Électricité : "La grande coupure, je n'y crois pas beaucoup", assure un spécialiste qui s'inquiète plutôt pour "les deux ou trois années à venir"
La France a perdu son savoir-faire en matière nucléaire et "on n'est pas du tout assuré d'avoir le gaz nécessaire", pointe l'économiste Elie Cohen. "On n'est sans marges de manœuvre. Chaque année, il va falloir se poser la question de l'équilibre".
"La crainte de la grande coupure, je n'y crois pas beaucoup" pour cet hiver "il n'y a pas de raison de paniquer", a abondé mercredi 7 décembre sur franceinfo Elie Cohen, économiste, spécialiste des questions relatives à la souveraineté industrielle et directeur de recherche au CNRS, alors qu'Emmanuel Macron a tapé du poing sur la table mardi après les propos du porte-parole d’Enedis qui affirmait que les personnes sous respirateur artificiel à domicile ne seraient pas prioritaires en cas de délestage. Le chef de l’État a dénoncé "les scénarios de la peur". Mais Elie Cohen est moins optimiste pour "les deux ou trois années à venir" car, selon lui, la France à perdu son savoir-faire en matière nucléaire et "on n'est pas du tout assuré d'avoir le gaz nécessaire", explique-t-il. "On est sans marges de manœuvre", assure-t-il.
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franceinfo : Le président de la République a-t-il raison de faire baisser la pression ?
Elie Cohen : Il n'y a pas de raison de paniquer. Jusqu'à présent EDF qui avait un certain nombre de centrales à l'arrêt pour des raisons d'entretien, pour des défauts constatés, s'était engagée sur des remises en route qui sont tenues pour le moment. Il y avait 30 tranches qui fonctionnaient en septembre, il y en avait 32 mi-septembre, il y en a 37 aujourd'hui sur 56. Pour le moment, EDF tient son programme de reconnexion au réseau. La question par contre c'est que nous sommes entrés dans cette crise avec un niveau de marge de sécurité très faible. Le réseau était en tension avant même qu'il y ait ces incidents. La vraie question est comment en est-on arrivé là ? Pour le reste, la crainte de la grande coupure, je n'y crois pas beaucoup.
La France a perdu son savoir-faire en matière du nucléaire ?
Absolument. Ce qui est très frappant c'est qu’en 2008 déjà, on pensait lancer de nouvelles tranches d’EPR après le lancement de Flamanville [Manche].
"Dans la décennie qui s'est écoulée, non seulement on n'a rien construit, mais on a passé son temps à tergiverser, à procrastiner, à hésiter."
Elie Cohen, économiste, spécialiste des questions relatives à la souveraineté industrielleà franceinfo
Et la situation aujourd'hui, c'est le résultat à la fois d'un déficit de capacité et d'un concours de circonstances malheureux comme le Covid qui a retardé les programmes d'entretien, et avec les difficultés accidentelles. On n'est sans marges de manœuvre, on n’a pas de capacité sous le coude. Aujourd'hui, chaque pépin d'une centrale nous fait poser la question de la grande coupure, ce qui n'avait jamais été envisagé jusque-là. Penser que nous dépendons déjà très largement de nos importations d'Allemagne, d'une électricité produite par du charbon pour tenir aujourd'hui, montre à quel point on a laissé se dégrader notre souveraineté énergétique.
C’est une sorte de répétition générale de ce qui nous attend les hivers prochains ?
Oui. Cet hiver, nous avons passé le cap avec nos approvisionnements traditionnels, avec ce qui restait de centrales au charbon, avec les centrales au gaz qu'on a pu faire fonctionner grâce au stock de gaz accumulés. La question pour l'année prochaine, c'est qu'on n'est pas du tout assuré d'avoir le gaz nécessaire pour faire tourner les centrales au gaz. Normalement, on doit décommissionner ce qui reste de centrales au charbon. Nous n'avons pas de marge en nucléaire. Chaque année, il va falloir se poser la question de l'équilibre. Pour les deux ou trois années à venir, nous n'avons pas la capacité qui nous aurait permis d'être totalement sécurisé.
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