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Sobriété énergétique : est-ce vraiment utile d'éteindre la lumière ?

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
L'éclairage public représente "un gisement d'économies d'énergie", selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, car le parc français est vétuste. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

Les publicités lumineuses, les bureaux qui restent allumés et les lampadaires dans la rue représentent-ils une source d'économies d'énergie ? Franceinfo s'est demandé si les éteindre était une idée lumineuse pour réduire la consommation française d'électricité. 

Il a sonné la "mobilisation générale" pour la "chasse au gaspillage énergétique". Lors de son interview du 14-Juillet, Emmanuel Macron a annoncé un "plan de sobriété". Objectif : faire en sorte que la France puisse traverser l'hiver sans coupure d'électricité alors que les pays de l'Union européenne se sont accordés mardi pour réduire de 15% leur consommation de gaz – et donc leur dépendance à la Russie – en pleine guerre en Ukraine. "On va d'abord essayer de faire attention collectivement, le soir, aux éclairages, quand ils sont inutiles", a expliqué le président de la République.

Les lumières nocturnes des bureaux et des commerces ou les écrans publicitaires numériques dans les gares sont souvent évoqués lorsqu'il s'agit de traquer les sources de consommation électrique superflues. Mais que représentent-elles réellement dans la consommation du pays ? Franceinfo tente d'éclairer la situation.

Un levier symbolique pour la publicité lumineuse

Dans les gares, dans les couloirs du métro, dans les vitrines de commerces… Les écrans LCD publicitaires sont l'une des cibles des élus écologistes. David Belliard, maire adjoint de Paris, s'y était attaqué lors de la dernière campagne des élections municipales à Paris. De son côté, la députée écologiste Delphine Batho avait déposé, en février 2020, une proposition de loi sur "l'interdiction de toute forme de publicité numérique et lumineuse dans l'espace public". L'ancienne ministre de l'Ecologie dénonçait "une aberration" et une "consommation inutile d'électricité".

Mais quelle est la consommation réelle de ces dispositifs ? Selon un rapport (PDF) de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), "un écran publicitaire LCD numérique de 2 m2 consomme 2 049 kWh par an, ce qui est proche de la consommation moyenne d'un ménage français pour l'éclairage et l'électroménager (2 350 kWh/an)".

Combien d'écrans de ce type sont installés en France ? Aucun recensement exhaustif n'existe. En revanche, la SNCF en dénombre 1 574 dans ses gares. La compagnie ferroviaire affirme à franceinfo que 2 914 seront installés d'ici à 2031. Selon elle, "les écrans numériques 70-75 pouces consomment plus de deux fois moins aujourd'hui qu'il y a dix ans". Par ailleurs, "le remplacement des supports papier par les écrans numériques permet de multiplier le nombre d'annonceurs sur un seul support", justifie aussi la SNCF.

De son côté, le gestionnaire du Réseau de transport d'électricité (RTE) classait en 2019 les panneaux publicitaires lumineux parmi les consommations "superflues". Dans un rapport de février 2022 (PDF), la réduction de ces écrans est toutefois présentée par RTE comme un "levier de sobriété" permettant de réaliser une économie de 0,5 TWh. Une miette au regard des 473 TWh de la consommation d'électricité globale en France en 2019, selon EDF.

"De manière plus anecdotique, la diminution de la publicité aura un impact sur les consommations énergétiques directement associées (écrans, affichages vidéo), ainsi que sur la consommation de biens au sens large."

RTE

dans un rapport de février 2022

En s'attaquant aux écrans publicitaires, la visée n'est donc pas forcément celle d'une économie d'énergie. Elle est aussi esthétique, politique, voire philosophique. A Lyon, une majorité d'élus de la métropole s'est accordée, en juin, "pour diminuer fortement la place de la publicité dans l'espace public". Les écrans seront retirés du métro lyonnais dès 2024. "Sobriété énergétique, sobriété cognitive, stop aux appels à surconsommer... Nous continuons d'agir pour l'intérêt général", avait fait valoir Benjamin Badouard, co-président du groupe des écologistes à la métropole de Lyon.

>> Publicité lumineuse : ce qui existe déjà, ce que veut faire le gouvernement, ce que demandent les associations

Un gain certain pour les lumières dans les bureaux et commerces

Il est encore fréquent, en France, de constater que des bureaux ou des commerces sont éclairés la nuit. Pourtant, la loi interdit ces éclairages nocturnes. Un arrêté ministériel relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses a été pris en 2018. Il dispose que "les éclairages de vitrines de magasins de commerce ou d'exposition sont éteints à 1 heure du matin au plus tard ou 1 heure après la cessation de l'activité si celle-ci est plus tardive et sont allumés à 7 heures du matin au plus tôt ou 1 heure avant le début de l'activité si celle-ci s'exerce plus tôt".

Ces éclairages maintenus la nuit ne sont pas le fruit d'actes délibérés mais de "méconnaissance", estime François Darsy, président de la commission éclairage intérieur du Syndicat de l'éclairage, interrogé par franceinfo. Un avis partagé par Dany Joly, membre du conseil d'administration de l'Association française de l'éclairage et responsable de l'éclairage public à Nantes. La métropole a donc choisi en 2019 de sensibiliser les commerçants sur le sujet.

"A Nantes, des contrôles relèveraient de la police municipale. Elle a autre chose à faire, en pleine nuit, que d'aller vérifier si les vitrines sont bien éteintes."

Dany Joly, responsable de l'éclairage à Nantes

à franceinfo

Que représente l'éclairage nocturne de commerces et de bureaux ? Impossible de l'estimer précisément. Mais selon le Syndicat de l'éclairage, l'ensemble de la consommation électrique liée à l'éclairage, diurne et nocturne, représente 42 TWh. Parmi les premiers postes se trouvent l'éclairage domestique (7,13 TWh), celui des bureaux privés (7 TWh), et celui des commerces (7 TWh).

Aussi visibles soient-ils, ces éclairages nocturnes "ne représentent pas les plus fortes consommations", observe Gilles Aymoz, directeur adjoint de l'Ademe en charge de ces questions. "Assez souvent, les importants postes de consommation d'énergie dans les bureaux sont le chauffage ou la climatisation. Cela peut aussi varier s'il y a beaucoup d'informatique ou non."

"Pour faire des économies à long terme, concernant les bureaux, nous devrons aller plus loin. Il va falloir travailler sur le mode d'isolation, de chauffage, sur des éléments plus structurels."

Gilles Aymoz, directeur adjoint de l'Ademe

à franceinfo

Face au risque de pénurie, l'extinction des éclairages nocturnes des bureaux et des commerces doit être appliquée rapidement, alerte toutefois Thomas Pellerin-Carlin, spécialiste des questions d'énergie à l'Institut Jacques Delors. "Chaque électron économisé, qui n'a pas besoin d'être produit pour générer de l'électricité, nous permet de consommer moins de gaz", explique-t-il. Et de noter qu'une telle mesure revêt aussi une dimension symbolique et psychologique :

"Il y a un effet indirect, qui montre à tout le monde que nous sommes dans une crise énergétique et qu'il y a besoin de faire des efforts."

Thomas Pellerin-Carlin, chercheur à l'Institut Jacques Delors

à franceinfo

Une mine d'économies d'énergie pour l'éclairage public

Depuis le 1er juillet, il n'y a plus d'éclairage public dans les rues de Cormeilles-en-Parisis (Val-d'Oise), entre 1h15 et 4h45. Cette ville de 23 000 habitants et 4 000 lampadaires a coupé le courant en raison de "l'explosion des prix de l'énergie", justifie le maire Yannick Boëdec dans Libération. La mesure doit permettre de réaliser une économie de 26% sur la facture d'électricité. L'argument est le même pour de nombreux autres édiles.

Ils ne s'y trompent pas : l'éclairage public représente "un gisement d'économies d'énergie", selon l'Ademe, puisqu'il pèse "41% des consommations d'électricité des collectivités territoriales", "16% de leurs consommations toutes énergies confondues, "37% de leur facture d'électricité". Or, une grande partie des équipements en France est vétuste et mal gérée, a épinglé la Cour des comptes en avril 2021. D'après l'Ademe, "près de 40% des luminaires en service ont plus de vingt ans" et "plus de la moitié du parc est obsolète".

>> INFOGRAPHIES. Pourquoi certaines communes éteignent leur éclairage public la nuit

A l'échelle nationale, la consommation annuelle de l'éclairage public, souvent justifiée par un impératif sécuritaire, est estimée à 6 TWh. Mais des économies d'énergie et une réduction du montant des factures peuvent être réalisées avec des équipements rénovés. François Darsy plaide ainsi pour une campagne de mise aux normes, dénonçant "la petite musique selon laquelle la meilleure rénovation serait l'extinction".

A Nantes, "nous sommes passés aux LED il y a cinq ans", raconte Dany Joly, et près d'un tiers des éclairages sont équipés de telles ampoules. La ville a également décidé de baisser la puissance lumineuse entre 20 heures et 6 heures. Résultat : la consommation d'électricité liée à l'éclairage public à Nantes a baissé de 50 GWh annuels en 2017 à 37 GWh en 2021. En voilà une idée lumineuse ?

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