Coronavirus : temps de travail, congés, RTT... Comment les ordonnances chamboulent le droit du travail
L'un de ces trois textes porte notamment sur les "mesures d'urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos", qui permettent notamment d'allonger, ponctuellement, dans certains secteurs, la durée de travail jusqu'à 60 heures hebdomadaires.
Un record "historique" sous la Ve République. Quelque 25 ordonnances ont été adoptées en Conseil des ministres mercredi dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et inscrites au Journal officiel jeudi 26 mars. "C'est un effort long auquel nous allons tous ensemble faire face", a estimé le Premier ministre, Edouard Philippe, en évoquant la crise aux multiples aspects (sanitaire, économique, social...) provoquée par l'épidémie de coronavirus.
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Parmi les trois ordonnances qui réforment en partie le droit du travail, l'une porte spécifiquement sur les "mesures d'urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos". Elle permet, entre autres, d'allonger la durée du temps de travail jusqu'à 60 heures hebdomadaires dans certains secteurs, ou encore d'imposer au salarié des jours de vacances ou de RTT, en dérogeant aux règles édictées par le Code du travail. Ces mesures peuvent s'appliquer au plus tard jusqu'au 31 décembre 2020, ce qui fait craindre aux syndicats un éventuel usage au-delà de la crise sanitaire actuelle. Passage en revue.
Temps de travail : jusqu'à 60 heures par semaine
Ce qui est prévu. L'article 6 dispose que "dans les entreprises relevant de secteurs d'activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation et à la continuité de la vie économique et sociale" :
- "La durée quotidienne maximale de travail (...) peut être portée jusqu'à douze heures"
- "La durée quotidienne maximale de travail accomplie par un travailleur de nuit (...) peut être portée jusqu'à douze heures, sous réserve de l'attribution d'un repos compensateur égal au dépassement de la durée prévue à ce même article"
- "La durée du repos quotidien (...) peut être réduite jusqu'à neuf heures consécutives, sous réserve de l'attribution d'un repos compensateur égal à la durée du repos dont le salarié n'a pu bénéficier"
- "La durée hebdomadaire maximale (...) peut être portée jusqu'à soixante heures"
- "La durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives (...) ou sur une période de douze mois", pour certains types d'entreprises, "peut être portée jusqu'à quarante-huit heures"
- "La durée hebdomadaire de travail du travailleur de nuit calculée sur une période de douze semaines consécutives (...) peut être portée jusqu'à quarante-quatre heures"
Ces dérogations pourront notamment s'appliquer dans "l'énergie", "les télécoms", "la logistique", "les transports" ou encore "l'agroalimentaireé", a précise à franceinfo l'entourage de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. La possibilité de travailler 60 heures était notamment réclamée avec insistance par le principal syndicat agricole, la FNSEA, pour assurer les récoltes dans les semaines qui viennent.
Ce que cela change. La durée de travail effectif hebdomadaire ne doit désormais pas dépasser les deux limites suivantes : "48 heures sur une même semaine et 44 heures par semaine en moyenne sur une période de douze semaines consécutives." Mais il existe déjà des exceptions : "On a toujours pu déroger dans certains cas à la durée hebdomadaire, en particulier dans le secteur de la sécurité", note auprès de franceinfo Jean-François Foucard, secrétaire national de la CFE-CGC. Il relève aussi que tout le monde est en "mode crise" et que des mesures sortant de l'ordinaire peuvent s'imposer. "A priori, ces mesures sont bornées pour une durée courte, mais il faut faire attention, met-il tout de même en garde. Les salariés ne tiendront pas si on leur demande d'enchaîner trois semaines à 60 heures. A ce rythme-là, ils s'écroulent."
Sur RTL, le secrétaire général de Force ouvrière (FO), Yves Veyrier, se montrait plus virulent, mercredi, estimant que ces dérogations horaires poussées jusqu'à 60 heures possibles relevaient de l'"hérésie" : "C'est une hérésie, parce que dans ces secteurs essentiels, on a besoin justement de ménager les salariés qui sont mobilisés. On risque d'ajouter au risque d'épidémie un risque de fatigue, d'épuisement, par des temps de travail plus importants et des temps de repos réduits." En effet, même si la mesure est moins remarquée que les potentielles 60 heures hebdomadaires, les employeurs pourront aussi diminuer le temps de repos minimal entre deux journées de travail, et le ramener de onze à neuf heures.
Congés payés : le patron peut imposer la prise de six jours, sous conditions
Ce qui est prévu. L'article 1er de l'ordonnance relative aux congés payés, à la durée du travail et aux jours de repos prévoit que l'employeur peut "imposer la prise de congés payés ou modifier les dates d'un congé déjà posé, dans la limite de six jours ouvrables, soit une semaine de congés payés, en respectant un délai de prévenance d'au moins un jour franc". Il faut néanmoins qu'il obtienne au préalable "un accord d'entreprise, ou à défaut un accord de branche", comme l'a notamment réclamé la CFDT. Le texte précise que "la période de congé imposée ou modifiée en application du présent article ne peut s'étendre au-delà du 31 décembre 2020".
Toujours sous réserve d'accord d'entreprise ou de branche, l'employeur peut également "fractionner les congés sans être tenu de recueillir l'accord du salarié" et "à fixer les dates des congés sans être tenu d'accorder un congé simultané à des conjoints ou des partenaires liés par un pacte civil de solidarité travaillant dans son entreprise". Le gouvernement présente cette mesure comme un "effort raisonnable" demandé aux salariés alors que l'Etat "met en place un plan exceptionnel pour sauver l'emploi et éviter les licenciements", notamment par ses mesures de chômage partiel.
Ce que cela change. Jusque-là, il n'était pas possible, pour l'employeur, de modifier les dates d'un congé déjà posé par le salarié. Il pourra désormais le faire, dans la limite d'une semaine. Selon le ministère du Travail, sont concernés les congés payés 2019-2020, qui doivent donc être pris d'ici le 31 mai.
"C'est intéressant pour l'Etat, constate Jean-François Foucard, parce que ça évite que les gens soient au chômage partiel. Ce sera autant de gagné pour les finances publiques". Il note aussi que "les entreprises voudront éviter que tout le monde parte en même temps, au moment où ca redémarrera".
RTT et repos hebdomadaire : l'employeur peut les imposer
Ce qui est prévu. Selon l'article 2 de cette même ordonnance, "l'employeur peut, sous réserve de respecter un délai de prévenance d'au moins un jour franc" :
- "Imposer la prise, à des dates déterminées par lui, de jours de repos au choix du salarié acquis par ce dernier"
- "Modifier unilatéralement les dates de prise de jours de repos"
Ce que ça change. Avec l'accord de son employeur, le salarié pouvait jusqu'à maintenant poser les jours de RTT (réduction du temps de travail) comme il le souhaitait. Avec les dispositions inscrites dans ce texte, l'employeur pourra, dans les prochains mois, imposer la prise de jours de RTT, modifier les jours de repos et également imposer des prises de jour du compte épargne temps (CET).
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