: Reportage 12 heures par jour, 7 jours sur 7, 2 300 euros : Gilles, éleveur de vaches, veut prendre sa retraite mais ne trouve pas de repreneur
Alors qu'un agriculteur sur deux aura l'âge de partie à la retraite d'ici 2030, la relève est loin d'être assurée. Un tiers des dirigeants agricoles âgés de plus de 60 ans ne savent pas ce que va devenir leur exploitation dans les trois ans.
L'épineuse question du renouvellement des générations est au cœur du projet de loi d'orientation agricole présenté, mercredi 3 avril, en Conseil des ministres. Franceinfo a rencontré Gilles Chatelain, président de la Coordination Rurale de Savoie, et producteur de lait en zone IGP (Indication géographique protégée) à Bassy, en Haute-Savoie. 95 hectares en polyculture élevage, 60 vaches laitières, 50 génisses et pour l'instant zéro repreneur.
Pas assez attractif
Au milieu de l'étable, entouré de ses 60 vaches montbéliardes, Gilles Chatelain retrace un siècle de passion. "La ferme a débuté avec notre grand-père dans les années 1925, nos parents ont pris la suite, et avec mon frère on s'est installés en 1983", raconte-t-il. Mais aujourd'hui, Gilles a 63 ans, son frère a pris sa retraite et ses enfants n'ont pas attrapé le virus de l'agriculture, alors il n'a personne pour reprendre l'exploitation.
"Comme beaucoup de jeunes maintenant, ils regardent le temps de travail par rapport à la rémunération."
Gilles, éleveur de vachesà franceinfo
"Je suis bien à 12 heures par jour, 7 jours sur 7", témoigne Gilles et "la rémunération, ce qui est triste, c'est qu'elle n'a pas bougé depuis le passage à l'euro, 2 300 euros net par mois". Il faudrait être au moins deux pour faire tourner la ferme. Gilles Chatelain voudrait vendre son cheptel et son matériel, dont il fixe la valeur à 350 000 euros, et louer ses murs aux repreneurs – à la fois pour réduire le coût de l'installation et compléter sa retraite, qui doit atteindre 920 euros net par mois. Son exploitation est viable, produit 550 000 litres de lait par an, mais pour l'instant, il fait chou blanc.
"J'en ai plusieurs qui sont venus mais ils ont une quinzaine d'exploitations qui pourraient leur convenir donc ils vont les visiter, étudier les comptes", raconte Gilles qui ne voudrait pas non plus vendre à n'importe qui. "Je ne voudrais pas que, trois ans après, il n'y ait plus d'animaux, que le bâtiment soit vide comme chez certains collègues", confie Gilles. Pas question non plus de voir ses terres utilisées pour alimenter le méthaniseur du village.
"Il faut qu'il reste un tissu de production laitière sur les Savoies et on fera tout, même perdre de l'argent, pour transmettre l'outil de travail à des éleveurs"
Gilles, éleveur de vachesà franceinfo
Ses apprentis, Mathys et Jade, 16 ans, se verraient bien à la place du patron, mais ce ne serait pas avant leurs 20 ou 25 ans, soit cinq voire dix années à attendre. Trop tard pour Gilles Chatelain, qui souhaite partir d'ici 2025. Mais il l'assure : il continuera à travailler tant qu'il n'aura pas trouvé de successeur, et que sa santé le lui permettra.
Un outil de mise en relation entre agriculteurs et repreneurs
En attendant, un chiffre continue d'inquiéter : le nombre d'exploitations agricoles en Pays de Savoie a baissé de 11% entre 2011 et 2021. Les chambres d'agriculture proposent de mettre en relation entre agriculteurs et repreneurs via une inscription sur le Répertoire Départ Installation. Elles écrivent aux agriculteurs lorsqu’ils atteignent 57 ans pour leur proposer un accompagnement.
Dans les Deux Savoies, "184 courriers ont été envoyés au cours des trois dernières années", explique Alexandre Moulin, vice-président en charge des installations pour la chambre d'agriculture Savoie-Mont-Blanc. Une centaine d'agriculteurs se sont inscrits. En face, il y a 605 candidats à l'installation, "mais il faut faire matcher les projets". En moyenne, "il faut deux ans aux exploitants inscrits pour trouver un associé ou un repreneur", mais "cela oscille entre un et quatre ans", explique Alexandre Moulin.
"Pour certaines exploitations, ça va tout seul. D’autres, au bout de quatre ans, n’ont pas encore trouvé, et révisent leur projet. Certaines partent sur le salariat, d’autres restructurent l’exploitation, précise le vice-président de la chambre d'agriculture Savoie-Mont-Blanc. On a aussi des exploitations individuelles dont les terres partent à l’agrandissement des voisins quand elles ne trouvent pas de repreneurs, ou bien qui ne sont pas reprenables en tant que telles car il y a trop d’investissements nécessaires pour tout remettre aux normes. Alors, on essaie de proposer des installations un peu différentes."
Parmi les freins à l'installation dans les Deux Savoies, explique Alexandre Moulin, il y a l'insécurité foncière - il n'y a quasiment aucun bail écrit sur les terrains agricoles loués, surtout des baux verbaux -, la difficulté à trouver un logement sur place - notamment du fait du montant des loyers - et le coût de la reprise.
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