: Enquête franceinfo "Gilets jaunes" : on a compté le nombre de personnes gravement blessées par des tirs de flash-ball lors des manifestations
De nombreuses photos circulent sur les réseaux sociaux montrant des victimes de lanceur de balles de défense. Franceinfo a procédé à son propre recensement et lance un appel à témoignages pour le compléter.
"Il a des broches partout, il a passé six heures au bloc. Il souffre d'une fracture de la mâchoire et ne peut pas parler. A l'hôpital, on m'a clairement dit que ses blessures avaient été causées par un tir de flash-ball." Flaure Diessé est en colère. Son fils Lilian, âgé de 15 ans, a été blessé samedi 12 janvier en marge de la manifestation des "gilets jaunes" à Strasbourg.
Citée par France 3 Grand Est, Flaure Diessé assure que Lilian faisait simplement les soldes, sans prendre part au cortège – ce que contestent les forces de police auprès de nos confrères. Le parquet de Strasbourg doit maintenant déterminer si la responsabilité des forces de l'ordre est engagée puis décider de saisir, ou non, l'Inspection générale de la police nationale.
Quarante blessés graves
Lilian fait partie des 40 blessés graves à la suite d'un tir de lanceur de balles de défense (LBD) que franceinfo a recensés depuis le début du mouvement, le 17 novembre. Pour arriver à ce chiffre, nous nous sommes d'abord focalisés sur les blessures graves – écartant ainsi les hématomes plus ou moins importants – attribuées au flash-ball, le terme générique pour désigner ces armes non-létales utilisées dans le cadre du maintien de l'ordre.
>> On répond aux 10 questions que vous vous posez sur le flash-ball
Nous avons ensuite exploité la base de données du collectif contre les violences d'Etat, Désarmons-les !, qui recense, semaine après semaine, les cas de blessures qui sont signalés sur les réseaux sociaux avec quelques brèves informations sur les victimes. En s'appuyant sur ses membres présents à différentes manifestations, le collectif prend ensuite contact avec "au moins un intermédiaire, un proche de la victime" repéré sur les réseaux sociaux pouvant donner des précisions sur le contexte et le profil de la personne blessée.
Des cas restent à authentifier
Mardi 15 janvier, cette liste comptabilisait 97 blessés, après le neuvième samedi de mobilisation des "gilets jaunes", par grenades et tirs de LBD supposés. Nous avons croisé les quelques informations disponibles sur le site – le prénom, la première lettre du nom de famille et l'âge de l'individu ainsi que le lieu et le jour de la blessure – avec les photos de victimes de tir de flash-ball qui circulent massivement sur les pages Facebook des "gilets jaunes". Les quarante cas recensés ont été définitivement authentifiés grâce à des articles parus dans des médias locaux et nationaux.
Nous n'avons comptabilisé que les victimes dont les blessures avaient été vérifiées par au moins un article de presse écartant ainsi d'autres victimes potentielles sur lesquelles nous n'avons pas encore pu obtenir davantage d'informations. Parmi les 40 personnes recensées, franceinfo a ainsi dénombré 9 mineurs sérieusement blessés et 12 personnes éborgnées.
Cinquante autres cas de blessures par LBD repérés sur les réseaux sociaux n'ont pas pu être clairement identifiés par franceinfo, car aucun média fiable n'a repris l'information, confirmant la blessure, l'identité de la personne blessée ou le projectile à l'origine de la blessure. Afin que ce recensement soit le plus précis possible, franceinfo lance un appel à témoignages.
>> Vous avez été blessé par un tir de flash-ball ? Racontez-nous
Si vous avez vous-mêmes été atteint par un tir de lanceur de balle de défense lors ou en marge d'une manifestation de "gilets jaunes", n'hésitez pas à nous envoyer votre témoignage, accompagné si possible d'un certificat médical attestant de la blessure.
Rappel à l'ordre du patron de la police
Plusieurs tentatives de recensements des violences policières ont été lancées depuis le début des manifestations des "gilets jaunes". Mardi 15 janvier à la mi-journée, le journaliste indépendant David Dufresne en était ainsi à son 298e signalement adressé au ministère de l'Intérieur via Twitter, compilant tous types de blessures lors des défilés. De son côté, Libération, via Checknews, avance le chiffre de 94 blessés graves parmi les gilets jaunes et les journalistes, dont 69 par des tirs de lanceur de balle de défense.
Face à ces nombreux témoignages, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a été interpellé lundi lors d'un déplacement à Carcassonne (Aude) au sujet des violences policières. "Je ne connais aucun policier, aucun gendarme qui ait attaqué des 'gilets jaunes'. Par contre, je connais des policiers et des gendarmes qui utilisent des moyens de défense, a-t-il répondu face à la caméra de TV Carcassonne. Quand [les forces de l'ordre] sont effectivement acculées, elles utilisent [ces] moyens."
allo @Place_Beauvau - c'est pour un signalement - 300 (édition spéciale)
— David Dufresne (@davduf) 15 janvier 2019
Rappel à la loi ?
«Toute autorité constituée qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République». pic.twitter.com/peHGORtAZm
Reste que l'utilisation des lanceurs de balles a été particulièrement importante depuis le début du mouvement. Au point que le directeur général de la police nationale, Eric Morvan, a rappelé ses troupes à l'ordre. D'après un document obtenu par France 3, il a envoyé mardi 15 janvier un télégramme aux policiers rappelant les conditions d'utilisation des LBD, en insistant notamment sur le respect des "intervalles de distance" et de l'obligation de "viser exclusivement le torse ainsi que les membres supérieurs ou inférieurs". Eric Morvan exige également le "respect très strict des dispositions contenues dans ce message".
Les policiers y ont davantage recours
Selon les informations recueillies par franceinfo, les tirs de LBD 40 – un modèle muni d'un viseur, à la portée plus élevée, avec une crosse à la manière d'un fusil – sont dix fois moins élevés du côté des gendarmes que du côté des policiers, alors que ces derniers sont pourtant moins nombreux sur le terrain depuis le début du mouvement (sur les 89 000 forces de l'ordre mobilisées au plus fort du dispositif le 8 décembre, 65 000 étaient des gendarmes).
Sollicité, le ministère de l'Intérieur refuse de communiquer sur la provenance des tirs de LBD 40. Toutefois, au 15 janvier, l'Inspection générale de la Gendarmerie nationale n'avait pas encore été saisie par la justice. De son côté, l'IGPN, la police des polices, a fait l'objet de 243 signalements, 81 saisines judiciaires et deux administratives (réclamées par le préfet), toutes violences policières présumées confondues, selon des informations recueillies par France 3.
Selon un gradé de la gendarmerie contacté par franceinfo, cette différence s'explique par l'usage qui est fait du LBD40. Côté gendarmerie, ce sont prioritairement les gendarmes mobiles qui l'utilisent. Côté police, des fonctionnaires de la BAC et de la BRI, qui ne sont pas des professionnels du maintien de l'ordre, sont également habilités, à l'instar des CRS, à en faire usage lors des manifestations. Ce qui peut expliquer l'inflation des tirs, comme le regrette un représentant des CRS au sein du syndicat Unsa-Police sur Arte.
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