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Pourquoi il faut défendre bec et ongles l'idée d'un revenu de base

Cette allocation universelle séduit de plus en plus. La Finlande va l'expérimenter en 2017, et les Suisses organisent une votation sur le sujet dimanche.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La Finlande a annoncé qu'elle abandonnait son expérience de revenu universel qui a concerné 2000 personnes dans ce pays de l'Union européenne.  (CITIZENSIDE/GERARD BOTTINO / AFP)

Le revenu de base n'est plus une utopie. Cette allocation universelle, individuelle et inconditionnelle, la Finlande va l'expérimenter en 2017, à hauteur de 800 euros par mois. La Suisse organise une votation, le 5 juin 2016, "pour ou contre le versement d'un revenu minimal [de 2 500 francs suisses, soit 2 250 euros] à tous ses habitants, qu'ils travaillent ou non", explique le quotidien helvète Le Temps

En France, dans son rapport sur les minima sociaux, remis le 18 avril au gouvernement, le député socialiste Christophe Sirugue consacre une dizaine de pages sur le sujet. Mais il ne prône pas une allocation universelle, qui a pourtant ses farouches partisans.

Au nom de quoi défendre un revenu automatique, sans contrepartie, pour chacun ? Voici quatre raisons d'y adhérer. (Mais comme il existe, parallèlement, de très bonnes raisons de le désapprouver,  francetv info vous expose également trois raisons d'y être fermement opposé.)

C'est fait pour lutter contre la pauvreté

L'argument : "Tout le monde a droit à un revenu décent et suffisant pour vivre. Il faut donc le garantir de façon inconditionnelle", martèle Baptiste Mylondo. Pour cet universitaire, contacté par francetv info, "personne ne doit se trouver en dessous du seuil de pauvreté" (fixé, en 2015, à 987 euros pour une personne seule).

Ce professeur d'économie à Sciences Po Lyon (Rhône) et à Centrale Paris défend, pour sa part, l'attribution d'un revenu inconditionnel à chacun, dès la naissance, à hauteur de 1 000 euros par adulte et de 250 et 300 euros par enfant.

Pourquoi y adhérer : les chiffres l'attestent, la pauvreté progresse dans l'Hexagone. Selon l'Observatoire des inégalités, "la France compte entre 4,9 et 8,5 millions de pauvres selon la définition adoptée", dont près de 3 millions d'enfants. Quant au taux de pauvreté des 18-29 ans, il s'élève à 18,6%, avec un bond de deux points en cinq ans, explique ce sujet de France 2.


RSA pour les jeunes : l'idée fait débat

Même constat aux Etats-Unis, où le nombre de personnes vivant dans l'extrême-pauvreté est passé de 636 000 à 1,5 million entre 1996 et 2011, selon l'hebdomadaire britannique The Economist (en anglais).

Ça permet de faire ce qu'on a envie de faire 

L'argument : "Ne travaillez jamais !", proclamait naguère l'écrivain situationniste Guy Debord. Beau mot d'ordre, que les militants du Mouvement français pour un revenu de base reprennent partiellement à leur compte. Leur projet, écrivent-ils, "s'inscrit dans l'aspiration à la fin du travail" et, surtout, à la fin du travail jugé aliénant : priorité au travail choisi et non subi. Même The Economist "s'y met", selon l'expression amusée du professeur à Sciences Po Julien Damon :

Pourquoi y adhérer : une motivation d'autant plus audible que le travail se fait rare avec un chômage record (encore 3,5 millions de demandeurs d'emploi sans activité en mai, malgré une légère baisse). Et la situation pourrait empirer avec les nouvelles technologies. Si l'on en croit le cabinet Roland Berger Strategy Consultantstrois millions d'emplois seront détruits en France par l'automatisation des tâches d'ici à 2025.

Autant profiter de l'aubaine pour sauter l'étape du travail-corvée et se réaliser pleinement. Vous manquez d'idées ? Rue 89 vous en fournit quelques-unes : "Tu sais, comme créer des entreprises. Aller à l’école. S’occuper bénévolement d’autrui, faire du volontariat, ou des tâches parentales sans valeur ajoutée pour le PIB."  Liste non-exhaustive, à compléter avec toutes les ressources de sa créativité. 

Ça simplifie les aides sociales

L'argument : pour Baptiste Mylondo, dans une vision de gauche, "toutes les prestations sociales sont conservées, sauf le RSA et les allocations familiales". Mais à droite, les libéraux de Génération Libre, emmenés par l'ancienne plume de la présidente du FMI Christine Lagarde, Gaspard Koenig, taillent beaucoup plus large dans les dépenses. L'économiste Marc de Basquiat propose ainsi un "revenu minimum" de 450 euros par adulte, qui "remplacerait de nombreuses allocations, dont le RSA, la prime pour l’emploi, les allocations familiales, ou les exonérations fiscales sur les revenus du patrimoine".  

Pourquoi y adhérer : le revenu de base permettrait d'évidentes économies, tout en maintenant une forme d'aide aux plus démunis (et à tous les autres). Inconditionnel, il générerait en théorie peu de paperasse inutile, et devrait donc enthousiasmer les gens atteints de "phobie administrative", à l'instar de l'ex-ministre Thomas Thévenoud.  

Ça permet de se projeter dans l'avenir

L'argument : "Par sa permanence, le revenu de base permet à chacun de raisonner à long terme et de former des projets. A cet égard, les nombreux témoignages recueillis, en particulier auprès des familles d'ATD Quart monde sont formels [une association de réinsertion sociale]", assène le Mouvement français pour un revenu de base.

Pourquoi y adhérer : donner du temps au temps est un luxe que les pauvres peuvent difficilement se permettre. D'où des conséquences désastreuses pour les enfants, comme pour les adultes (pas le temps d'étudier, de se soigner...). Les expériences ont prouvé que le revenu de base améliorait leur vie, assure le Mouvement français pour un revenu de base. "Dans la ville de Dauphin au Canada, où un dispositif de revenu inconditionnel a été testé pendant plus de quatre ans, le nombre d’heures travaillées n’a diminué que de 1%. Mais (...) les jeunes ont prolongé leurs études au lieu de travailler, les hospitalisations ont diminué, ainsi que la criminalité."

Les humanitaires ne sont pas les seuls à se réjouir. Dans cette (potentielle) accumulation de capital, certains libéraux voient la possibilité de faire fleurir l'esprit d'entreprise, comme en témoigne ce tweet du journaliste économique de BFMTV, Stéphane Soumier :

Après avoir longuement pesé le pour et le contre, la bible des milieux financiers anglo-saxons The Economist conclut d'ailleurs par cette interrogation : n'est-il pas temps de balayer un Etat-providence plus adapté à la révolution industrielle du XXe siècle qu'aux bouleversements technologiques du XXIe siècle ? Le revenu minimum, une façon d'enterrer les acquis sociaux d'après-guerre ?

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