Réforme des retraites : quatre choses à savoir sur la démission de Jean-Paul Delevoye
En l'espace d'une semaine, le "monsieur retraites" du gouvernement était devenu l'homme le plus gênant de la majorité. Il a finalement démissionné, lundi.
Après plusieurs jours de polémique, le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, a finalement remis sa démission au président de la République, qui l'a acceptée "avec regret", lundi 16 décembre. Fragilisé par des soupçons de conflits d'intérêts après des "oublis" dans sa déclaration d'intérêts, Jean-Paul Delevoye a rectifié ce document en déclarant treize mandats, dont onze bénévoles, soit dix de plus que dans la version initiale, selon une information du journal Le Monde publiée samedi.
Acculé, cet homme fort de la Macronie, que Jean-Pierre Raffarin présentait comme un "négociateur né" dans des propos au Monde en mai 2017, a finalement dû se résigner à quitter ses fonctions, alors qu'il était le visage de la très contestée réforme des retraites.
Il a continué à être rémunéré et a "oublié" de déclarer onze mandats
Dans la déclaration obligatoire faite à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dont Jean-Paul Delevoye a dû s'acquitter après sa nomination en tant que haut-commissaire aux retraites, cet ancien édile a omis de reporter certains des mandats qu'il exerce toujours. C'est d'abord Le Parisien qui révèle, lundi 8 décembre, que le haut-commissaire occupe la fonction de président du think-tank Parallaxe de "HEP Education au sein du groupe de formation IGS" depuis 2017. Il perçoit à ce titre une coquette rémunération, non compatible avec son poste en gouvernement. En 2018 et en 2019, il a perçu 5 368,38 euros mensuels, soit un montant annuel de 64 420 euros net.
Plus grave : Le Parisien révèle également que Jean-Paul Delevoye entretient d'étroits liens avec le monde de l'assurance puisqu'il est l'un des administrateurs de l'Ifpass, l'Institut de formation de la profession de l'assurance. Un ancien dirigeant de cet établissement indique d'ailleurs au quotidien que "les liens avec Jean-Paul Delevoye sont précieux, notamment parce que l'ensemble du secteur est très intéressé par la réforme".
La séquence ne s'arrête pas là. Le Monde révèle quelques jours plus tard, samedi 14 décembre, que la deuxième version de la déclaration d'intérêts remise par Jean-Paul Delevoye compte finalement non pas trois mandats, comme initialement indiqué, mais bien treize. Dix mandats ont donc été "oubliés" de la déclaration d'intérêts initiale.
Tout dirigeant doit être exemplaire et nul n'est au dessus des lois
— Jean-Paul Delevoye (@delevoye) October 17, 2018
Sur ce total de 13 mandats, onze sont bien bénévoles, confirme Le Monde. On compte notamment, dans ces activités non rémunérées, son poste au conseil d'administration d'associations visant à promouvoir la démocratie via la technologie, mais aussi dans une structure qui prodigue des cours d'éveil à l'art aux enfants, ainsi qu'au comité stratégique de la Fédération française des diabétiques, ou encore un rôle dans deux associations musicales.
Par ailleurs, comme le rappelle le magazine Marianne lundi 16 décembre, le désormais ancien haut-commissaire aux retraites aurait également dû signaler un quatorzième mandat : celui de président du Conseil économique, social et environnemental (Cese). En effet, même si ce mandat est terminé depuis 2015, l'obligation de déclaration couvre les cinq dernières années. Un mandat au titre duquel, précise le site internet du Cese, Jean-Paul Delevoye percevait "6 330,32 euros net par mois", indique également Marianne.
Les faits sont passibles de condamnation
L'article 23 de la Constitution est clair : les fonctions de membre du gouvernement "sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle". Ses rémunérations en tant que président du think-tank Parallaxe de "HEP Education au sein du groupe de formation IGS" sont donc contraires aux dispositions constitutionnelles.
Depuis 2013, la loi oblige tout ministre à déclarer ses responsabilités présentes et passées, si celles-ci sont susceptibles de présenter un risque de conflits d'intérêts et d'influencer sa prise de décisions futures. Elle oblige même à déclarer ses activités rémunérées actuelles ou exercées dans les cinq ans avant la déclaration d'intérêts.
René Dosière, le président de l'Observatoire de l'éthique publique, interrogé par franceinfo, considérait que Jean-Paul Delevoye était "considérablement fragilisé". Selon lui, il est "invraisemblable" que ni le Premier ministre ni la Haute autorité "n'aient été en mesure de faire respecter la Constitution".
Le fait que [le Premier ministre et la Haute autorité pour la transparence de la vie publique] n'aient pas été en mesure de faire respecter la Constitution est quand même un peu invraisemblable et montre qu'il y a là comme un défaut.
René Dosièreà franceinfo
"Le fait de ne pas remplir sa déclaration est un délit pénal passible de 45 000 euros d'amende et de trois ans de prison. C'est assez grave", a rappelé Jean-Christophe Picard, président de l'association de lutte contre la corruption Anticor. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique doit annoncer mercredi si elle estime que la justice doit être saisie ou non. "Vu l'ampleur des omissions, la question ne se pose même plus", poursuit Jean-Christophe Picard. "Comment voulez-vous travailler avec des personnes qui n'arrivent même pas à remplir une déclaration de cinq pages ?"
Le monde politique a réclamé son départ
De Marine Le Pen qui le jugeait "disqualifié totalement", à La France insoumise, qui réclamait sa démission, les oppositions ont condamné tout au long de la semaine les nouveaux "oublis" de déclarations d'activités de Jean-Paul Delevoye. "La suspicion de conflits d'intérêts à l'égard de M. Delevoye le disqualifie totalement pour continuer à incarner cette discussion sur l'avenir des Français et l'avenir de leur retraite", lançait notamment la présidente du Rassemblement national lors du "Grand Rendez-vous" Europe 1-Cnews-Les Echos.
A la gauche de la gauche aussi, le député LFI Alexis Corbière s'en est pris sur BFMTV au haut-commissaire, dont il réclamait "la démission". "Qu'il parte, avec son projet aussi" sur les retraites. "Cet homme est un menteur" et "sa parole n'est pas crédible", a assumé ce proche de Jean-Luc Mélenchon. Du côté des syndicats, Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT a estimé que le Haut-commissaire aux retraites représentait "l'anti-nouveau monde de M. Macron", vu les sommes perçues par Jean-Paul Delevoye, "la leçon [faite] aux citoyens" et les "conflits d'intérêts".
Je suis abasourdi, je ne comprends pas. Evidemment que ça nuit en partie à cette crédibilité. Sur le fond, il connaît très bien le sujet. Il est celui qui connaît le mieux la position des différents interlocuteurs.
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDTà franceinfo
Le chef du gouvernement, Edouard Philippe, pour sa part, estimait samedi "que la bonne foi de Jean-Paul Delevoye [était] totale". "Il a fait une erreur, il l'a corrigée, il l'a reconnue. Il ne cherche absolument pas à dissimuler quoi que ce soit", jugeait également dimanche le ministre Julien Denormandie, sur franceinfo. Lundi matin, Jean-Baptiste Djebbari, le secrétaire d'Etat aux Transports, estimait sur Europe 1 que Jean-Paul Delevoye était quelqu'un d'"extrêmement responsable, extrêmement engagé pour l'intérêt général".
Le numéro un du Parti socialiste, Olivier Faure, estimait cependant dans un tweet : "Dans une démocratie, ce n'est pas le Premier ministre qui juge de 'la bonne foi' de ses ministres. La séparation des pouvoirs est un principe de base".
Sa démission semblait inévitable
Interrogé samedi par Le Monde, Jean-Paul Delevoye a d'abord assuré vouloir poursuivre sa mission : "Je ne m'accroche pas à mon poste mais j'ai réparé mon erreur et j'aimerais continuer à défendre et soutenir ce projet dans le souci du dialogue social et dans une démarche d'apaisement de notre société." Mais le haut-commissaire était déjà lucide, estimant que si son erreur venait à "desservir la cause pour laquelle je me bats, ce projet de réforme des retraites auquel je crois et auquel je tiens, alors j'en tirerais les conséquences."
Dans le même temps, le Premier ministre lui avait renouvelé toute sa "confiance". Pourtant, selon certaines indiscrétions déjà, l'exécutif souhaitait attendre que la tempête soit passée pour se débarrasser de ce ministre encombrant. "Il passe la séquence et en janvier, juste après la présentation du projet de réforme en Conseil des ministres, il saute !", avait même confié un conseiller ministériel au Parisien.
"Toutes ces révélations tombent au pire moment, entre la présentation du projet de réforme et les grèves. S'il démissionnait là, ce serait le pire des signes", expliquait, toujours au Parisien, un proche d'Emmanuel Macron. C'est pourtant bien ce qu'il s'est produit lundi, le haut-commissaire ne laissant pas le temps au président de la République de réclamer sa démission. C'est lui qui l'a présentée, estimant que la "confiance" était désormais bien "fragilisée sous les coups d'attaques violentes et d'amalgames mensongers" et, qu'à travers son "procès", on voulait "porter atteinte au projet" qu'il juge "essentiel pour la France". L'Elysée indique que Jean-Paul Delevoye sera remplacé dans "les plus brefs délais".
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