Insultes, menaces, gifles… Où commencent les violences conjugales ?
Souvent associées à la maltraitance physique, les violences conjugales se manifestent sous des formes très différentes et infiltrent tous les aspects de la vie de la victime.
Un poignet saisi, un téléphone confisqué, une gifle… Après la révélation du dépôt d'une main courante visant le député du Nord Adrien Quatennens, le parlementaire de La France insoumise (LFI) a reconnu dans un communiqué, dimanche 18 septembre, des faits de violences sur son épouse, "dans un contexte d'extrême tension et d'agressivité mutuelle". Une actualité politique qui remet sur le devant de la scène médiatique la notion parfois mal comprise des violences conjugales.
Au cœur du débat sur cette notion, il y a d'abord une distinction fondamentale : "La violence, ce n'est pas le conflit conjugal", explique la militante féministe Ernestine Ronai, responsable de l’observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis. "Dans un couple ordinaire, évidemment, il va y avoir des désaccords, mais on reconnaît l'altérité de l'autre et on résout le conflit par la parole, le compromis. La violence, c'est tout à fait autre chose", insiste cette pionnière de la lutte contre les violences conjugales en France.
"Il y a un agresseur qui domine et une victime qui subit. C'est toujours le même qui a le pouvoir."
Ernestine Ronai, responsable de l’observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denisà franceinfo
Une analyse que partage Johanna Dagorn, sociologue à l'université de Bordeaux. La chercheuse, qui a publié en août une large étude sur les violences conjugales en milieu rural, l'affirme : "Les violences dans le couple commencent au moment où l'un des deux cherche intentionnellement à avoir le pouvoir sur l'autre" par différents moyens, résume-t-elle.
Le continuum des violences conjugales
Associé dans l'inconscient collectif à la maltraitance physique, aux coups et aux bleus, le phénomène prend en réalité des formes très différentes et infiltre tous les aspects de la vie de la victime. Les violences psychologiques, le harcèlement, les violences sexuelles, mais aussi les violences économiques et administratives constituent le continuum des violences conjugales. Lorsque la victime se trouve privée par son conjoint de moyens de paiement, de l'accès au compte bancaire commun, ou encore dépourvue de son livret de famille ou de son passeport, "il est question là aussi d'exercer son pouvoir", analyse la sociologue. Il s'agit donc également d'une forme de violence. En 2020, 87% des victimes de violences conjugales étaient des femmes, d'après les chiffres du ministère de l'Intérieur.
Pour y voir plus clair, plusieurs associations féministes, dont le Centre Hubertine Auclert, ont mis au point un "violentomètre", outil de sensibilisation qui prend la forme d'une échelle graduée du vert au rouge. La victime est considérée en danger en cas de menaces, d'humiliations, ou encore de violences physiques.
Quelle que soit leur nature, ces violences s'inscrivent toujours dans un contexte précis qui fonctionne comme un terreau fertile. D'après la sociologue, qui a interrogé plus de 10 000 victimes durant ses années de recherche, l'isolement de la personne violentée est constaté dans la grande majorité des cas. "Quand ce n'est pas un isolement physique, c'est un isolement moral instauré par le conjoint. Les femmes ont alors l'impression que personne ne les comprend", explique-t-elle.
"Une fois que l'estime de soi de la victime est dégradée, c'est beaucoup plus facile de commettre des violences."
Johanna Dagorn, sociologue à l'université de Bordeauxà franceinfo
Ce processus renforce encore le phénomène d'emprise du bourreau sur sa victime. L'estime de soi de cette dernière est aussi fortement dégradée. "Les mécanismes sont toujours les mêmes : l'agresseur met la personne sur un piédestal en usant de stéréotypes positifs, 'la bonne mère de famille, la fille bien', avant de les retourner contre elle. La bonne mère de famille devient alors une 'salope'."
Pas de notion dans le Code pénal
Le droit pénal n'apporte pas une définition plus précise des violences conjugales. "C'est une notion qui est avant tout sociale et qui ne figure pas dans le Code pénal. Elle permet seulement d'identifier les faits que l'on a en face de soi lorsqu'on est magistrat ou avocat", explique Victoria Vanneau, historienne du droit et autrice du livre La Paix des ménages. Histoire des violences conjugales (Anamosa). "Dans le droit, ce que l'on qualifie de violences conjugales peut concerner la violence volontaire, le harcèlement moral, des injures, des menaces de mort... Il peut s'agir d'un acte unique comme répété", énumère Audrey Darsonville, professeure de droit pénal à l'Université Paris Nanterre.
Ces délits et ces crimes ont, eux, des définitions précises ainsi que des peines prévues dans le Code pénal. Plus le préjudice est élevé, plus la peine pourra être importante. Pour estimer précisément ce préjudice, un médecin évalue le retentissement psychologique ou physique de ces violences sur la victime et prononce un nombre de jours d'incapacité totale de travail (ITT).
Ainsi, le fait de harceler son conjoint, "par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale" est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsque ces faits ont causé huit jours ou moins d'ITT (article 222-33-2-1 du Code pénal). En cas de violences volontaires ayant entraîné plus de huit jours d'ITT, le conjoint risque jusqu'à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (article 222-12,6°). Le viol, enfin, est un crime passible de quinze ans de réclusion criminelle. Cette peine peut être majorée à vingt ans en cas de viol entre époux, partenaires pacsés ou concubins (article 222-22).
Ces définitions et ces sanctions évoluent elles aussi avec le temps. Alors que les violences commises par le conjoint sont dorénavant considérées comme une circonstance aggravante susceptible d’augmenter la peine encourue, le viol conjugal n'était, jusque dans les années 1980, pas reconnu dans le droit français. Une évolution récente de la législation, fruit d'un travail de longue haleine des mouvements féministes.
Les violences conjugales ont ainsi toujours existé, mais leur acceptabilité est en décrue. "La notion de violences conjugales est avant tout le résultat de l'évolution des rapports sociaux entre les hommes et les femmes, explique l'historienne Victoria Vanneau. Plus leurs rapports tendent vers l'égalité, moins les violences de l'un sur l'autre sont acceptées."
_____________________________
Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes confrontés à de la violence au sein de votre couple, il existe un portail de signalement gratuit, anonyme et disponible 24h/24, arretonslesviolences.gouv.fr. La ligne d'écoute Violences Femmes Info est également joignable 24h/24 et 7j/7 au 3919.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.