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Mal-logement : la faillite des dispositifs destinés aux plus précaires

A l'occasion de la publication, mardi, de son 20e rapport sur le mal-logement, la Fondation Abbé Pierre s'est penchée sur les insuffisances du 115, les ratés de la loi Dalo et les problèmes liés aux attributions de HLM.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Une bannière brandie par l'association Droit au logement place de la République à Paris, le 31 octobre 2013. (CITIZENSIDE/PATRICE PIERROT / CITIZENSIDE.COM)

Tous les voyants sont au rouge. Avec la montée de la précarité, le 115 ne parvient à fournir que la moitié des lits nécessaires pour l'hébergement d'urgence. Le Droit au logement opposable (Dalo) porte bien mal son nom. Et la file d'attente pour obtenir un HLM s'accroît sans que le parc de logements sociaux n'augmente dans les mêmes proportions.

Une fois de plus, la Fondation Abbé Pierre, qui publie mardi 3 février son 20e rapport annuel sur l'état du mal-logement en France, tire la sonnette d'alarme. Avec un coup de projecteur, cette année, sur les dysfonctionnements des dispositifs d'aide aux plus fragiles. Francetv info revient sur trois d'entre eux.

Les insuffisances du 115

Le constat. Le 115 ne répond plus. Ou plus assez. Premier obstacle : "Il y a de moins en moins de cabines téléphoniques en villes. Et, quand on est à la rue, c'est difficile d'avoir un téléphone portable et de trouver où le recharger régulièrement", confie un sans domicile fixe à la Fondation. Et même quand la personne dispose d'un téléphone, le plus dur reste à faire : "Dans certains départements, il faut attendre des heures avant d'avoir quelqu'un au bout du fil. (...) Certains ne trouvent une solution qu'à 23 heures", poursuit ce SDF.

Car le 115 n'arrive pas à fournir les lits demandés. Selon le baromètre de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars), "pour l'hiver 2013-2014, sur plus de 355 000 demandes d'hébergement au 115", seules "138 000 places ont été attribuées dans 37 départements".  Moins d'une personne sur deux, donc, obtient une réponse positive quand elle appelle le numéro d'urgence.

Quelles sont les conséquences d'un tel engorgement ? Chaque centre d'hébergement se débrouille. Certains, comme dans le Bas-Rhin, imposent la règle "trois nuits dehors et quatre dedans", histoire de faire le tri entre des populations toutes prioritaires. Dans le Rhône, la priorité d'hébergement en sortie d'hiver est passée, entre les printemps 2013 et 2014, des familles avec enfants de moins de 10 ans aux familles avec enfant de moins de 1 an. Ailleurs, selon un témoignage recueilli par la Fondation Abbé Pierre, "la priorité, est donnée aux femmes et aux personnes handicapées. C'est de plus en plus compliqué d'accéder aux centres d'hébergement quand on est un homme seul, sans handicap".  

L'amélioration proposée. "La situation d'urgence doit être réservée aux urgences. Aux victimes d'incendie, aux femmes battues ...", détaille Manuel Domergue, le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, joint par francetv info. La Fondation prône un changement radical de politique. Il faut, estime-t-elle, passer au "logement d'abord", en en fournissant un au plus vite plutôt que cantonner les gens dans des hébergements d'urgence. Or, "le nombre de places d'hébergement a augmenté, mais pas celui des logements", déplore la Fondation.

Les limites de la loi Dalo

Le constat. Instaurée en 2007, la loi Dalo "permet aux personnes mal logées, ou ayant attendu en vain un logement social pendant un délai anormalement long, de faire valoir leur droit à un logement décent ou à un hébergement (selon les cas) si elles ne peuvent l’obtenir par leurs propres moyens", selon le ministère du Logement. 

Mais cette règle reste largement théorique. "Sur plus de 459 000 recours déposés auprès des commissions de médiation entre 2008 et fin 2014, près de 147 000 ont été reconnus prioritaires et urgents, mais seulement 75 000 ont donné lieu à un relogement dans le cadre de la loi Dalo", note la Fondation Abbé Pierre. 

Manuel Domergue souligne que "tout une gamme de la population n'y a plus recours. Elle va dans des abris de fortune, des campings, des bidonvilles, ou réussit à se faire héberger par des tiers." Entre 70 000 et 120 000 personnes vivraient ainsi au camping à l'année, selon des estimations citées par la Fondation.

Et quand le logement est enfin proposé, le demandeur doit se décider très vite, alors qu'il se trouve parfois en situation de stress. "Les personnes hébergées en structure (urgence, stabilisation ou insertion) peuvent être amenées à se prononcer sur des propositions de logement en moins de 48 heures, et parfois sans l'avoir visité", remarque la Fondation. 

Et si le postulant refuse, comme ce salarié sans permis ni véhicule, qui aurait dû trop s'éloigner de son travail, ou ces femmes craignant un quartier jugé trop violent pour leurs enfants ? Gare aux conséquences : "70% des personnes ayant refusé la proposition de relogement qui leur était faite dans le cadre du Dalo, ne savaient pas qu'elles n'auraient droit qu'à une seule proposition, précise l'étude de l'Observatoire social de Lyon. Et 20% déclaraient regretter d'avoir refusé." Manque d'offres au départ, manque d'informations à l'arrivée, tout le parcours Dalo est à revoir.

L'amélioration proposée. La Fondation Abbé Pierre souhaite que les candidats Dalo soient mieux accompagnés. "De manière générale, les gens doivent comprendre ce qu'on leur propose. Ils doivent disposer d'un accompagnement social. Et être clairement avertis des conséquences d'un refus", juge Manuel Domergue.

L'accès difficile aux HLM

Le constat. En 2006, 1,2 million de ménages attendaient une réponse à leur demande de logement social, selon l'Insee. En 2014, on en comptait 1,8 million. Quel espoir ont-ils de voir leur vœu exaucé ? Entre juillet 2013 et juillet 2014, à peine 467 000 logements sociaux ont été attribués.

Comment gérer cette pénurie ? "Les agents sur le terrain choisissent, estime Manuel Domergue. Ils effectuent parfois un tri par le haut des ménages qui peuvent s'en sortir. Ce qui amène à refuser les plus pauvres dans les logements sociaux." Dans l'Hérault, par exemple, les ménages dont le chef de famille est en CDI, CDD ou interim sont ainsi surreprésentés (47%) dans les attributions de HLM, alors qu'ils représentent 37% des demandeurs. A l'inverse, ceux dont le chef de famille est au chômage ou à la retraite sont sous-représentés (22% d'attributions contre 28% des demandeurs). Les critères de sélection ne sont pas tous basés sur le revenu. Il existe aussi, selon la Fondation, "une sorte d'attribution au mérite des logements sociaux. Le bon candidat, c'est celui qui n'a pas commis d'incivilités".  

L'amélioration proposée.  La Fondation relève, ici ou là, des pratiques qu'elle juge plus satisfaisantes. Des endroits où l'on accueille, selon Manuel Domergue, "les gens tels qu'ils sont, avec leurs défauts et parfois leurs addictions". Autre méthode prônée, celles où le demandeur est acteur de son parcours. A Paris ou dans l'Isère, il est possible ainsi de postuler à des logements sociaux précis, près de son travail ou de l'école de ses enfants. "En Isère, certains logements sociaux qui ont été refusés par des demandeurs sont ainsi proposés aux autres demandeurs via des sites grand public comme Leboncoin.fr", précise Manuel Domergue.

Le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre dénonce, de façon générale, les "règles floues" qui président aux attributions, où l'on cherche davantage le "bon candidat" que celui qui en a le plus besoin. Pour lutter contre ce phénomène, la Fondation préconise le "scoring" : le demandeur accumulerait un certain nombre de points de priorité (nombre d'enfants, handicap...) pour accéder au logement, éliminant les critères informels. Car l'idée fondamentale de l'association caritative reste que "le logement ne doit pas être un Graal réservé à ceux qui ont fait leurs preuves."

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