: Infographies Inflation des produits alimentaires : les magasins de discount sont-ils les grands gagnants de la hausse des prix ?
Liliane pousse un chariot à demi rempli dans les allées d'un magasin Lidl, à Massy (Essonne). Cette retraitée rencontrée fin octobre a pris ses habitudes ici depuis quelques mois pour "continuer à se faire plaisir quand même". Elle a abandonné les autres enseignes, devenues trop chères pour son budget serré. Ici, elle peut, dit-elle, "encore acheter des fruits et des légumes, un peu de viande".
Comme cette cliente, de nombreux Français, en quête de prix plus bas, ont pris de nouvelles habitudes dans les supermarchés discount. La crise inflationniste entamée en 2021 – le taux d'inflation mensuel doit être publié mercredi 15 novembre – a grevé le budget alimentaire des ménages. D'après l'Insee, en mars 2023, au plus fort de la crise, les prix de l'alimentation étaient 15,9% plus élevés qu'un an auparavant.
En cause : la guerre en Ukraine, la reprise économique post-pandémie de 2021 et les aléas climatiques qui ont fait flamber les prix des matières premières et de l'énergie. Avec, en bout de chaîne, un consommateur qui paie souvent le prix fort à la caisse.
D'après le panier de franceinfo, entre octobre 2022 et octobre 2023, le sucre a ainsi augmenté de 53%, l'huile de 15% et le riz, de 16%.
"Je suis sûre de ne pas y passer toutes mes économies"
Même si depuis quelques mois, l'envolée des prix se tarit, seuls quelques produits ont vu leur prix diminuer. En octobre 2023, les prix de l'alimentaire étaient encore 7,7% plus élevés qu'en octobre 2022, selon l'Insee.
Dans la bouche des clients, les enseignes discount semblent s'être imposées comme la solution pour affronter la hausse des prix. "Ici, je suis sûre de ne pas y passer toutes mes économies. Si je devais faire mes courses ailleurs, ce serait beaucoup plus compliqué" , raconte Laura, étudiante également cliente du supermarché Lidl de Massy. Les discounters ont séduit les consommateurs en leur permettant de s'autoriser des "achats plaisir" (pâte à tartiner, sodas, etc.) ou simplement de continuer à manger avec un budget contraint.
Ils récoltent ainsi les lauriers d'une stratégie consistant à proposer les produits avec le meilleur rapport qualité-prix. Pour compresser les coûts, place au minimalisme : peu de marketing, peu de références pour un même produit, peu de mise en scène dans les rayons. Les discounters proposent aussi moins de marques nationales. Ainsi, "90% de l'assortiment est de marque distributeur", explique Pascale Hébel, économiste et directrice associée de C-Ways, société de conseil et d'étude des données.
Autre volet de leur stratégie : convaincre les consommateurs que, malgré les prix bas, ils proposent des produits de qualité. "Le vrai prix des bonnes choses", promet même Lidl dans son slogan. En mettant en avant leurs rayons frais ou boulangerie, les magasins discount ont ainsi travaillé leur image. "Par tradition, les Français veulent des aliments qualitatifs, donc les discounters se sont embourgeoisés", résume Pascale Hébel. Cette recette a permis à ces enseignes de se démarquer en cette période d'inflation. Lidl et Aldi recrutent désormais au-delà des classes modestes.
"Acheter dans ces magasins, c'est acheter malin. Le low cost bénéficie maintenant d'une bonne image."
Pascale Hébel, économisteà franceinfo
Malgré la crise, Aldi et Lidl ont ainsi continué à ouvrir de nouveaux magasins depuis 2021. En 2022, l'enseigne jaune et bleue a inauguré une vingtaine de magasins, tandis que son concurrent Aldi a racheté 554 anciens magasins Leader Price en 2021. Une cession qui explique la vague d'ouvertures constatées en 2021. "L'inflation n'a pas affecté leur rythme de croissance", constate Philippe Moati, économiste et fondateur de l'Observatoire société et consommation (Obsoco).
Si d'autres enseignes sur le même modèle ont fait irruption sur le marché, aucune ne rivalise pour l'instant avec les deux leaders allemands. Au troisième trimestre 2023, Lidl compte 1 594 magasins sur le territoire français et Aldi, 1 353 sur le territoire français. Loin devant les 314 de Netto, qui appartient au même groupe qu'Intermarché, ou les 61 magasins Leader Price.
La grande distribution, une nouvelle menace
Pour autant, les discounters sont-ils les uniques gagnants de cette séquence inflationniste ? Les spécialistes assurent que leur apparente bonne santé a fait des envieux. Depuis quelques mois, Lidl et Aldi sont concurrencés par de nouveaux venus sur le créneau du discount, comme Toujust, une nouvelle chaîne lancée à Alès (Gard) en mars.
Mais la concurrence la plus forte émane des acteurs traditionnels de la grande distribution. En novembre 2022, Alexandre Bompard, PDG du groupe Carrefour, a annoncé le déploiement en France de sa filiale brésilienne, Atacadão. Le premier magasin de cette enseigne qui propose des conditionnements en gros volumes à prix cassés doit ouvrir début 2024 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Carrefour avait aussi déjà ouvert en France en 2019 plusieurs magasins discount Supeco, l'une de ses filiales espagnoles.
Récemment, Leclerc a aussi raflé des parts de marché. Le groupe "porte le même discours que les discounters : avoir les prix les moins chers sur des produits emblématiques. Il se présente comme le défenseur du pouvoir d'achat", explique Pascale Hébel. Avec succès. L'entreprise née en Bretagne est parvenue à tirer les prix vers le bas en raison d'importants volumes négociés. Elle s'est aussi appuyée sur une structuration en réseau de magasins indépendants : plus libres dans leurs choix, ils s'adaptent facilement au profil de leurs clients.
Cet élargissement de l'offre a porté un coup d'arrêt à la croissance des discounters. En 2020 et 2022, Lidl et Aldi grignotaient d'importantes parts de marché. Ce n'est désormais plus le cas. En revanche, Leclerc a vu les siennes croître d'1,2 point en 2023, d'après les estimations de l'institut de données Kantar. En l'absence de données publiques sur les chiffres d'affaires respectifs des différentes enseignes, ces chiffres calculés à partir d'un panel de 20 000 foyers représentatifs soulignent une tendance forte.
Un équilibre difficile à maintenir pour les discounters
Désormais, cette concurrence est d'autant plus difficile à gérer pour Lidl et Aldi que le discount doit faire face à d'autres difficultés. Comme les consommateurs, ces enseignes ont été très exposées à l'inflation. "Dans le prix d'un produit de marque distributeur, la part consacrée aux matières premières est considérable puisqu'il n'y a pas de coûts annexes comme le marketing. Et comme les matières premières ont flambé, les prix des produits de marques distributeurs sont ceux qui ont connu l'augmentation la plus forte", expose Philippe Moati. Or, ces produits représentent une large part des produits en vente dans les magasins discount, qui ont donc vu le montant du panier moyen de leurs clients augmenter beaucoup plus qu'ailleurs.
Dans une enquête de l'association de consommateurs UFC-Que choisir de janvier 2023, sur un panier type de marques premier prix, les enseignes discount figuraient même parmi les plus chères : alors qu'il se situait entre 42 et 44 euros dans les hypermarchés classiques, ce même panier coûtait entre 54 et 56 euros chez Lidl et Aldi.
Si le consommateur s'en sort quand même pour moins cher chez Lidl et Aldi, ce n'est donc pas forcément parce que les prix sont plus bas mais parce qu'il y achète moins de marques nationales. "Vu que ces dernières sont moins nombreuses dans les rayons, donc moins visibles, il est forcément moins tenté d'en acheter", conclut l'étude.
Le succès du discount semble donc en trompe-l'œil. "Quand vous regardez l'ensemble des circuits de distribution, dans une logique de modèle, les enseignes de discount s'en sortent mieux que les hypers et supermarchés classiques. Mais si vous vous comparez enseigne par enseigne, on se rend compte que certains hypermarchés performent très bien, comme Leclerc", résume Emily Mayer, directrice des études chez Circana, cabinet de conseil spécialisé dans la consommation. Contactés par franceinfo, Lidl et Aldi n'ont pas donné suite à nos sollicitations.
Quant aux nouveaux acteurs du discount, eux aussi ont fait face à des déconvenues. Le jeune Toujust a drastiquement revu ses ambitions à la baisse : seuls cinq des 50 magasins annoncés initialement ont ouvert en 2023. Début octobre, la maison-mère de l'enseigne a été placée en redressement judiciaire.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.