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Loi Macron : le retrait du secret des affaires en quatre actes

L'amendement prévoyant des peines de prison pour protéger les entreprises de l'espionnage industriel, qui était vivement contesté par les médias, a finalement été retiré.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, le 27 janvier 2015 à l'Assemblée nationale. (BERTRAND GUAY / AFP)

Le projet de loi pour la croissance, porté par Emmanuel Macron, ne comportera pas de volet sur le secret des affaires. L'amendement prévoyant des peines de prison pour protéger les entreprises de l'espionnage industriel, qui était vivement contesté par les journalistes, a finalement été retiré, vendredi 30 janvier. Retour en quatre actes sur cette polémique.

Acte 1 : un amendement en commission crée un "secret des affaires"

Voté par l'opposition et la majorité en commission spéciale, ce texte posait le principe général de l'interdiction de violer le secret des affaires, reprenant les termes d'une proposition de loi PS. Il prévoyait de punir quiconque prend connaissance, révèle sans autorisation ou détourne toute information protégée à ce titre d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende. La peine aurait pu être portée à sept ans et 750 000 euros d'amende en cas d'atteinte à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France.

Cette disposition avait notamment été réclamée par la délégation parlementaire au renseignement dans son rapport 2014 remis à François Hollande. "Il n'y a pas en France de secret des affaires, le pillage des entreprises se fait le plus souvent de façon légale, il faut nous doter d'une législation protégeant ce secret des affaires", expliquait alors à l'AFP le président de cette délégation, le député PS Jean-Jacques Urvoas, proche de Manuel Valls.

Lors de la discussion en commission à l'Assemblée, le 17 janvier, le rapporteur du projet de loi, qui était également l'auteur de l'amendement, déclarait que "cet ensemble de dispositions" apparaissait "indispensable pour assurer la sécurité, la créativité et la prospérité de nos entreprises innovantes". L'amendement avait par ailleurs reçu l'avis favorable du gouvernement.

Acte 2 : journalistes et ONG se mobilisent

Restée inaperçue pendant plusieurs jours, l'adoption de cet amendement a fini par provoquer l'émoi chez les journalistes. Rédactions, écoles de journalisme, agences de presse, sociétés de production, ainsi que des ONG, s'élèvent contre cet amendement. Ces dispositions risquent, selon eux, de museler le journalisme d'investigation. "Informer n'est pas un délit !" clament-ils dans une tribune au Monde

Une campagne de clips vidéo mis en ligne sur YouTube évoque les dossiers dont personne n'aurait jamais entendu parler si cet amendement était entré en vigueur : "Le scandale du Mediator, celui de l'amiante, l'affaire LuxLeaks, UBS, HSBC sur l'évasion fiscale, les stratégies cachées des géants du tabac, mais aussi les dossiers Elf, Karachi, Tapie ou l'affaire Amesys..."

Acte 3 : le gouvernement temporise

Face à la polémique, le gouvernement tente dans un premier temps de temporiser. Jeudi, le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, publie trois tweets dans lesquels il assure que le texte ne vise aucunement à "réduire en quoi que ce soit la liberté de la presse" et promet que des garanties seront apportées lors de la discussion parlementaire.

Le texte précise en effet qu'il ne s'applique pas à la révélation d'une information "strictement nécessaire à la sauvegarde d'un intérêt supérieur, tel que l'exercice légitime de la liberté d'expression ou d'information ou la révélation d'un acte illégal". De plus, un autre amendement prévoyait d'insérer la notion de secret des affaires dans la loi sur la presse de 1881, la plaçant au même niveau que celle de "secret professionnel". Ainsi, "les lanceurs d'alerte sont protégés", expliquait Richard Ferrand devant la commission spéciale de l'Assemblée nationale il y a deux semaines.

Mais pas de quoi satisfaire les journalistes et les lanceurs d'alerte, qui critiquent une définition trop large du secret des affaires et des garde-fous insuffisants.

Acte 4 : le texte est retiré à la demande de Hollande

Le retrait de l'amendement controversé est annoncé par son auteur, vendredi. "Nous gardons la conviction que ce texte n'était attentatoire ni à la liberté de la presse, ni à celle des lanceurs d'alerte mais, vu l'émoi suscité, le groupe socialiste a jugé sage de retirer le texte", a expliqué Richard Ferrand. Le rapporteur du projet de loi Macron suggère toutefois que le secret des affaires, ou en tout cas "ce qui doit être protégé dans la vie des entreprises", soit rediscuté dans le cadre du projet de loi sur la protection des sources des journalistes, qui doit être débattu cette année à l'Assemblée.

Selon Le Monde, qui cite un proche du chef de l'Etat, François Hollande a jugé qu'il n'était "ni opportun, ni judicieux" de maintenir le projet tel quel, au vu de la contestation dont il était l'objet.

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