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Vrai ou faux L'Union européenne est-elle responsable de l'augmentation du prix de l'électricité en France ?

En payant son électricité au prix du marché européen, la France augmente effectivement sa facture d'énergie. Il serait cependant très difficile de réformer ce marché ou d'en sortir. 

Article rédigé par franceinfo - Pierre Angrand-Benabdallah
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
La centrale nucléaire de Golfech, dans le Tarn-et-Garonne, le 6 janvier 2022. (JEAN-MARC BARRERE / HANS LUCAS / AFP)

Sur fond de guerre en Ukraine et de flambée des prix de l'énergie, le marché européen de l'électricité est devenu la cible des critiques de plusieurs candidats à l'élection présidentielle. "Les tarifs de l'électricité augmentent parce que l'Europe a arrimé les tarifs français aux autres pays", a dénoncé Eric Zemmour sur CNews le 2 mars. Une semaine plus tard, Valérie Pécresse a proposé sur BFMTV de "déconnecter exceptionnellement par décret le prix de l'électricité en France du prix du marché européen qui est indexé sur le gaz". "Je ne veux pas que l'électricité, qui est indexée sur le prix du gaz, augmente d'autant", a elle aussi lâché Marine Le Pen dans l'émission "Face à la guerre" sur TF1, cinq jours plus tard. Comment fonctionne ce marché européen ? Indexe-t-il vraiment le prix de l'électricité sur celui du gaz ? Est-il possible de le réformer ou d'en sortir pour alléger la facture des ménages français ?

L'éolien produit l'électricité la moins chère

Le marché européen de l'électricité a été mis en place dans les années 1990, au moment de la libéralisation et de l'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie, rappelle le Parlement européen. Comme tous les marchés uniques, celui-ci a un objectif clair : aligner les prix pour tous les pays membres et créer un prix de gros commun quels que soient les coûts de production nationaux. Conséquence : même si les producteurs français produisent de l'électricité à coût faible, ils la vendent au prix du marché européen.

"Les consommateurs français, roumains et grecs, ont accès à une électricité dont les prix se forment de façon égale."

Anna Creti, professeure d'économie à l'université Paris-Dauphine

à franceinfo

Le prix de l'électricité est fixé en fonction du coût de la dernière source d'énergie utilisée, expliquent les experts interrogés par franceinfo. Pour faire face à la demande, on fait appel aux sources de production par ordre de coût croissant : d'abord les énergies renouvelables (le solaire et l'éolien), puis l'hydraulique, le nucléaire et en cas de forte demande les centrales à gaz. Lorsque la demande est forte, en hiver par exemple, le prix d'équilibre en Europe est donc calqué sur le coût de fonctionnement des centrales à gaz, les plus onéreuses.

Cette logique a pour but de permettre au dernier moyen de production utilisé de rentrer dans ses coûts de fonctionnement. "Si on plafonne le prix d'équilibre à 70, celui qui a une centrale à gaz qui coûte 100 refusera de mettre sa production à disposition du marché alors qu'il est rémunéré 70. Or, on a besoin de ces centrales à gaz, puisque l'électricité ne se stocke pas. Du coup, tout le monde est payé au même prix", fait valoir Jacques Percebois, professeur émérite d'économie à l'Université de Montpellier.

Les centrales à gaz tirent les prix vers le haut

Problème : le prix du gaz a explosé depuis quelques mois, en raison notamment de la hausse de la demande avec la reprise économique post-Covid-19 . La guerre en Ukraine l'a encore fait grimper. Le cours de référence du gaz européen, le TTF néerlandais, a atteint le 7 mars un record à 345 euros le mégawattheure. Il reste très haut et entraîne dans son sillage celui de l'électricité. Celui-ci a même atteint, selon les chiffres fournis par RTE, les 700 euros du mégawattheure il y a une semaine, alors qu'il n'avait jamais dépassé les 100 euros à la même période il y a un an. 

Si ce prix de gros ne correspond pas tout à fait au prix de détail (celui payé par le consommateur), qui prend aussi en compte le coût d'acheminement et les taxes, il est cependant déterminant dans sa formation : il pèse environ un tiers. Ainsi, sans les mesures prises par le gouvernement, avec le bouclier tarifaire, la facture d'électricité du consommateur aurait été multipliée par 1,5 au mois de février, affirmait le ministre du Budget, Olivier Dussopt, sur Europe 1 le 11 mars.

Un marché qui profite à EDF

La principale critique faite en France à cette structuration européenne du prix de l'électricité consiste à dire qu'elle est problématique au regard du mix énergétique français. De fait, le gaz ne comptait que pour 6% du mix français en 2021, contre 69% pour le nucléaire, selon RTE. Une situation que Marine Le Pen oppose à celle de l'Allemagne. "On ne va payer non plus leur dépendance au gaz russe", s'agaçait-elle sur BFMTV le 1er mars. La critique est cependant un peu simpliste. 

En Allemagne, pour la première moitié de l'année 2021, seuls 14% de l'électricité étaient produits à partir de gaz naturel, selon l'institut Destatis, l'équivalent allemand de l'Insee. Le charbon (27%) et l'éolien (22%) étaient les principales sources de courant outre-Rhin, le nucléaire comptant pour 12%, Berlin misant surtout sur ces deux solutions après avoir acté la sortie de l'atome pour fin 2022. Reste que le mix énergétique français, reposant lui massivement sur le nucléaire, est très différent de ceux de ses voisins européens. "En Europe, le gaz représente entre 20 et 25% de la production électrique", estime Jacques Percebois. 

Pour les producteurs d'électricité français, qui produisent une électricité moins chère que leurs concurrents européens, cette structuration commune du prix constitue une manne financière appréciable, soulignent les experts.

"Tout le monde vend au même prix que les centrales à gaz. Donc pour ceux qui produisent moins cher, ça crée une rente."

Jacques Percebois, économiste

à franceinfo

"C'est un revenu non-négligeable. Sans la hausse des prix, EDF ne gagnerait pas autant d'argent, abonde Anna Créti. Même si EDF produit son électricité pour 60 euros, elle la vend aujourd'hui à 500."

La France a besoin d'importer de l'électricité

Plusieurs candidats à l'élection présidentielle ont affirmé vouloir sortir de ce marché (au moins temporairement) ou le réformer. Au sein même du gouvernement, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a qualifié en septembre sur Public Sénat ce système d'"aberrant" et d'"obsolète", tout en appelant à "le revoir de fond en comble". Tout cela est-il réellement envisageable ?

Il resterait de toute façon nécessaire de faire appel à un marché international de l'énergie. "Si on avait un marché national, on ne pourrait pas couvrir les besoins uniquement avec notre mix énergétique", explique Anna Creti. "Il est très fréquent en hiver que la France soit importatrice vers 18 heures, et exportatrice au milieu de la journée", détaille Thomas Reverdy, professeur de sociologie économique à l'université de Grenoble. Selon RTE, "l'année 2021 a compté 78 journées avec un solde journalier importateur, soit 35 journées de plus qu'en 2020". Devenir auto-suffisant en électricité est donc inenvisageable à court-terme.

"Si on n'importait pas d'électricité, on serait obligé de construire des nouveaux équipements, qui ne fonctionneraient pas en permanence et ne seraient donc pas rentables."

Jacques Percebois, économiste

à franceinfo

Pourrait-on cependant sortir de ce marché commun tout en continuant à importer ? "On pourrait très bien imaginer une solution beaucoup plus planifiée et régulée en France et continuer à échanger avec nos voisins sur le prix de gros. C'est ce que font un certain nombre d'États américains. Techniquement, c'est possible", affirme Thomas Reverdy. "On pourrait importer sans passer par le marché de gros, c'est d'ailleurs ce qu'on faisait avant, avec un marché aux frontières. On pourrait faire un marché national où le prix dépendrait du mix du pays, et limiter le marché de gros aux interconnexions", abonde Jacques Percebois.

Une réforme forcément "collective"

D'un point de vue pratique cependant, une réforme du marché commun serait extrêmement compliquée. Selon Anna Creti, "réformer ou sortir du marché prendrait plus de cinq ans". Même son de cloche du côté de Jacques Percebois : "La réforme ne peut être que collective. Si réforme il y a, elle sera concertée." Avec une décision qui doit être prise à l'unanimité des pays qui le composent, difficile d'imaginer un consensus émerger. D'autant qu'un certain nombre de pays, notamment en Europe de l'Est, n'ont aucun intérêt à sortir de ce marché.

Surtout, revenir sur le marché unique de l'électricité reviendrait pour beaucoup à remettre en cause la logique même de l'Europe. "Si on remet en cause le marché de l'électricité, on remet en cause tous les marchés communs, et même le principe de l'exportation et de l'importation", avance Anna Creti.

Sortir du marché, ça signifie remettre en cause les directives européennes, le marché unique… quasiment l'Europe."

Jacques Percebois, économiste

à franceinfo

Quid d'une sortie temporaire, "par décret" comme le propose Valérie Pécresse ? Impossible, répondent les experts interrogés. "Il faudrait que la France ne respecte plus les directives européennes, explique Jacques Percebois. Ou alors, il faudrait invoquer la force majeure. Mais à ce moment-là, il y en a qui vont dire qu'ils sortent du marché du gaz, d'autres du marché du soja ou du blé... Ce serait irresponsable."

Il existe une solution bien plus simple pour parer à la hausse du prix du gaz, avance l'économiste : "La solution idéale à court terme, c'est de réduire la demande aux heures de pointe, en trouvant des incitations pour moins consommer. Si on réduit la demande à ces heures-là, on n'aura plus besoin de faire appel aux centrales à gaz. Ça doit se faire au niveau européen, mais ce serait très efficace."

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