Crise des éleveurs : "Il y a des matins où on se demande pourquoi on fait tout ça"
Francetv info a suivi sur son exploitation Florent Verger, un des agriculteurs qui a bloqué le périphérique de Caen, dans le Calvados.
Florent Verger a démarré la journée avec un peu retard. La traite n'a commencé qu'à 8 heures, jeudi 23 juillet, au lieu de 7 heures en temps normal. Mais après quatre jours passés sur le barrage des agriculteurs en colère à Mondeville (Calvados), à l'entrée de Caen, le jeune homme de 23 ans avait du sommeil à rattraper.
Florent Verger est maintenant de retour à la ferme de ses parents, à Monteille, près de Lisieux. "C'est un peu le début des vacances syndicales, puisqu'il faut se remettre au travail à la ferme", sourit l'agriculteur, en s'occupant des veaux. La famille Verger exploite 70 hectares de champs céréaliers. Elle élève en outre une soixantaine de vaches laitières, ainsi qu'une quarantaine de taurillons par an, vendus pour leur viande.
"On arrive à peine à se sortir un salaire"
Alors que les vaches paissent tranquillement dans le pré, en face du hangar où sont stockés les ballots de paille, Florent Verger a encore l'esprit occupé par les mesures annoncées par le gouvernement. "On s'est bien battu, mais maintenant, on attend la suite : s'il le faut, on reviendra."
Comme beaucoup d'agriculteurs français, Florent Verger se sent pris à la gorge. "On aime notre métier, mais là, c'est difficile, on commence à se décourager", avoue-t-il. L'exploitation réalise un chiffre d'affaires annuel d'environ 250 000 euros, selon Francis Verger, venu rejoindre son fils. Les charges, elles, représentent au moins 180 000 euros. La somme restante est réinvestie pour entretenir et développer la ferme. Conséquence : "On arrive à peine à se sortir un salaire, on bricole avec 500 euros par mois", explique Francis Verger. L'exploitant risque même de devoir se séparer de son apprenti, qu'il a du mal à rémunérer.
A découvert pour pouvoir payer les fournisseurs
La situation de l'entreprise est devenue difficile lorsque l'embargo russe, qui a durement touché les exportations de produits français, a été mis en place. Avant de devenir critique, en janvier, au moment d'une nouvelle baisse du prix du lait. En moins d'un an, la famille Verger a vu le prix de sa production passer de 40 à 31 centimes le litre.
Si les revenus ont baissé, les coûts de la nourriture pour les bêtes et du fioul se sont maintenus. "Il faut 10 000 euros de trésorerie chaque mois pour faire tourner la ferme, explique Florent Verger, qui déambule à présent entre les vaches. Aujourd'hui, on ne les a pas : on se retrouve à découvert pour pouvoir payer nos fournisseurs."
Et la pression financière est constante. A cause de la crise, l'autorisation de découvert de la ferme est passée de 20 000 à 10 000 euros mensuels, au moment précis où l'entreprise aurait besoin de plus de liquidités. "On se demande toute la journée comment on va réussir à payer telle ou telle chose", confie le jeune agriculteur.
"On a besoin de solidarité pour tenir"
A l'entrée de la ferme, une voiture grise s'arrête. Timothée Roset, un agriculteur voisin qui a lui aussi participé au blocage de Caen, descend du véhicule. Installés dans le hangar près de la moissonneuse-batteuse, qui n'est plus de première jeunesse, les deux exploitants font le bilan de leur situation.
Un moment de partage nécessaire. "On vit tous la même chose, à des échelles différentes", affirme Timothée Roset, dont l'exploitation est située à Falaise. "C'est important de pouvoir discuter avec des gens qui nous comprennent, on a besoin de solidarité pour tenir", abonde Florent Verger.
D'autant que la crise n'affecte pas que les agriculteurs. Leurs familles sont aussi secouées. "Lorsque les deux parents sont fermiers, il y a beaucoup plus de stress au quotidien, souligne Timothée Roset, de sa voix toujours calme. Les enfants sont parfois malmenés, il y a des divorces..." "Les petits plaisirs de la vie doivent sauter et, dans un couple, ça fait mal", confirme Florent Verger, appuyé contre la moissonneuse-batteuse.
Le métier d'agriculteur, une passion
Malgré leur situation précaire, les deux hommes refusent d'abandonner. "On supporte le stress parce que l'on pense toujours que l'on va pouvoir se refaire l'année suivante", avoue Timothée Roset. Florent Verger, lui, espère encore s'installer à son compte. "Il y a des matins où on se demande pourquoi on fait tout ça, mais c'est avant tout une passion", confie le jeune agriculteur.
Francis Verger vient soudain rejoindre les deux jeunes hommes. C'est "l'heure de la soupe". Avant de se remettre au travail : les blés sont murs et, avec le retour du beau temps, Florent Verger doit passer l'après-midi à moissonner. Sans oublier pour autant les promesses faites aux agriculteurs à Caen. "On a prévenu le gouvernement : si notre situation ne s'améliore pas, la rentrée va mal se passer."
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