"On ne peut plus suivre" : ils sont retraités mais travaillent encore par nécessité économique
Sur les 16 millions de retraités en France, plus de 460 000 continuent d'exercer une activité professionnelle.
Dénoncer la hausse de la CSG, déplorer un niveau de vie trop faible après une vie de labeur... Sur les rond-points comme dans les manifestations, nombre de retraités ont choisi de rejoindre le mouvement des "gilets jaunes". Parmi eux, beaucoup poursuivent une activité professionnelle au-delà de 62 ans, l'âge légal de départ à la retraite. En 2016, selon une étude de la Drees (PDF), ils étaient 463 000 Français à percevoir une pension tout en travaillant. Et parmi eux, 253 000 ont plus de 65 ans.
Franceinfo a demandé à ces sexagénaires – voire septuagénaires – ce qui les poussait (encore) à travailler. Certains n'ont pas le choix, d'autres y trouvent un moyen de garder le même niveau de vie. Témoignages.
Ceux qui ont des fins de mois difficiles
Après 45 ans de vie professionnelle, dont 25 à l'hôpital en tant qu'infirmière, le coup est dur à encaisser pour Françoise Marti, 63 ans. Cette fonctionnaire à la retraite touche aujourd'hui 1 500 euros, mais elle doit faire face à 1 000 euros de charges fixes. "Heureusement que je suis propriétaire", lâche-t-elle avec ironie. "Ça fait 41 ans que j'habite ici, je m'y plais, dit-elle. Mais financièrement je ne tiendrai pas le coup." Françoise prévoit donc de vendre sa maison, située près de Rouen (Seine-Maritime).
Je suis bonne pour vivre dans un studio avec le minimum de charge, voilà ce qui m'attend.
Françoise Marti, 63 ansà franceinfo
Au quotidien, Françoise doit déjà faire avec les restrictions. "Je ne mange de la viande qu'une fois par semaine, et encore je l'achète dans la ferme du coin", explique-t-elle. Et cela fait quelques années qu'elle n'a pas renouvelé sa garde-robe : "Avant j'allais dans des dépôts ventes. Maintenant, j'essaye juste de ne plus prendre de kilos", lance-t-elle avec un rire de dépit.
Pour compléter ses revenus, elle répond donc à des offres ponctuelles sur le réseau social Linkedin. Françoise Marti enchaîne les contrats courts dans le médical. "J'ai donné une formation à Paris sur le thème de la souffrance", illustre-t-elle. Elle vient aussi de candidater pour les vendanges l'année prochaine : "C'est un ancien collègue de travail de 70 ans qui m'a parlé de cette offre. J'irai dans le Maine-et-Loire, il paraît que les conditions sont meilleures pour le dos."
"Je suis obligée de trouver un complément de salaire urgent ! Un mi-temps serait parfait !" L'annonce de Claudette Frickert, sur le site Seniorsavotreservice.com, qui met en relation des retraités avec des particuliers ou des entreprises qui cherchent des candidats pour des contrats à durée limitée, est explicite. Et à 77 ans, cette ancienne aide-soignante y recherche désespérément depuis deux mois de quoi compléter sa petite retraite.
Aujourd'hui, son mari et elle perçoivent 2 000 euros par mois. "On ne fait pas d'excès, on ne part pas en vacances", raconte-t-elle.
Mais, par exemple, avec le prix de l'essence qui augmente sans arrêt, on ne peut plus suivre.
Claudette Frickert, 77 ans
Malgré son âge, Claudette Frickert se dit prête à garder des enfants à son domicile : "J'ai une grande expérience : je suis maman de quatre enfants et quatorze fois grand-mère", fait-elle valoir, pleine d'énergie. Elle veut surtout pouvoir travailler à domicile, pour rester auprès de son mari malade.
Ceux qui travaillent pour aider leurs proches
Avec un fils de 19 ans qui vient de commencer des études en ingénierie, Denis, 63 ans, est obligé de continuer à travailler. "Je n'ai pas le droit de l'empêcher de poursuivre sa scolarité", estime ce père soucieux pour l'avenir de son enfant. Même s'il aime son emploi, il utilise aujourd'hui le terme de "sacrifice" en évoquant la poursuite de son activité, ajoutant que "n'importe quel parent le ferait".
"C'est la raison principale qui m'a poussé à continuer", explique aussi Hervé Le Penven. Ce père de deux filles, toutes les deux en écoles de commerce, a dû assurer financièrement le coût de leurs études supérieures : 12 000 euros de frais de scolarité par année pour chaque enfant. Il ne se plaint pas pour autant de sa situation, car pour lui, continuer à travailler est "un mix entre plusieurs choses" : "L'argent pour les études des enfants et vouloir garder une activité intellectuelle."
Ceux qui veulent maintenir leur niveau de vie
Selon une enquête de la CFDT, 91% des actifs s'attendent à connaître une baisse de niveau de vie une fois l'âge de la retraite atteint. Une situation que refuse Philippe Andres. A 66 ans, ce retraité d'une grande entreprise de télécommunication a choisi de se lancer dans la finance aux Etats-Unis. Installé depuis sept ans à New York, il ne se voyait pas arrêter de travailler. D'autant que la vie est chère dans la "grosse pomme".
Rester à New York avec comme seule source de revenus ma retraite, ce n'est pas possible.
Philippe Andres, 66 ansà franceinfo
Un exemple : une prise en charge à l'hôpital lui coûterait 4 200 euros la journée. Le chef d'entreprise le regrette : "L'aspect financier est important, même si on a une bonne retraite, c'est un changement de mode de vie."
Jean-Marie Polard a pris sa retraite en 2016 : "Comme patron, je touchais 2 300 euros net. Aujourd'hui, je touche 1 500 euros de pension." A raison de 30 heures par mois, ce veuf qui vit en Bretagne continue donc de travailler pour l'entreprise qu'il a fondée. Le repreneur lui a proposé de collaborer deux ans de plus pour former la jeune génération. Une formule qui correspondait à ses envies :
Ça ne me prend pas beaucoup de temps. Et à côté, j'ai mes passions comme l'astronomie. J'ai de quoi m'occuper pendant des années.
Jean-Marie Polardà franceinfo
A l'image du cas du Breton, "la retraite progressive devient de plus en plus fréquente, explique Françoise Kleinbauer, présidente de France retraite, qui accompagne les futurs retraités. C'est un moyen de continuer une activité tout en touchant une partie de sa pension. De plus en plus de personnes sentent qu'elles ont besoin et envie d'avoir une activité professionnelle mais ne veulent plus un temps plein."
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