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"Winter is coming" : l'inquiétude du juge français à la Cour européenne des droits de l'Homme face à la montée des populismes

André Potocki, le juge élu pour la France qui siège à la CEDH estime que la progression des gouvernements populistes menace les libertés fondamentales.

Article rédigé par Clémentine Vergnaud
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
André Potocki, juge français à la Cour européenne des droits de l'Homme. (CONSEIL DE L'EUROPE)

"En Europe, des droits fondamentaux sont remis en cause, discutés, critiqués et parfois même largement ignorés." Dans les yeux bleus-gris d'André Potocki, l'inquiétude est visible. Le juge à la Cour européenne des droits de l'Homme élu pour la France siège au coeur de l'institution depuis près de huit ans. "Je ne suis pas vraiment un passionné de 'Game of Thrones' mais sur la démocratie, je peux dire : 'Winter is coming'." Celui qui a notamment été chef du service des Affaires européennes et internationales au ministère de la Justice dans les années 1990 se dit "profondément préoccupé".

La responsabilité des politiques

À l'approche des élections européennes du 26 mai, il multiplie les allusions au scrutin et aux menaces qui pèsent selon lui sur les libertés fondamentales en Europe. "Les valeurs des droits de l'Homme sont à défendre par chacun d'entre nous, alerte-t-il. Les responsables politiques, peut-être confrontés à des échéances à bref délai ou à des difficultés très concrètes, ne mesurent pas toujours la responsabilité qui est la leur dans la protection de ces valeurs." Le magistrat n'épargne pas pour autant les juges nationaux, "premiers défenseurs de ces droits fondamentaux" d'après lui, ni les citoyens, qui doivent à son avis être plus impliqués dans la protection de leurs droits. "Il leur appartient de les défendre."

Alors que de plus en plus de pays européens sont gouvernés, seul ou au sein d'alliances, par des mouvements populistes – la Hongrie, l'Italie, la Pologne, la République Tchèque et l'Autriche André Potocki s'inquiète d'une forme de "régression assez fascinante pour certains" de la démocratie dans ces États, parfois qualifiée de "démocratie illibérale" ou "d'autoritarisme électif". "Cela donne l'impression à certains que la vie serait plus simple, que nos pays seraient mieux gouvernés si la démocratie y était simplement réduite à des élections à intervalles réguliers, et dans lesquelles on laisserait de côté les droits fondamentaux." Il critique les restrictions menées en parallèle à l'encontre de la liberté de la presse, d'expression ou de manifestation. "Tout cela est le cœur battant de la démocratie. Il n'y a pas de démocratie sans cette sorte de bouillonnement qui est le cœur de nos vies."

Inquiétude face aux candidatures eurosceptiques

Dans ce contexte, l'Europe, qui selon lui "nous a permis de vivre de façon pacifique, développée et ensemble", pourrait elle aussi pâtir du développement de ces populismes à l'occasion des élections européennes. "Je peux être inquiet à l'idée que certains se présentent ou présentent des listes avec l'idée exprimée d'envoyer au Parlement européen des gens qui sont opposés à l'Europe et qui pourraient donc avoir l'idée de bloquer le système", déplore-t-il. 

Il reconnaît cependant volontiers que "les critiques à l'égard du fonctionnement des institutions européennes sont toujours porteuses de quelque chose que l'on doit écouter". Dans cette optique, le scrutin du 26 mai devrait selon lui aboutir à "une interpellation forte à réfléchir à ce qui fonctionne et ce qui doit être amélioré". Il prévient cependant : "Attention, les critiques sont comme les remèdes. A bonne dose, elles guérissent ; à dose trop massive, elles empoisonnent."

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