chez l'habitant les pieds dans l'eau". "Trente drachmes par jour l'appartement à l'époque ! Tu te rends compte ? Aujourd'hui, t'as même plus un transat sur une plage de galets à ce prix !" Bref, il verrait d'un bon œil le retour à l'avant-euro dans les îles des Cyclades. Comment lui expliquer que le drame grec peut avoir des répercussions en France ?
"La Grèce hors de l'euro ! Vive le Grexit !"
"A peine 11 millions d'habitants, moins de 2% de la zone euro, et on nous bassine toute la journée avec ça ? Dehors les Grecs !" Jean-Louis ne chipote pas : qu'Athènes sorte de la zone euro au plus vite, et tout sera réglé. Vive le Grexit !
Pourtant, il devrait se méfier : ce qui arrive en Grèce pourrait avoir des répercussions sur la France. Quelle que soit l'issue de la crise grecque, un renforcement des mesures régissant les règles dans la zone euro est déjà acté. Avec des décisions qui lui plairont... ou pas, concernant les pays jugés en dehors des clous. A propos de dette d'ailleurs, celle de la France, publiée en graphique par un journaliste du Monde, s'approche des 100% du PIB. Jean-Louis sera-t-il prêt à se voir imposer des économies sur son train de vie ou les services publics par l'eurogroupe ?
Elle monte, elle monte... La dette publique de la France dépasse désormais 97% du PIB ! http://t.co/Js6ZSsGrum pic.twitter.com/TgUVSysxtZ
— Denis Cosnard (@DenisCosnard) 30 Juin 2015
"De toute façon, la Grèce ne remboursera pas. Autant arrêter les frais..."
Bien vu, Jean-Louis. Plus personne n'envisage sérieusement que la Grèce rembourse entièrement sa dette. Dans une note publiée sur Twitter, l'ancien directeur du FMI Dominique Strauss-Kahn suggère d'ailleurs une "réduction nominale massive de la dette [grecque] à l'égard des institutions publiques". "En réalité, comme il y avait peu de chances d'être payé, on allait de toute façon rééchelonner la dette grecque", explique l'économiste Alexandre Delaigue, qui tient le blog Classe Eco sur francetv info.
Les négociations ont buté sur cette question. Le Premier ministre grec Alexis Tspiras voulait que tout soit mis sur la table avant le 30 juin, y compris une réduction de la dette. Les créanciers souhaitaient, eux, la renvoyer à plus tard, puis ont affirmé qu'ils étaient prêts à aborder cette question, au moment où les négociations étaient rompues.
Si la Grèce se retrouve en défaut de paiement, c'est-à-dire dans l'incapacité de régler ses échéances de dette, quelle sera la facture pour les Français ? "Un peu plus de 68 milliards d'euros", assure au Figaro Philippe Waechter, économiste en chef chez Natixis Asset Management. Soit entre 3 000 et 4 000 euros par foyer fiscal, résume le quotidien. Jointe par francetv info, Agnès Benassy-Quéré, professeure à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et présidente déléguée du Conseil d’analyse économique (CAE), juge que l'engagement total des Français vis-à-vis de la Grèce est "de l'ordre de 1 000 euros" par personne. Mais "à court terme, il ne va rien se passer", rassure-t-elle. Car le contribuable a, en fait, déjà payé. Ce qu'il attend, c'est un remboursement.
"Et puis, la France ne sera pas touchée !"
Belle assurance Jean-Louis ! Mais cela tranche avec le sentiment qui domine chez les économistes. Que signifierait la sortie de la Grèce de la zone euro ? "On fait l'hypothèse que tout peut bien se passer, fulmine Philippe Waechter, contacté par francetv info. Mais ce n'est pas aussi simple que ça ! La zone euro, c'est une construction qui devait aboutir à une zone monétaire intégrée. Cet aboutissement, on l'écarte et tout ce qu'on a construit est remis en cause. Quelles sont les nouvelles règles pour les investisseurs ? On ne sait pas très bien."
"Cette question de sortie de la Grèce de la zone euro génère une incertitude supplémentaire. Les investisseurs risquent d'avoir un comportement attentiste qui va pénaliser l'activité, donc la croissance et l'emploi, ajoute-t-il, avant de comparer l'économie européenne à une partie de Jenga. On assure que retirer la Grèce du jeu n'aura pas d'incidence sur l'économie du reste de l'Europe. En est-on sûr ? Ce pays est-il un morceau du haut ou du bas de la construction ?" Pour lui, cette incertitude intervient au mauvais moment alors que "l'économie européenne, tout comme celle de la France, redémarrent".
Que risque-t-il de se passer, concrètement ? "Si un pays sort de l'euro, cela va provoquer l'idée qu'il n'y a plus d'euros identiques, analyse Alexandre Delaigue. Des pays comme le Portugal vont constater des sorties lentes d'argent. Ceux qui ont des fonds à placer vont se dire qu'il est plus sûr de les orienter vers des banques allemandes. La France n'est pas dans cette situation pour l'instant, mais des gens qui ont de l'argent vont tout de même réfléchir à la meilleure façon de le préserver". Lundi 29 juin, les investisseurs pariaient déjà contre les dettes portugaises ou italiennes. "Les obligations des Etats du sud de l'Europe plongent, celles des Etats-Unis et de l'Allemagne profitent de leur statut de valeur refuge", relevait, lundi, le quotidien Les Echos. Un effet domino en vue ?
"Les Grecs vivent grassement à mes crochets"
Jean-Louis, qui en veut à l'Allemagne depuis la défaite des Bleus à Séville lors de la Coupe du monde en 1982, parle pourtant comme le journal allemand Bild. "Le monde selon Bild, est simplissime, résumait Les Echos. D’un côté, des Grecs qui boivent beaucoup d’ouzo, en touchant des retraites dorées ou en fraudant le fisc sur leurs îles ensoleillées. (...) De l’autre, des Allemands 'qui se lèvent tôt le matin, travaillent toute la journée' et sont depuis des années la vache à lait de l’Europe par les impôts qu’ils paient."
La réalité est moins joyeuse pour les Grecs. Ils subissent depuis cinq ans une austérité aux conséquences ravageuses : un Grec sur quatre n'a plus de sécurité sociale. Les retraites et salaires ont été diminués drastiquement, et, selon La Tribune, "la perte de revenu disponible a atteint 40%". Alors que le bon élève européen des dépenses publiques, note AlterEco, était la Grèce en 2014.
Le bon élève européen des dépenses publiques en 2014 ? La #Grece [RAPPEL] http://t.co/XjIhczhwTL pic.twitter.com/rRULYr2ejJ
— AlterEcoPlus (@AlterEcoPlus) 29 Juin 2015
Face à un chômage abyssal, les jeunes Grecs sont confrontés à la tentation de l'exil. De quoi entraîner une vraie fuite des cerveaux à l'étranger, d'abord au Royaume-Uni et en Allemagne.
Le problème ne vient évidemment pas d'une supposée paresse congénitale des Grecs, mais de la compétitivité du pays : depuis le début de la crise, "les salaires ont baissé de 25%, et ça n'a pas rendu l'économie compétitive, note Alexandre Delaigue. Il faut des investissements, mais si le gouvernement grec est coupé des marchés, ce ne sera pas possible." Agnès Benassy-Quéré pointe aussi du doigt la responsabilité d'un "Etat défaillant' sous tous les gouvernements qui se sont succédé. Celui d'Alexis Tsipras, Syriza, n'est, lui, au pouvoir que depuis six mois.
"Avec du cash là-bas, tu es le roi du pétrole cet été"
Un point pour Jean-Louis ! Arriver avec du liquide et des euros dans les îles grecques alors que les banques sont fermées et les retraits limités (mais pas pour les touristes), c'est, en effet, l'assurance d'être "le roi du pétrole". A condition d'avoir pris ses précautions : comme un certain nombre de distributeurs risquent de n'avoir plus de billets, les touristes ont intérêt à se munir d'une forte somme, conseille The Guardian (en anglais).
En pratique, poursuit le quotidien britannique, les vacances sous le soleil de Paros ont peu de chances d'être gâchées par la crise grecque, sauf si on les passe sur la place Syntagma à Athènes, lieu privilégié des manifestations.
Ce que The Guardian ne dit pas, c'est qu'il y aura sûrement moyen d'obtenir des ristournes avec du cash, alors que les Grecs n'ont pas le droit de sortir plus de 60 euros par jour. Qui dit argent liquide dit aussi possibilité de frauder le fisc. Car, franchement, qui a envie de payer une TVA à 23% sur sa bière à Mykonos, comme le proposent les créanciers de la Grèce ?
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