"C'est un journal qu'on n'a pas le droit de laisser mourir" : les salariés de "l'Huma" se battent pour sauver le quotidien de Jaurès
Le journal communiste a été contraint de se déclarer en cessation de paiements auprès du tribunal de commerce de Bobigny. Mais ses salariés ne baissent pas les bras et racontent à franceinfo leur lutte pour sauver "l'Huma".
"Je ne dis pas que c'est tous les jours évident mais on est quand même déterminés à se battre." Au bout du fil, Lina Sankari, journaliste à la rubrique internationale de L'Humanité depuis 2007, résume l'état d'esprit de ses collègues : touché mais pas coulé. Malgré la grave crise que traverse le journal communiste, les salariés veulent continuer à croire en l'avenir de ce quotidien, fondé par Jean Jaurès en 1904.
La situation est pourtant alarmante. La semaine dernière le quotidien a été contraint de se déclarer en cessation de paiements, comme l'a révélé l'hebdomadaire Marianne, auprès du tribunal de commerce de Bobigny. Une audience s'y déroule mercredi 30 janvier afin de décider du sort du journal. Lundi, celui-ci a lancé un appel à la mobilisation générale à destination de ses lecteurs afin de l'aider à surmonter ses difficultés financières. "On ne s'est jamais retrouvé dans une situation pareille mais on est prêt à relever le défi", assure Pierre Barbancey, grand reporter à l'Huma.
Une histoire de famille
Récompensé du prestigieux prix Bayeux des correspondants de guerre, Pierre Barbancey, 57 ans, ne connaît que l'Huma. "J'y travaille depuis trente ans, sourit-il. J'avais un grand-père ouvrier métallurgiste et délégué CGT en 1936 et qui lisait l'Huma. Il y a une histoire familiale autour de ce journal". Et le journaliste de rappeler que "l'Huma est un journal à part, créé par Jaurès pour faire entendre la voix des travailleurs, des ouvriers mais aussi porter des idées à contre-courant du politiquement correct". Son collègue, Aurélien Soucheyre, 31 ans, abonde : pour lui aussi, le quotidien est une histoire de famille.
'L'Huma', c'est le journal de la famille que lisaient mon grand-père et mes parents. J'ai grandi à Saint-Denis, pas loin de l'ancien siège, ce journal a toujours été dans mon histoire.
Aurélien Soucheyreà franceinfo
Grégory Marin, lui, "rêvait d'aller bosser à l'Huma". Le président de la Société des personnels de l'Humanité, qui travaille au service politique, a poussé la porte du journal pour la première fois en 2006. "C'était le journal où j'avais envie de travailler, dont je me sentais politiquement le plus proche, pas seulement pour une certaine liberté de ton mais aussi pour les combats qu'il mène", se souvient-il, évoquant notamment le combat du journal pour l'abolition de la peine de mort.
Lina Sankari, 36 ans, loue "cette formidable rédaction qui laisse énormément de liberté à ses journalistes". Embauchée en 2007, la reporter, qui tient à préciser qu'elle ne vient pas d'une famille communiste, assure qu'on ne leur impose pas de sujets. "Cette idée de liberté est importante, c'est nous qui sommes les maîtres des dossiers."
"On compte chaque dépense"
Mais la crise que traverse l'Huma pourrait avoir raison de cette "formidable rédaction". Tiré à près de 50 000 exemplaires, le quotidien a vu ses ventes chuter en France de 6% en 2017-2018, à 32 700 exemplaires en moyenne.
Depuis longtemps, on vit avec cette épée de Damoclès mais là, la menace se concrétise et on était jamais allé jusque-là.
Grégory Martinà franceinfo
"On compte chaque dépense que l'on fait pour partir en reportage ou pour prendre une pige. On fait ça depuis des années mais ça s'est accéléré depuis deux ans", raconte Grégory Martin. Le journaliste prend un exemple concret : "Quand je vais en reportage en région, je dors chez des amis ou des militants pour économiser."
Malgré ces petites combines, la situation financière du journal s'est détériorée et sa potentielle disparition inquiète les journalistes au-delà de leur propre sort. "On est inquiets, on a tous des familles à nourrir. Mais c'est un journal qu'on n'a pas le droit de laisser mourir, il ne nous appartient pas, il appartient à ses lecteurs", soutient Lina Sankari. "Pour la France, la disparition de l'Huma, ce serait un appauvrissement du débat démocratique. On apporte dans le pot commun des idées pour aider à la réflexion et même si ces idées-là sont affaiblies, elles n'ont pas disparu", renchérit Pierre Barbancey.
"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"
Alors, l'heure est à la mobilisation. "Ceux qui vivent sont ceux qui luttent", explique le grand reporter, citant Victor Hugo. "On réagit comme ça à l'Huma, même s'il y a des moments d'abattement, on relève la tête et on compte sur notre richesse, les lecteurs, car ce sont eux qui nous font vivre depuis toujours", rappelle Grégory Martin. Le directeur du journal, Patrick Le Hyaric, a demandé aux lecteurs de monter "une mobilisation exceptionnelle", via des actions comme des collectes de fonds, des débats ou des animations de rue, pour l'aider à sortir de l'ornière. Un meeting de soutien est également prévu le 22 février à Paris.
Pour que vive L'Humanité. Elle a besoin de vous.
— L'Humanité (@humanite_fr) January 27, 2019
> Participez à la souscription : https://t.co/2aCOPPchan
> Abonnez-vous, abonnez vos amis, votre famille : https://t.co/u3fsm2Y26j …
> Venez nombreuses et nombreux le 22 février à la soirée de soutien à la Bellevilloise pic.twitter.com/xMPNMrhOX6
Et les efforts commencent à payer. Aurélien Soucheyre souligne "l'élan qui se crée" autour du journal. "On reçoit beaucoup de dons et de messages, ça fait chaud au cœur", raconte-t-il. "L'état d'esprit est à la bataille. En attendant, on va continuer à faire le meilleur journal possible", conclut Grégory Martin.
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