Les médias occidentaux divisés face à la publication de la une de "Charlie Hebdo"
S'ils ont tous condamné les attentats et assuré "Charlie Hebdo" de leur soutien, de nombreux journaux ont pris des précautions avec la une du nouveau numéro de l'hebdomadaire satirique, sorti mercredi.
Rupture de stock dès 10 heures du matin. Le tirage du Charlie Hebdo "des survivants", sorti en kiosques mercredi 14 janvier, va devoir être encore une fois revu à la hausse. Au total, ce sont 5 millions d'exemplaires qui devraient être imprimés. Avec en une, le dessin de Luz présentant Mahomet sur un fond vert, la larme à l'œil, et tenant une pancarte "Je suis Charlie" entre ses mains.
"On s'est dit qu'il fallait faire un dessin qui fasse marrer, a expliqué le caricaturiste au cours d'une conférence de presse mardi 13 janvier. J'avais l'idée de dessiner mon personnage de Mahomet qui avait tant fait jaser. (...) J'ai dessiné Mahomet, en train de pleurer. Puis j'ai écrit : 'Tout est pardonné'. Et j'ai pleuré." Une de la paix pour certains, blasphème et provocation pour d'autres. Plusieurs autorités islamiques n'ont d'ailleurs pas hésité à condamner ce dessin. Les médias occidentaux, eux, n'ont pas tous affiché la même position face cette une. Tour d'horizon.
Ceux qui publient la une au nom de la liberté d'expression
En majorité, les journaux européens ont renouvelé, mercredi, leur soutien à Charlie Hebdo et ont publié sa une. Le quotidien espagnol El Pais (en espagnol) se revendique "avec Charlie Hebdo" et offre à ses lecteurs la double page centrale traduite de l'hebdomadaire satirique français, également téléchargeable en PDF sur son site. Le journal italien Il Fatto Quotidiano (en italien) a décidé de publier en intégralité ce numéro de Charlie, "un moyen d'exprimer [leur] solidarité".
En Turquie, le quotidien d'opposition laïc Cumhuriyet est le seul à reproduire la caricature et a publié également mercredi matin, malgré les menaces, quatre pages de Charlie Hebdo. Pour Mine Kirikkanat, éditorialiste, "[c'est] parce que nous sommes très, très liés à la liberté d'expression. Et nous défendons les valeurs républicaines que la France défend aujourd'hui".
Si le Washington Post (en anglais) publie bien la photo du journal entre les mains des lecteurs français ce matin, il estime toutefois nécessaire de justifier ce choix à travers un article : "C’est apparemment la première fois qu’une représentation de Mahomet apparaît dans les pages d’informations du Post." Le rédacteur en chef, Martin Baron, explique ainsi que "nous n’avons jamais soutenu que le simple fait de reproduire une image de Mahomet était une offense. Si notre politique a été d’éviter la publication de contenus délibérément ou inutilement offensants envers les membres d’un groupe religieux, celle-ci n’entre pas dans cette catégorie."
De son côté, USA Today (en anglais) explique à ses lecteurs que "généralement, USA Today ne montre pas d'image de Mahomet afin de ne pas offenser les lecteurs musulmans. Mais la couverture du magazine est assez significative en termes d’information pour qu’elle mérite d’être publiée".
Ceux qui feintent
Certains ont trouvé le moyen de publier la photo, tout en évitant les critiques. C'est notamment le cas du quotidien britannique The Telegraph, qui choisit tout simplement de publier le titre du journal et son inscription sur fond vert "Tout est pardonné", en retirant le dessin de Mahomet, comme le rapporte Buzzfeed (en anglais).
D'autres ont fait en sorte de n'afficher qu'une petite vignette sur le côté de l'article, comme les quotidiens britanniques The Independent ou The Guardian (en anglais). Ce dernier avertit ses lecteurs en gras avant le début de l'article : "Attention : cet article contient la une de Charlie Hebdo, pouvant paraître offensante". La timidité du Guardian sembler surprenante alors que ce quotidien a fait un don de 127 000 euros à Charlie Hebdo après l'attaque. Une précaution également prise par le journal australien Sydney Morning.
Ceux qui ne la publient pas pour éviter toute offense
Plusieurs médias se sont contentés cette semaine de décrire la première page du nouveau numéro de Charlie Hebdo. C'est notamment le cas de la BBC, qui illustre son article par une vidéo de la rédaction de l'hebdomadaire au travail avec, pour titre : "Le provocateur Charlie Hebdo représente le prophète Mahomet en couverture".
De même, le New York Times (en anglais) se contente d'un lien renvoyant vers le site de Libération où la caricature est visible. La semaine dernière, le journal avait déjà fait le choix de ne pas publier la une de Charlie Hebdo. Une décision incomprise par un grand nombre de lecteurs qui y ont vu un manque de solidarité et un signe de lâcheté. Dans un article, Margaret Sullivan, médiatrice du journal, revient sur la reconduction de cette décision et fait part de ses doutes quant à celle-ci. Elle estime que ce dessin n'est "ni choquant ni gratuitement offensant et a sans aucun doute une valeur significative en termes d'information."
Du côté des chaînes de télévision américaines, plusieurs d'entre elles évitent également de diffuser la caricature, comme NBC News ou encore CNN.
Au Danemark, l'équipe du Jyllands-Posten n'ose plus publier de dessin de Mahomet depuis qu'il a été la cible de menaces en 2005. A l'époque, le quotidien avait publié les premières caricatures du prophète Mahomet, qui avaient alors fait le tour du monde et que Charlie Hebdo avait reprises. Le rédacteur en chef, Jorgen Mikkelsen, explique ne pouvoir rendre la pareille aujourd'hui. "La vérité, c'est que pour nous, il serait complètement irresponsable de publier d'anciennes ou de nouvelles caricatures du prophète maintenant. (...) Jyllands-Posten a une responsabilité envers lui-même et envers ses employés. (...) La liberté de l'expression est plus menacée que jamais."
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