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Nouveau bras de fer sur le porc : pour les éleveurs, "si ça se poursuit, ça deviendra vite compliqué pour nous"

Les deux principaux acheteurs se sont retirés du marché du porc breton, lundi, pour protester contre la hausse des prix payés aux producteurs. Et ils pourraient aussi bouder le second marché de la semaine, jeudi.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des porcs dans un élevage de Plonéour-Lanvern, dans le Finistère, le 11 août 2015. (FRED TANNEAU / AFP)

Pour les éleveurs, c'est une crise dans la crise qui s'est ouverte lundi 10 août. Le marché du porc breton, à Plérin (Côtes-d'Armor) n'a pas eu lieu, à cause du retrait des deux principaux acheteurs, la coopérative d'abattoirs Cooperl et l'industriel Bigard-Socopa, qui protestent contre la hausse du prix à 1,40 euro le kilo, à la demande du gouvernement. Des dizaines de milliers de bêtes n'ont pas été vendues, mais cet incident touche aussi les éleveurs du reste de la France, pour qui la cotation du porc à Plérin sert de prix de référence pour vendre leur propre production.

Alors que le second marché de la semaine, jeudi, s'annonce tout aussi incertain – la Cooperl a annoncé mercredi qu'elle ne serait pas présente –, francetv info a recueilli le témoignage de plusieurs agriculteurs inquiets.

Des porcs qui perdent leur valeur s'ils ne sont pas vendus

Jean-Marie Josselin élève des porcs à Ploubalay, dans les Côtes-d'Armor, à quelques dizaines de kilomètres du marché de Plérin. Il a de la chance : aucune de ses bêtes n'aurait dû y être vendue lundi. En revanche, il s'inquiète pour le second marché de la semaine, jeudi : "Chez nous, 350 cochons doivent partir la semaine prochaine." Pour un éleveur, ne pas écouler sa production au rythme prévu peut très vite devenir un problème : "On fait du vivant. On ne peut pas stocker nos cochons comme on stockerait du grain. Ils ont besoin d'une surface importante, et ils ont besoin d'être alimentés. Il peut arriver que l'on prenne un peu de retard, mais ça devient vite très compliqué." 

A ces coûts supplémentaires s'ajoute un autre problème : "Les cochons vont continuer à manger, de plus en plus, car plus ils sont gros, plus ils mangent. A terme, ils vont devenir trop lourds, on ne va plus respecter une certaine gamme de poids, et nos bêtes vont être déclassées." En somme, si les cochons grossissent trop, les éleveurs les vendront moins cher.

Pas de cotation, une situation inédite et incertaine

Pour les éleveurs dont les bêtes ne sont pas vendues sur le marché de Plérin, les ennuis n'ont pas encore commencé. "Quand on saute une cotation, comme lundi, on applique le prix fixé la semaine précédente. C'est déjà arrivé", explique Jean-Michel Serres, président du groupement InterPorc Nord-Picardie, contacté par francetv info. Le prix qui sert de référence aux éleveurs de toute la France est la moyenne des deux cotations établies la semaine précédente, le lundi et le jeudi, au marché de Bretagne.

Mais que se passera-t-il en cas de semaine blanche, si le marché de jeudi n'a pas lieu non plus ? "Je ne sais pas, avoue Jean-Michel Serres. C'est une situation à mon avis jamais vue." Si le marché avait lieu en l'absence de la Cooperl et de Bigard-Socopa, il pourrait même y avoir, de facto, deux cotations, celle de Plérin et celle de ces acheteurs qui demandent un prix moins élevé.

Une crise au pire moment pour les éleveurs

Cette nouvelle crise inquiète d'autant plus Jean-Marie Josselin qu'elle intervient au pire moment : "L'été est la période de l'année où le cochon est le plus cher. C'est vraiment la seule période de l'année où on peut faire quelque chose." Avec le cours actuel à 1,40 euro le kilo, voulu par le gouvernement depuis juin pour aider les éleveurs, et atteint fin juillet, l'éleveur breton parvient "tout juste à équilibrer" ses comptes, ce qu'il n'arrivait plus à faire depuis trois ans. Quand le prix est plus bas, "on travaille 80 heures par semaine et on perd de l'argent", explique-t-il. "Les abattoirs trouvent que le prix est trop élevé, peut-être, mais en dessous, on ne vit pas."

La situation n'est pas nouvelle, au point que certains décident de changer de modèle pour se passer des grands abattoirs. Depuis 2007, Pierre Grosz, éleveur du Lot-et-Garonne, transforme lui-même près de la moitié de sa production, et vend la viande à des commerçants locaux ou à sa coopérative. Le reste de ses bêtes, il le vend à des bouchers locaux : "Avec eux, il y a un dialogue. On se rend mutuellement des services quand on en a besoin." Il estime son prix de base à 1,70 euro le kilo, c'est 15 centimes de plus que le prix des éleveurs bretons (car une plus-value de 15 centimes sur le muscle s'ajoute en général à la cotation de 1,40 euro). Des centimes qui veulent dire beaucoup : "15 centimes le kilo, pour 100 porcs de 100 kilos chacun, ça fait 1 500 euros supplémentaires".

Mais pour les deux éleveurs, la solution n'est pas dans la lutte contre les abattoirs, car le sort de toute la filière est lié : "De toute façon, si on ne survit pas, les porcs ne viendront pas des autres régions, donc les abattoirs fermeront, prédit le Breton Jean-Marie Josselin. Nous, on ferme un par un, ou les éleveurs se suicident dans leur coin, donc ça ne fait pas de bruit. Si les abattoirs ferment, on parle de milliers de personnes. Mais apparemment, la fermeture de Gad n'a pas suffi" à faire bouger les politiques, estime-t-il, amer.

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