"Touche pas à mon poste" : pourquoi Cyril Hanouna a toujours résisté aux polémiques (pour l'instant)
Le présentateur vedette de C8 a piégé des homosexuels, jeudi, après avoir diffusé une fausse annonce sur un site de rencontre gay, provoquant l'indignation des téléspectateurs. Ce n'est pas la première fois que l'animateur dépasse les bornes.
La polémique de trop ? Cyril Hanouna, présentateur vedette de C8, a piégé en direct, jeudi 18 mai, des homosexuels dans son émission "Touche pas à mon poste". Après avoir créé un faux profil d'homme bisexuel sur un site de petites annonces, il a répondu aux appels des hommes intéressés par une rencontre, en prenant une voix et une posture efféminées.
Sympa la blague de Hanouna. Ça rappelle pas du tout la flippe de tomber lors d'un rencard sur un faux profil homophobe qui veut nous buter.
— Silver (@SilverBD) 19 mai 2017
La séquence, jugée choquante et homophobe par de nombreux internautes, a suscité plus de 20 000 signalements auprès du Conseil supérieur de l'audiovisuel, selon un bilan daté du lundi 22 mai. Un record.
Cyril Hanouna n'en est pourtant pas à sa première polémique. Mais même après avoir déféqué dans la chaussure d'un animateur, fait croire à l'un d'entre eux qu'il avait tué quelqu'un et poussé une chroniqueuse aux yeux bandés à lui toucher le sexe, l'animateur semble indemne. Pourquoi n'a-t-il pas été inquiété jusqu'à présent ? Franceinfo s'est penché sur la question.
Parce que le CSA ne sanctionne qu'en cas de récidive
Parmi ses missions, le "gendarme" de l'audiovisuel public est censé veiller "au respect de la dignité de la personne humaine dans les médias audiovisuels". Mais, et le Conseil tient à la précision, il n'est pas "un organe de censure". Dans le but de respecter la liberté d'expression, son échelle de sanctions est progressive.
L'instance peut d'abord décider d'une mise en garde, un premier avertissement. "Touche pas à mon poste" a déjà fait l'objet de remontrances de type. D'abord pour une émission d'avril 2016, au cours de laquelle Cyril Hanouna a fait mine de refuser de rendre l'antenne après qu'un de ses chroniqueurs a été giflé par Joey Starr. Puis pour une émission de septembre 2016 : le CSA reprochait à l'animateur une "agression verbale" à l'encontre de l'un de ses chroniqueurs, Matthieu Delormeau.
Plus sérieux, l'émission a écopé d'une mise en demeure, après qu'un chroniqueur, Jean-Michel Maire, a embrassé la poitrine d'une invitée en octobre 2016, malgré ses refus répétés. Le Conseil dénonçait alors les "préjugés sexistes" et l'"image dégradante de la femme" véhiculés par cette séquence. La mise en demeure est la dernière chance pour l'émission concernée d'appliquer les consignes du CSA. Si, après cela, le Conseil constate un nouveau manquement du même type, il peut appliquer une sanction, qui peut aller de l'interdiction du programme aux moins de 12 ans à l'interdiction de diffusion.
La séquence de jeudi pourrait constituer une récidive du même motif juridique que des manquements déjà sanctionnés par une mise en demeure. Contacté par franceinfo, le CSA n'a pas souhaité réagir, pour ne pas prendre le risque de casser la procédure. Deux procédures de sanction sont déjà en cours à l'encontre de C8. L'une, pour "atteinte au respect de la personne humaine", après que Cyril Hanouna a mis en scène un faux crime dans son émission et incité Matthieu Delormeau à en assumer la responsabilité. L'autre, pour sexisme, après que l'animateur a poussé une chroniqueuse, les yeux bandés, à poser la main sur son entrejambe.
Parce qu'aucune plainte n'a été déposée
Plusieurs des séquences qui ont fait polémique chez Cyril Hanouna aurait pu constituer un motif de plainte devant la justice. Cela n'a jamais été le cas. Sonia Riffy, la jeune femme embrassée sur la poitrine sans son consentement, y avait par exemple renoncé. "Je lui ai dit que je ne porterai pas plainte contre lui, que je ne voulais pas lui prendre de l’argent ni briser sa carrière", avait-elle expliqué à Slate.fr. Les faits pouvaient pourtant relever de l'agression sexuelle, analysait notre blogueuse Judge Marie. "Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise", stipule en effet l’article 222-22 du Code pénal.
Aucune plainte n'a été déposée après les accusations répétées d'homophobie. Mais cette fois, l'association Le Refuge y songe. "Le Refuge n'est pas une association procédurière, mais elle est aujourd'hui en colère et triste, explique à franceinfo son avocat, Charles Bernier. Depuis quelques années, on a une augmentation très significative des actes homophobes. Alors quand quelque chose de cet ordre-là prend une dimension publique, l'association est vigilante."
@csaudiovisuel : Selon Président @lerefuge, 1 des victimes canular de @Cyrilhanouna a appelé "dans 1 état de détresse morale épouvantable" pic.twitter.com/T14Dk0R9vY
— Jean Louis Gagnaire (@JLGagnaire) 22 mai 2017
L'association examine la possibilité de porter plainte pour deux chefs éventuels d'accusation : incitation à la haine ou injure. Selon Charles Bernier, deux facteurs décideront ou non l'association : la volonté de ses membres d'aller ou non en justice et surtout "la manière dont Cyril Hanouna va nous dire dans quel esprit il se situe aujourd'hui". "Je l'attends", dit-il.
L'avocat Mathieu Simonet voit aussi, dans une tribune pour L'Obs, un autre motif de plainte : la violation du droit à la vie privée. "C’est pourquoi les articles 226-1 et 226-2-1 du Code pénal punissent de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende le fait (...) de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui : 1° en captant, enregistrant ou transmettant sans le consentement de leur auteur, des paroles (présentant un caractère sexuel) prononcées à titre privé ou confidentiel", écrit-il. Mais il faudrait pour cela que l'une des victimes porte plainte en personne. Ce qui, à ce jour, n'a pas été fait.
Parce que C8 défend jusqu'à présent son champion
Cyril Hanouna est devenu l'animateur vedette du groupe Canal+ sous l'ère Bolloré. La semaine passée, du lundi 15 au vendredi 20 mai, l'émission a réuni en moyenne 1 421 000 téléspectateurs, soit une part de marché de 6,1% sur l'ensemble du public. C8 se vante même d'être la deuxième chaîne nationale sur le créneau des 15-34 ans, avec 13,4% de part d'audience. Avec un tel succès et à un créneau horaire si exposé, l'émission "représente même près de 50% du chiffre d'affaires" global de la chaîne, affirme un connaisseur du secteur aux Echos.
Jusqu'à présent, le groupe n'a jamais lâché sa poule aux œufs d'or. Lors de la polémique autour de Sonia Riffy, le patron de C8, Franck Appietto, a bien reconnu un "geste inconvenant", mais en le dédramatisant. "Je connais bien aussi Jean-Michel [Maire], je pense qu'il ne pensait pas du tout mal agir en faisant ça. Le 17 octobre, Soraya est venue sur le plateau, elle a déclaré accepter les excuses. Elle-même a trouvé que c'était un petit peu surdimensionné."
Rebelote ce mardi 23 mai. "Je comprends très bien qu'il y a des gens qui ont été heurtés et, évidemment, je le regrette, mais je ne vais pas m'excuser au-delà de ce qu'a fait Cyril", a réagi Franck Appietto sur Europe 1 après le canular téléphonique polémique. Lui évoque une blague "mal interprétée" et propose aux associations anti-homophobie de le "contacter" pour diffuser sur les antennes du groupe "un spot pour les soutenir parce que nous combattons l'homophobie depuis toujours".
Problème, ces polémiques à répétition semblent refroidir les annonceurs, interpellés par les détracteurs du programme sur les réseaux sociaux après cette nouvelle polémique. Malgré les très bonnes audiences de l'émission, plusieurs marques dont Décathlon, PSA, Flunch et Bosch ont décidé, lundi 22 mai, de suspendre leurs campagnes de publicité diffusées au cours de "Touche pas à mon poste". Une situation problématique pour le groupe de Vincent Bolloré car "TPMP" est le "principal produit d'appel de la régie de Canal+", fait remarquer dans Le Figaro Philippe Nouchi, le directeur de l'expertise médias de Publicis Média.
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