"Quand on joue avec la vie des gens…" Licencié, Antoine raconte sa procédure aux prud’hommes, réformés il y a deux ans par les ordonnances Macron
Depuis 2017, les indemnités prud’homales sont plafonnées, une mesure emblématique des ordonnances réformant le Code du travail. De quoi hésiter, pour Antoine comme pour beaucoup d'autres. Il a quand même décidé "d'y aller".
"J’ai longuement hésité à aller aux prud’hommes", confie Antoine, 32 ans, le regard triste. Le jeune homme a été licencié en avril 2018 pour des motifs qu’il conteste, alors qu’il occupait en CDI un poste de cadre dans le milieu associatif. "J’ai hésité parce que les indemnités sont très peu élevées par rapport au coût que ça a, aussi bien financier, en énergie et en temps dépensé, explique-t-il. Mais j’y suis quand même allé, essentiellement pour le symbole et en espérant tout de même que le conseil de prud’hommes ne tiendra pas compte du barème."
Le barème qui encadre les indemnités, c’est bien là le cœur de l’affaire : depuis les ordonnances réformant le Code du travail, signées par Emmanuel Macron en direct à la télévision le 22 septembre 2017, les dommages et intérêts que touche un salarié qui attaque son employeur en cas de licenciement jugé abusif sont plafonnées. Quand, avant, les juges des prud’hommes avaient toute liberté pour évaluer le préjudice, aujourd’hui ils sont légalement contraints, par un minimum et un maximum, basés uniquement sur l’ancienneté dans l’entreprise.
Le barème, un principe "pas concevable"
Antoine, lui, a passé trois ans dans l'association qui l'employait. "Selon le barème Macron, j’aurai au maximum quatre mois de salaire, environ 9 000 euros, là où avant, c’était six mois minimum d’indemnités." Sans compter le remboursement de la formation qu’Antoine était en train de suivre au moment du licenciement, financée sur ses fonds propres à hauteur de 10 000 euros environ.
Son avocat va donc réclamer une somme supérieure à celle imposée par le plafond des ordonnances Macron. "C’est le principe même du barème qui n’est pas concevable, selon maître David Métin, avocat au barreau de Versailles. "Le juge est enfermé dans une cour de prison", avance-t-il en faisant référence à la fourchette écrite dans la loi. Lui plaide "pratiquement tous les jours" au-delà du barème.
Le droit social est la seule matière en France qui est barémisée. Comment peut-on admettre ça ?
Maître David Métinà franceinfo
Si les avocats sont nombreux à réclamer des dommages et intérêts supérieurs au barème, parfois, les juges tranchent également au-delà de ce plafond. Ils mettent en avant, pour expliquer ce non-respect apparent de la loi, le fait que cette réforme est contraire à deux conventions internationales. Deux cours d’appel doivent se prononcer à ce propos dans quelques jours, après un avis rendu par la cour de cassation cet été, qui validait le barème.
Une procédure "très longue et fastidieuse"
Antoine, lui, a l’impression de réaliser un parcours du combattant, pour son affaire : "Il faut monter tout un dossier, réunir beaucoup de pièces (des écrits, des témoignages), expliquer toute la chronologie des événements à l’avocat. Ce n’est pas évident, il faut être rigoureux, contacter des gens, obtenir des témoignages... C’est vraiment très long et très fastidieux, ça m’a pris énormément de temps : des dizaines d’heures, beaucoup d’énergie."
Tant que justice n’est pas rendue, tant que le préjudice financier, moral, n’est pas réparé, c’est quelque chose qui nous hante.
Antoineà franceinfo
Du temps, il en faut aussi pour voir aboutir sa procédure : il a saisi le conseil des prud’hommes en février 2019, une première conciliation est prévue en décembre. Le jugement est espéré courant 2020. "Ce sont des délais très, très longs. Il ne faut pas oublier que pendant tout ce temps-là, on essaie de passer à autre chose mais ce n’est pas simple. Ce sont des démarches lourdes, et si elles ne sont pas réparées à leur juste valeur, on se pose beaucoup de questions."
Une dimension symbolique
"Moi, ça m’a coûté 2 500 euros pour monter le dossier, mais il y a aussi plein d’autres frais, confie Antoine. J’avais 400 pages à imprimer, il faut prendre la voiture, recueillir des témoignages ou autres… On ne peut compter que sur nous-mêmes. C’est très difficile de mobiliser les gens une fois licencié, le regard change beaucoup."
Malgré tout, il veut aller jusqu’au bout de la procédure. "J’ai l’espoir que le conseil de prud’hommes tiendra compte de ma situation, qu’il passera au-delà de ces barèmes, pour réparer vraiment le préjudice, à la hauteur où il doit l’être. Et, bien sûr, pour la dimension symbolique. Quand on joue avec la vie des gens, quand on les met au chômage, dans des difficultés vraiment très graves... J’ai connu des moments très difficiles… Je veux que l’association soit condamnée."
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