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Enquête franceinfo Collapsologues et survivalistes : comment ils se préparent à l'effondrement du monde

Ils sont de plus en plus nombreux à penser que le monde tel qu’il existe va s’effondrer et qu’il faut dès maintenant s’y préparer. La crise du coronavirus les a renforcés dans leur conviction. Enquête de la cellule investigation de Radio France sur les mouvances du survivalisme.

Article rédigé par franceinfo - Philippe Reltien, cellule investigation de Radio France
Radio France
Publié
Temps de lecture : 11min
Bruno Vigier Lafosse, 59 ans, survivaliste se prépare à l'effondrement de notre société. (LP/OLIVIER LEJEUNE / MAXPPP)

Avant le confinement, Yves Cochet faisait le tour des plateaux des télés et des radios. L’ancien ministre de l’Environnement et mathématicien, auteur de Devant l’effondrement, pense qu’il faut se préparer au pire. "La Terre va finir par se défendre et se venger", prédit-il. De l'anglais to collapse ("s’effondrer"), la collapsologie, ou théorie de l'effondrement, est notamment conceptualisée en France par l'agronome Pablo Servigne, co-auteur de Comment tout peut s’effondrer. Elle s’est d’autant plus répandue ces derniers temps que la crise du Covid-19 montre qu’un effondrement est plausible, selon les collapsologues. "L’économie ne s’est pas totalement arrêtée, reconnaît Pablo Servigne. Mais on a vu que l’effondrement de certaines économies a permis un recul, certes significatif des émissions de gaz à effet de serre, mais pas du tout suffisant."

"L'imaginaire de la fin du monde est en train de contaminer nos esprits"

Le pire serait donc devant nous. Mais sur la forme qu’il prendra, deux théories se côtoient sans s’opposer. L'effondrement, pensent les collapsologues, pourrait avoir une dimension économique et sociale (le productivisme générerait une crise sociale qui menacerait d’exploser), ou une dimension environnementale (la planète est en danger, et cela peut entraîner la disparition des espèces et d’éventuelles catastrophes naturelles). Une théorie aujourd'hui validée par de nombreux militants écologistes. "Les scientifiques des Nations unies prédisent que d'ici à 2048, on sera face à un effondrement mondial de la pêche commerciale, explique Lamya Essemlali, présidente de l'association Sea Shepherd France. La mort de l'océan, c'est la fin de notre civilisation. Si on ne sauve pas l'océan, on mourra avec lui." Si les collapsologues restent une minorité, ce sentiment que l’avenir est de plus en plus sombre semble, lui, largement partagé. "L'imaginaire de la fin du monde est en train de contaminer nos esprits, estime le sociologue Bertrand Vidal, auteur de Survivalisme (Arkhé, 2018). On est en train de passer de l'idéologie du progrès à celle du regret, avec son cortège de nostalgie et de 'c'était mieux avant’."

Des survivalistes dans le sillage des collapsologues

Cette "idéologie du regret" ne débouche pas que sur des pensées nostalgiques. Certains réfléchissent déjà très concrètement à ce qui pourrait se passer en cas d’émeutes ou de catastrophes naturelles, et ils se préparent en conséquence. Dans le sillage de la collapsologie, existent des "survivalistes" que l’on peut répartir en deux "écoles". D'une part, les "individualistes", qui se préparent à se sauver avec leurs familles contre les autres, pensent que les plus forts doivent sacrifier les plus faibles, et sont prêts à utiliser les armes si nécessaire. On y retrouve notamment le Suisse Piero San Giorgio. Figure de l’extrême droite identitaire, ségrégationniste, il estime que le danger pourrait venir d’une potentielle vague migratoire. D'autre part, on trouve les survivalistes "solidaires", qui pensent au contraire que seule l'entraide entre les individus et de nouvelles formes de solidarité permettront de s’en sortir.

Pour Yves Cochet, "il faudra créer des éco-lieux, des éco-villages, il faudra vivre localement". (NICCOLÓ PONTIGIA / EYEEM / EYEEM)

Comme Yves Cochet, ces derniers plaident pour l’apparition de nouvelles formes de démocraties locales. L'ancien ministre de l’Environnement a d’ailleurs mis ses idées en pratique dans un écovillage en Bretagne, convaincu que, pour répondre à l’effondrement à venir, la solution n’est pas dans le repli individuel. "Se réfugier dans un bunker, ça ne marchera pas, anticipe l'ancien ministre. Il faut créer des ‘biotopes de guérison sociale’, des écolieux, des écovillages… Il faudra vivre localement. S'entraider, ou s'entretuer."  

"J'ai une boîte de pilules d'iode dans la poche"

Les survivalistes, encore assez peu nombreux, sont de plus en plus présents sur Facebook et Youtube. Sur ces plateformes, ils s'échangent des astuces pour survivre en abri précaire, faire du feu avec des pierres ou une batterie de téléphone, et chasser avec des flèches. On y trouve aussi des conseils pour obtenir les meilleures poules pondeuses à élever chez soi. Certains groupes Facebook, comme Transition 2030, regroupent plus de 20 000 personnes. Parmi les plus actifs, on peut citer Megan. Cette adepte des stages de survivalisme (voir plus bas) passe la plupart de son temps en forêt. "Je me suis créé des zones de confort dans les bois pour le plaisir, mais comme on l'apprend aux stagiaires, il suffit d'une bâche et d'un bon duvet pour tenir très longtemps, pas besoin d'avoir un abri en dur." Même les températures extrêmes ne lui font pas peur : "J'ai la chance d'avoir du bon matériel", ajoute Megan.

D’autres se préparent à se confiner et investissent dans des abris. C'est le cas d’Enzo Petrone. À la tête de la société Amesis, il propose la construction de bunkers pour 50 000 euros. "Moi-même, j'ai deux bunkers, un en Suisse et un en France", raconte-t-il. Il se prépare déjà au pire. "J'ai une boîte de pilules d'iode dans la poche, un masque dans la voiture, un détecteur de rayonnement… On n'attend pas le dernier moment, ça peut aller très vite. En cinq minutes il peut y avoir une catastrophe. Un vrai survivaliste se tient toujours prêt."

Le développement du survivalisme passe aussi par l'achat d’équipements dits de survie. (ROBIN SKJOLDBORG / DIGITAL VISION)

"Ils doivent vivre comme des migrants"

La montée en puissance des survivalistes coïncide avec l’apparition d’une nouvelle économie. Il se traduit notamment par le développement de stages de survie. Frédéric Cuvelier, un ancien des forces spéciales, organise, via son site Survivor attitude, ce type de stages. Lors de ces sessions, il anticipe les cas de figures les plus extrêmes. "S'il y a une crise majeure, l'État ne pourra plus subvenir à nos besoins, pense-t-il. Il n'y a pas assez de militaires et de forces de l'ordre en France pour nous protéger. Nous serons livrés à nous-mêmes." Avec l'option "survie urbaine" par exemple, ces stages débutent par un jeûne de 48 heures, puis les participants sont "lâchés" en ville. "On leur donne un duvet, leur carte d'identité, un peu d'argent pour être en règle avec la loi, et un téléphone pour nous appeler s'il y a quoi que ce soit, s'enthousiasme Frédéric Cuvelier. Niveau sécurité il n'y a pas trop de risques, mais ça leur permet de prendre confiance. Ils doivent vivre comme un clochard, comme un naufragé de la vie, comme un migrant."

Mais il y en a qui vont beaucoup plus loin. Denis Tribaudeau propose des voyages de survie, mélange de Koh-Lanta et de Rendez-vous en terre inconnue. "Je les emmène un peu partout sur la planète, vivre une expérience humaine, une aventure là où ils ne seraient jamais allés. Le but, c'est que tout le monde trouve sa place dans le collectif", explique celui qui est aussi spécialiste de la chasse à l'arc. Ces stages coûtent entre 700 euros au Portugal (sans l'avion) et près de 17 000 euros tout compris, pour 21 jours dans l'Himalaya.

Affiche pour un stage de survie organisé au Philippines. (Denis Tribaudeau)

Des ventes de matériels de survie qui augmentent

Le développement du survivalisme passe aussi par l'achat d’équipements dits de survie. "On voit de plus en plus de bâches, qui servent pour les abris. Mais il s'agit essentiellement de matériel pour bivouaquer, pour du camping sauvage", confirme Frédéric Cuvelier. Dans ce marché, de nouveaux objets apparaissent, comme des panneaux solaires de poche, que l'on peut accrocher à son sac à dos, pour recharger sa batterie de téléphone ou sa lampe, même par temps couvert. "Avant, ce sont des objets que nous vendions essentiellement aux militaires, éventuellement aux forces de l'ordre, affirme Frank Douville, directeur de la société de vente en ligne Welkit. Maintenant, on en vend à des civils. Les ventes ont été multipliées par deux ou par trois depuis 2015."

Comme dans tout business, des sociétés sponsorisent les survivalistes les plus connus. Ainsi Denis Tribaudeau, profite de ce matériel gratuitement. "On me propose des téléphones satellite, je teste des chaussures, on m'offre des montres, qu'on me demande presque de casser, s'amuse-t-il. Dernièrement, ce sont des tour-opérateurs qui s'intéressent à mes voyages de survie.

Un produit phare : le bunker

Beaucoup de survivalistes vivent dans la crainte d’un accident nucléaire. Des sociétés proposent aux maires de communes proches de centrales des abris souterrains résistants aux rayonnements. Mais une clientèle fortunée fait aussi son apparition sur ce marché. "Nous avons un abri collectif à Paris pour des gens qui ne souhaitent louer que des places à l'année, indique Enzo Petrone, de la société Amésis. En cas de problème, ils peuvent y venir, il y a de la nourriture, ils ont chacun leur petit coin personnel avec un lit." Le prix pour une place dans cet abri collectif ? "C'est 10 000 euros, pour une durée de cinq ans", indique Enzo Petrone. 

Le survivalisme est aussi une bonne affaire pour le milieu de l’édition. De nombreux livres apprennent à vivre en autarcie, à fabriquer une serre, un caveau à légumes ou un verger, à élever des poules et des lapins, etc. La maison d’édition Ulmer publie 50 ouvrages de ce type chaque année. "On explique par exemple comment construire une cave naturelle, indique Antoine Isambert, son directeur. Il ne s'agit pas de construire un bunker et de s'isoler du monde, ce sont les techniques pour moins consommer d'énergie et avoir un comportement plus vertueux écologiquement. Comme au XVIIIe siècle." D’anciennes "recettes" remises à la sauce survivaliste.

Modèle d'abri de protection civile - bunker de 26 m² proposé par la société Amesis, pour une famille de quatre personnes. (Amesis)

La crainte de l'action directe

Certains observateurs s’inquiètent de la manière dont pourrait évoluer certains militants survivalistes. Au-delà du côté idéaliste que peut inspirer un retour à la nature, une partie de cette mouvance semble vouloir se radicaliser. Se sentant en danger de disparition, et percevant la sphère politique comme dans l’incapacité de répondre à une situation d’urgence, elle tenterait de durcir sa manière d’y répondre. "On est dans un moment où on a affaire à des gens qui sont dans la désobéissance civile, qui revendiquent une approche pacifique, analyse Blaise Mao, journaliste au magazine Uzbec & Rica. Le mouvement Extinction rébellion, qui vient d'Angleterre, est en train de conquérir l'Europe à grande vitesse autour d'actions non-violentes. En revanche, la jonction qui est potentiellement ‘dangereuse’, ce serait le retour à l'action directe sur des cibles très identifiées, autour de la technologie ou du progrès technique. Des actions directes, radicales, qui sont maintenant beaucoup plus acceptées par l'opinion."    

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