La recherche, l'avenir de Florange ?
Hollande a annoncé la création d'une plateforme de recherche publique près du site lorrain d'ArcelorMittal. Une initiative bienvenue, mais qui ne suffit pas à rassurer syndicats et employés. Reportage.
Cette fois, il n’y a pas de camionnette. Pas de foule joyeuse pour l’accueillir, pas de stand merguez fumant sous le soleil. Mais juste une petite estrade, soigneusement installée à l’abri du bâtiment administratif, et un ciel gris comme la pluie qui tombe, jeudi 26 septembre, sur le site ArcelorMittal de Florange (Moselle).
Les syndicats l’avaient prévenu : François Hollande n’avait pas intérêt à venir à Florange "les mains dans les poches". Le président de la République les a entendus : il a annoncé devant la presse la création d’une nouvelle plateforme publique de recherche et de développement à Florange.
Elle sera indépendante d’ArcelorMittal et dotée d’un budget de 20 millions d’euros dès 2014, pouvant aller jusqu’à 50 millions, pour financer des projets menés en partenariat avec des acteurs privés, a expliqué François Hollande.
Une initiative qui donne enfin une perspective d’avenir à une commune marquée par la fermeture, fin avril, des deux derniers hauts-fourneaux qui faisaient autrefois sa fierté. Mais elle ne suffit pas à rassurer totalement les employés.
"Garantir l’indépendance de la sidérurgie française"
La région n'a pas attendu cette annonce pour voir se développer une recherche métallurgique de pointe. Son centre névralgique ? La plateforme de recherche ArcelorMittal de Maizières-lès-Metz, la plus importante du groupe, qui emploie plus de 500 personnes. C’est notamment là que des chercheurs travaillent sur le projet LIS, un procédé de fabrication de l’acier à faible intensité carbone. Un projet voisin, Ulcos, avait été un temps présenté comme un débouché possible pour la "filière chaude" du site de Florange, avant d'être écarté.
Problème : les résultats obtenus dans ce centre, tout comme les procédés issus de la recherche passée d’ArcelorMittal, restent logiquement, brevets obligent, au bénéfice exclusif du groupe. C’est notamment le cas de l’acier Usibor, un acier allégé pour l’automobile, dont la demande est en forte croissance. Le site de Florange assure aujourd’hui une bonne partie de sa production. Mais celle-ci s’envolerait en cas, par exemple, de changement de propriétaire...
L’objectif du nouveau site est donc clair : "garantir l’indépendance de la sidérurgie française", selon les mots de François Hollande. Les 20 millions débloqués pour ce centre seront mobilisés dans le cadre des investissements d’avenir. Ils viennent s’ajouter au programme d’investissement du "Pacte Lorraine", annoncé la semaine précédente, et dont une partie concerne la filière métallurgique.
Les syndicats saluent le geste mais restent prudents
Edouard Martin, leader CFDT du site, s'est félicité de cette annonce, faite après une longue réunion d'explications nécessaires avec les syndicats. "Enfin l'Etat prend conscience du fait qu’il a intérêt à garder la main mise sur les brevets", commente la figure de proue du mouvement social de cet hiver. Pour lui, c’est une "lueur d’espoir" pour Florange.
Ses confrères ne sont pas tous aussi positifs. Du côté de la CGT et de FO, on salue l'installation de ce centre, mais avec des réserves. "C’est bien de faire de la recherche, mais on est loin du compte [sur les garanties industrielles]", déplore Norbert Cima, délégué syndical FO.
Leur premier sujet d’inquiétude, c’est l’avenir des 2 200 emplois restant sur le site d’ArcelorMittal après la fermeture des hauts-fourneaux. Ceux-là sont répartis sur ce que l’on appelle la "filière froide" - les activités de transformation de l’acier -, dite aussi "filière aval".
Une "filière aval" pas si stable que ça
Ces activités sont réparties en trois branches : la branche automobile, la branche industrie et la branche “packaging”, qui fabrique les emballages de type canette et boîte de conserve. Si les deux premières se portent bien, la dernière, dans le rouge selon les syndicats, est nettement plus problématique. Seule une ligne de fabrication sur deux est actuellement en fonctionnement.
Dans l’accord passé avec le gouvernement français, la direction d’ArcelorMittal s’est engagée à la pérenniser. Mais beaucoup ici en sont sûrs : Lakshmi Mittal n’a qu’une intention, la fermer, dès que le président aura le dos tourné. "Je l'ai dit [à François Hollande] : la filière packaging est très mal en point", martèle Walter Broccoli, secrétaire général FO.
"Au packaging, ils sont très inquiets. Ils connaissent leur job, ils comprennent", explique le syndicaliste à l’épaisse barbe grise, penché sur le petit bureau en mélaminé du local syndical.
"Ici, ça fera comme à Longwy"
Dans cette région marquée par l’extinction progressive de l’industrie sidérurgique, les comparaisons avec des précédents douloureux arrivent vite dans les esprits. Serge Bogus, 55 ans dont 38 dans la sidérurgie, n’a pas besoin d’aller chercher dans les livres d’histoire. Il était déjà là en 1981 à Longwy, pour la visite de François Mitterrand. "Il était venu nous dire : 'aucun boulon ne sera démonté'. Et ça a été fermé. D'abord les hauts-fourneaux, puis la filière froide… Ici, ça fera comme à Longwy."
En attente de reclassement, ce colosse souriant domine, avec son blouson et sa casquette rouge, la petite foule de militants rassemblés sous la pluie, devant l’entrée du site. Il est venu "montrer son mécontentement" au président mais n’attend "rien" du chef de l’Etat.
Les difficultés, François Hollande ne les a pas vues jeudi. Sa visite, sur proposition d’ArcelorMittal, s’est concentrée sur la ligne de galvanisation, la partie la plus moderne de l’usine, d’où sort justement l’acier de pointe Usibor. Une jolie vitrine, propre et lisse, pour rassurer le président de la République.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.