"Gilets jaunes" : ce que l'on sait de la blessure à l'œil de Jérôme Rodrigues pendant la manifestation de samedi
Cette figure du mouvement affirme avoir été victime d'un tir de lanceur de balles de défense, alors qu'il était en train de filmer en direct le rassemblement dans la capitale. Une enquête est en cours.
Voilà de quoi relancer la controverse sur l'usage d'armes dites "intermédiaires" par les membres des forces de l'ordre lors de manifestations. Jérôme Rodrigues, figure du mouvement des "gilets jaunes", a été grièvement blessé à l'œil, samedi 26 janvier à Paris alors qu'il filmait la manifestation lors de ce 11e week-end de mobilisation. Il affirme avoir été victime d'un tir de lanceur de balles de défense (LBD) mais cette version est contestée par le secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Laurent Nuñez. L'IGPN, la police des polices, a été saisie. Voici ce que l'on sait de cette affaire.
Jérôme Rodrigues, un "gilet jaune" populaire et "pacifique"
Jérôme Rodrigues, qui aura 40 ans en mai, est né à Montreuil d'une mère française et d'un père portugais. Cet ancien commerçant, reconverti depuis peu comme plombier, est père d'une fille de 13 ans. "C'est un membre emblématique du mouvement, apprécié de tous, qui est tout à fait pacifique. (...) Il filme les manifestations, ça s'arrête là", selon son avocat, Philippe de Veulle. "Ce n'est pas un casseur", a également affirmé sa sœur. Proche d'Eric Drouet, l'une des figures historiques du mouvement, Jérôme Rodrigues a l'habitude de faire des directs lors des manifestations.
Sur sa vidéo d'une dizaine de minutes tournée samedi avant sa blessure, l'homme à la barbe poivre et sel très fournie, souvent vêtu d'un chapeau, très populaire auprès des "gilets jaunes" qui suivent ses directs, incite à plusieurs reprises des "gilets jaunes" à "partir" de la place de la Bastille car "les black blocs vont attaquer (la police)". C'est aussi lui qui a été parmi les premiers initiateurs des manifestations déclarées auprès de la préfecture de police.
Blessé en plein direct sur Facebook live
Samedi, vers 16h45, la tension monte place de la Bastille entre certains manifestants "gilets jaunes" et forces de l'ordre. Jérôme Rodrigues s'effondre au sol alors qu'il filme en direct, avec son téléphone. "Médic, médic, médic. (...) En plein œil... Appelez les médics !", entend-on hurler à l'image, devenue fixe et cadrée sur le sommet de la colonne de la Bastille. La scène est à voir à partir de 9'16" dans la vidéo ci-dessous.
Vingt secondes avant la chute du manifestant, sa vidéo montre des policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) passer en courant devant lui. Resté immobile près de la colonne, Jérôme Rodrigues fait face à d'autres forces de l'ordre, positionnées à une dizaine de mètres de lui. Toujours sur sa vidéo, on voit un projectile du type grenade, jetée au sol à la main et roulant vers ses pieds.
Selon une autre vidéo filmée sous un autre angle et postée sur son compte Twitter par le journaliste indépendant Clément Lanot, deux bruits sont entendus : l'explosion sourde d'une grenade puis le tir sec d'un LBD (doté de balles de caoutchouc de 40 mm de diamètre).
VIDÉO - Jérome Rodrigues (@J_Rodrigues_Off) figure du mouvement #GiletsJaunes est gravement blessé à l'oeil. @CLPRESSFR #ActeXI #Acte11 pic.twitter.com/yQ7AnL5UNT
— Clément Lanot (@ClementLanot) 26 janvier 2019
Il affirme avoir reçu une balle de LBD dans l'œil
"J'ai subi deux attaques : une grenade en bas des pieds qui m'étourdit et, 3 secondes après, l'impact de la LBD 40 qui m'arrive à l'œil", a affirmé dimanche Jérôme Rodrigues lors d'une conférence de presse à l'hôpital Cochin où il est soigné. "Je tiens à préciser qu'une grenade, ça déchiquette. Je n'ai pas l'œil en lambeaux, j'ai un impact de balle sur l'œil", a-t-il ajouté.
L'Inspection générale de la police nationale (IGPN), qui l'a entendu deux heures dimanche, lui "a confirmé que sur les vidéos qui ont été vues il y a bien le 'boom' de la grenade et le 'poc', qui suit derrière, du tir de LBD", a-t-il indiqué, précisant avoir remis à la "police des polices" la balle du LBD qui l'a touché et a été "ramassée" par des témoins.
Jérôme Rodrigues doit être hospitalisé cinq jours, pour éviter une infection à l'œil. "Il faut attendre que l'hématome se résorbe pour déterminer si ma vision est toujours opérationnelle ou pas", a-t-il indiqué, ajoutant : "Je serai à des manifs dès que mon état me le permettra."
Les autorités contestent, pour l'instant, sa version
Le secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Laurent Nuñez, a déclaré dimanche soir sur LCI n'avoir "aucun élément qui (lui) permet de dire qu'il y a eu un usage d'un LBD qui aurait touché M. Rodrigues". Il a en revanche confirmé l'utilisation d'une grenade de désencerclement au même moment, s'appuyant sur le rapport d'un policier ayant lancé ce projectile.
Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour "recherche des causes des blessures", qui ne présage pas, à ce stade, le type d'arme utilisée ni même une implication des forces de l'ordre. Peu après l'hospitalisation de Jérôme Rodrigues, la préfecture de police puis Christophe Castaner, le ministre de l'Intérieur, avaient annoncé dans des tweets la saisine de l'IGPN.
#Paris : blessé pris en chage place de la #Bastille. Le préfet de Police, en accord avec le Ministre de l’Intérieur @CCastaner et le secrétaire d’Etat @NunezLaurent, saisit l’IGPN, afin que soient établies les circonstances dans lesquelles cette blessure est intervenue.
— Préfecture de police (@prefpolice) 26 janvier 2019
"32 tirs de LBD" réalisés et filmés samedi à Paris
Christophe Castaner avait décidé d'équiper pour la première fois de caméras-piétons les forces de l'ordre dotées de ces armes dites "intermédiaires". Laurent Nuñez a souligné dimanche que 32 tirs de LBD avaient été réalisés samedi à Paris. "Les 32 tirs ont été filmés, y compris les 18 qui ont eu lieu sur la place de la Bastille", a-t-il affirmé. "Il n'y avait pas de caméras (piétons), ni de sommations", quand Jérôme Rodrigues a été blessé, a de son côté affirmé son avocat sur BFMTV. "C'est un non-respect de la déontologie et des règles en vigueur", a-t-il déploré.
Au 24 janvier, l'IGPN avait été saisie de 101 enquêtes judiciaires depuis le début du mouvement des "gilets jaunes" le 17 novembre, dont au moins 31 pour des blessés "sérieux ou graves" lors des manifestations. Grenades de désencerclement, LBD : le débat sur l'usage de ces armes en maintien de l'ordre, décriées depuis plusieurs années, a rebondi à mesure des témoignages relayés sur les réseaux sociaux de graves blessures, de mains arrachées et d'énucléations.
Des appels à la démission de Christophe Castaner
Le leader Insoumis Jean-Luc Mélenchon a réclamé, dimanche, la démission du ministre de l'Intérieur Christophe Castaner. La blessure de Jérôme Rodrigues, "c'est terrifiant", a-t-il jugé lors de l'émission "Dimanche en politique" sur France 3. "Nous en sommes à 12 ou 13 ou 14 éborgnés, un mort, quatre mains arrachées (...). Le ministre Castaner est incapable de faire face à l'organisation de la paix publique (...) il doit s'en aller. Je crois que c'est assez clair et nous l'avons déjà dit", a-t-il poursuivi.
"Il est temps que le gouvernement cesse et demande l'arrêt de l'utilisation des armes sur toutes ces manifestations", a pour sa part déclaré Ingrid Levavasseur, à la tête d'une future liste "gilets jaunes" pour les élections européennes. Au-delà, a-t-elle ajouté sur le plateau de BFMTV, "je déplore toutes les violences, qu'elles viennent des gilets jaunes ou de la police. Il faut que cela cesse, (...) qu'on retrouve un calme et une sérénité, il faut qu'on puisse aller dire notre colère et notre souffrance sans que pour autant cela prenne des proportions dramatiques."
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