: Info franceinfo "Paris Match" : une journaliste fait jouer sa clause de conscience et dénonce l'influence de Vincent Bolloré
Depuis plusieurs mois, une partie de la rédaction de Paris Match dénonce une reprise en main éditoriale et un management à la hussarde sous influence du groupe Vivendi, désormais actionnaire majoritaire du groupe Lagardère. Avant que cette prise de contrôle ne soit définitivement validée par les autorités de la concurrence de la Commission européenne, des journalistes de Match sont remerciés ou ont été contraints de quitter la rédaction. Une vague de départs qui traduit la profondeur de ce mal-être au sein de cette rédaction qui fête bientôt ses 75 bougies.
Depuis le début de la crise marquée l’été dernier par une polémique autour d’une une consacrée au cardinal Robert Sarah et le départ du rédacteur en chef Bruno Jeudy, l’une des figures emblématiques du titre, une vingtaine de journalistes expérimentés (sur 63 titulaires) ont quitté la rédaction, pour des raisons éditoriales principalement. Dernier exemple en date, le départ d’Emilie Blachère. Grande reporter travaillant depuis près de 16 ans à Paris Match. Emilie Blachère a décidé de faire jouer sa clause de conscience pour quitter l’hebdomadaire. Un motif prévu par l’article L 7112-5 du Code du travail, mais très rarement brandi dans le droit de la presse. La journaliste estime que la direction de Match a “notablement changé d’orientation” et que cela crée “une situation de nature à porter atteinte à son honneur et à sa réputation”.
Pas d'article sur les protégés de Vincent Bolloré, comme Cyril Hanouna
Face au refus de sa direction de reconnaître la clause de conscience, la journaliste a donc saisi jeudi 16 février les prud'hommes. “J'aime profondément ce titre, explique Emilie Blachère à franceinfo. J’étais très fière d’y appartenir, mais aujourd’hui la situation est trop grave pour l’avenir du journal. On piétine le travail et l’esprit de Match." Dans sa requête aux prud’hommes, que franceinfo a consultée, la journaliste liste une série de faits internes au magazine comme autant de preuves objectives d’une influence stratégique et idéologique de l’entourage de Vivendi et Vincent Bolloré sur ce titre réputé pour la valeur de ses reportages, ses informations people et une relative neutralité politique.
La journaliste évoque le changement d’organigramme et la nomination notamment de Patrick Mahé, réputé proche de Vincent Bolloré, à la tête de Paris Match. Elle souligne que le choix très stratégique des couvertures du magazine est désormais entre les mains de Lagardère News en place de la direction de la rédaction, mais aussi l’absence de une sur la réélection d’Emmanuel Macron, un précédent dans la couverture de la présidentielle par Paris Match. Elle évoque également la nomination de la journaliste Laurence Ferrari, l’une des incarnations de CNews et d’Europe 1, propriétés de Vincent Bolloré. La requête évoque également une série de sujets imposés à la rédaction au nom de synergies commerciales entre Lagardère et les entités médias du groupe Vivendi comme Canal+ ou l'éditeur Fayard. Elle dénonce aussi l’existence d’articles complaisants vis-à-vis de l’entourage de Vincent Bolloré, comme celui consacré en novembre 2021 au livre Dieu. La Science. Les Preuves, coécrit par le frère aîné de Vincent Bolloré, Michel-Yves Bolloré, mais dont le nom n’apparaît pas dans l’article.
La journaliste souligne enfin l’absence d’articles sur les protégés du milliardaire comme Cyril Hanouna, star de la chaîne C8, pourtant au cœur de l’actualité. Autant d’arguments qui font écho à plusieurs communiqués et une motion de défiance de la société des journalistes de Paris Match.
Contactée par franceinfo, la direction de Lagardère News ne fait aucun commentaire. Mais dans un courrier consulté par franceinfo, le groupe répond à la journaliste que “Vivendi n’exerce pas encore de contrôle sur le groupe Lagardère (...) et n’intervient pas dans sa gestion stratégique, financière et encore moins éditoriale”.
"Violence managériale"
À l’instar d’Emilie Blachère, d’autres grandes signatures du journal ont décidé de quitter le journal pour les mêmes raisons. C’est le cas de ce reporter qui préfère garder l’anonymat. Il évoque une “bollorisation” de Paris Match mais également du JDD, propriété de Lagardère News. “Certains sont partis, explique ce journaliste. Beaucoup attendent le rachat pour faire jouer leur clause de cession et quitter Match, comme ce qui s’est passé à i-Télé. Depuis près deux ans, on a assisté à une violence managériale assez inouïe et une série de défaites éditoriales. Des papiers politiques sont censurés. Des articles complaisants sont mis en avant ou retouchés pour plaire à l’actionnaire principal. Le rachat par Vivendi est dans toutes les têtes. La nouvelle direction veut s’attirer les bonnes grâces du futur actionnaire. On est rentrés dans une logique de média global, une logique industrielle avec ces fameuses 'synergies' et des journalistes de Match et du JDD invités à faire un maximum de plateaux sur CNews."
"C’est la constitution d’un groupe médias avant l’heure.”
un ex-journaliste de Paris Matchà franceinfo
Des journalistes se désolidarisent de leur directeur de la rédaction
Selon nos informations, les équipes du JDD et de Paris Match pratiquent depuis peu le flex office, ou l’absence de bureaux attitrés, afin de préparer l’arrivée des équipes de CNews au 2e étage du bâtiment parisien qui abrite leurs locaux. Cette semaine, la société des journalistes de Paris Match a réagi à un éditorial au vitriol du patron de l'hebdomadaire, Patrick Mahé, à l’encontre de la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak. Editorial où Patrick Mahé prenait la défense de CNews et d’Europe 1. Dans un communiqué, la SDJ dit “se désolidariser de cette prise de position qui ne peut que nuire à l’image du titre et faire douter de l’indépendance de la rédaction vis-à-vis de son actionnaire principal (Vivendi)”.
Derrière la crise de la rédaction de Paris Match, des interrogations planent sur l’avenir de l’offre publique d’achat de Vivendi contre le groupe Lagardère. Depuis juin 2022, Vivendi détient 57,35 % du capital de Lagardère. Les autorités européennes de la concurrence doivent valider ou non l’opération avant le 23 mai prochain. Mais en décembre dernier, des enquêteurs de la Commission européenne ont visité Paris Match, entendu des responsables et consulté des ordinateurs pour vérifier que le groupe de Vincent Bolloré n’a pas imposé ses décisions stratégiques et éditoriales avant l'heure. Si Vivendi a effectué une prise de contrôle anticipée, un gun jumping dans le jargon commercial, le groupe de Vincent Bolloré pourrait écoper d'une amende théorique pouvant s'élever à 10 % de son chiffre d'affaires mondial et ainsi mettre en danger son projet de création d’un grand média global.
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