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Lits fermés, services en sous-effectif, salaire trop bas... Pourquoi le personnel de l'hôpital Cochin est en grève

Plusieurs milliers de membres du personnel des hôpitaux ont manifesté leur colère dans la rue, jeudi, dans plusieurs grandes villes. Nous nous sommes rendus à l'hôpital Cochin, à Paris, où des médecins, des infirmières et des cadres de santé, en grève larvée depuis huit mois, dénoncent leurs conditions de travail.

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'entrée des urgences de l'hôpital Cochin, à Paris, en janvier 2017. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

"Hôpital mort." Le mot d'ordre du personnel hospitalier pour la journée du jeudi 14 novembre est clair. Dans toute la France, des membres du personnel soignant et du personnel paramédical dénoncent la crise dans laquelle s'enfonce l'hôpital public. Et ce malgré les deux tentatives, dont le plan de "refondation", de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, pour sortir du conflit. Pourtant, Emmanuel Macron dit avoir "entendu la colère et l'indignation" du personnel soignant. 

A l'hôpital Cochin, dans le 14e arrondissement de Paris, tous les services ont déprogrammé leur rendez-vous, jeudi, en signe de protestation. Seules les urgences assuraient la continuité des soins. Cet établissement, comme 268 autres en France selon le collectif Inter Urgences, souffrant d'un manque de personnel, a dû fermer des lits et peine à recruter. Claire Lejeune, cheffe de service, Annabelle*, cadre de santé et Paul*, infirmier de nuit aux urgences, tous trois salariés de ce grand hôpital parisien, soutiennent le mouvement de grève. Ils se disent "motivés" et "déterminés."  Ils racontent à franceinfo pourquoi ils ont décidé de faire entendre leur voix.

Parce que Cochin est en sous-effectif 

Dans le service de médecine interne de la docteure Claire Lejeune, les seize médecins arborent un autocollant "en grève" sur leur blouse. "Cela fait des années qu'on nous demande de faire des efforts, de rendre des postes régulièrement, mais là c'est trop", lâche la cheffe de service qui officie à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l'AP-HP, depuis plus de quarante-cinq ans.

On prend en charge de plus en plus de monde et nous avons de moins en moins de personnel.

Claire Lejeune, cheffe de service

à franceinfo

Sept postes de manipulateurs radio ne sont pas pourvus à Cochin. Conséquence : un des deux scanners de l'établissement doit s’arrêter à 15 heures, au lieu de 20 heures, confirme l'AP-HP à franceinfo. "Dans un grand hôpital parisien comme Cochin, c’est juste impensable"  s'exclame la médecin, qui fournit une explication à cette pénurie. Selon elle, l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France, qui a récemment autorisé l'installation d'IRM (image par résonance magnétique) dans les cliniques de la région, "a permis à ces dernières de débaucher le personnel exploitant déjà formés dans nos hôpitaux". 

"Nous sommes tous très inquiets de l’avenir", confie la cheffe de service. En mai dernier, Sylvain Ducroz, le directeur des ressources humaines de l'AP-HP, le plus grand groupe hospitalier de France avec ses 39 établissements, expliquait au journal Le Monde sa difficulté à recruter, alors qu'il a 400 postes d'infirmiers vacants. Conséquence directe, à Cochin, 5 lits sur les 24 du service de rhumatologie ont dû être fermés, selon l'AP-HP. En tout, la cheffe de service estime à une vingtaine le nombre de lits fermés sur l'ensemble de l'établissement.

On essaie de compresser autant que possible les séjours hospitaliers, faute de lits et de personnel suffisant.

Claire Lejeune, cheffe de service

à franceinfo

La cadence imposée au personnel paramédical "rend fou également tout le monde" constate Annabelle*, cadre de santé, dont le rôle est notamment d'encadrer les infirmières. Depuis deux ans, les infirmiers et infirmières travaillent au rythme de deux semaines en matinée de "6h45 à 14h21", puis les quinze jours suivants de "13h50 à 21h26". "C'est impossible à tenir pour un personnel très féminin, avec des enfants en bas âge" observe la cadre, en poste à Cochin depuis vingt ans. "Régulièrement, j'ai des filles qui viennent pleurer dans mon bureau" se désole Annabelle, qui enchaîne sa deuxième semaine de service avec un week-end d'astreinte au milieu. Normalement, elles sont trois cadres de santé à se partager les permanences. Mais une des collègues d'Annabelle a démissionné et l'autre est en arrêt maladie.  

Parce que les salaires sont trop bas

Claire Lejeune, comme Annabelle, estime que l'attractivité des salaires est une des sources du problème. "Les infirmières viennent se former chez nous, s'épuisent pour des salaires compris entre 1 200 euros et 1 500 euros, puis elles partent dans le privé", analyse la cadre de santé. Difficile avec ces salaires de se loger à Paris. "J'ai des infirmières qui viennent tous les jours de Chartres [Eure-et-Loir] pour travailler, car c'est impossible pour elles de se loger sur Paris ou sa région."  Et avec les problèmes de transports, elles sont parfois contraintes de dormir à l'hôpital. 

Changer les malades, nettoyer leur chambre, encaisser la violence ou l'angoisse des patients font partie du quotidien du personnel paramédical. Aide-soignants, infirmiers, diététiciens, kinésithérapeutes ou encore assistantes sociales sont des métiers "en tension" et "mal payés" au sein de l'hôpital public, remarque Annabelle.

J'ai un gros turnover sur les assistantes sociales. J'ai eu encore une démission ce mois-ci d'un personnel qui a trouvé un poste moins stressant et payé 30% de plus dans le privé.

Annabelle, cadre de santé

à franceinfo

L'hôpital doit résoudre une équation impossible : il doit à la fois rester dans l'enveloppe budgétaire allouée et faire face aux coûts de plus en plus élevés du matériel. Impossible dans ces conditions d'augmenter les salaires.

Parce que "le rythme et la pression" épuisent le personnel

"On est en flux tendu" relate Paul*, infirmier au service des urgences de Cochin depuis cinq ans. Les jeunes qui arrivent dans le service ne restent pas longtemps, "épuisés par le rythme et la pression." Même si – après huit mois de grève – le service a obtenu le recrutement d'infirmières diplômées d'Etat (IDE). Mais "le service reste en sous-effectif", constate l'infirmier qui gagne 1 800 euros net par mois en devant notamment travailler un week-end sur deux.

Difficile aussi de recruter en intérim, remarque Annabelle, la cadre de soin. "Les infirmières qui s'inscrivent sur plusieurs sites d'intérim vont au plus offrant. Et quand l'agence d'intérim avec qui nous sommes en contrat nous dit 'C'est bon, vous aurez quelqu'un demain', nous ne sommes pas à l'abri que la personne ait trouvé mieux ailleurs entre-temps sans prendre la peine de nous prévenir." 

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés. 

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