Le patron du contre-espionnage a déposé mercredi une plainte en diffamation contre le "Canard Enchaîné"
Bernard Squarcini a porté plainte contre l'hebdomadaire satirique qui l'accuse de piloter des opérations illégales de surveillance des journalistes.
Le 3 novembre, Claude Angeli écrivait que "dès qu'un journaliste se livre à une enquête gênante pour lui ou pour les siens", le chef de l'Etat "demande" à M.Squarcini de "le mettre sous surveillance".
Selon l'hebdomadaire, qui citait des sources anonymes au sein de la DCRI, "un groupe" a même été monté à cette fin, composé de "plusieurs anciens policiers des RG", qui "se procurent les factures détaillées du poste fixe et du portable du journaliste à espionner".
"On impute à M.Squarcini d'avoir monté une officine en interne qui a pour mission d'espionner les journalistes. C'est inacceptable", a réagi son avocat Me Maisonneuve. La plainte de son client vise le directeur de publication du Canard Enchaîné, Michel Gaillard, ainsi que le rédacteur en chef et auteur de l'article Claude Angeli.
L'avocat a prévenu que le patron de la DCRI n'hésiterait pas à poursuivre tout journaliste réitérant ces accusations. Dans les prochaines semaines, les journalistes poursuivis devraient être mis en examen, car en matière de délits de presse, cette procédure est automatique.
Réaction du Canard Enchaîné: "un beau procès" en perspective
Le directeur de la publication du Canard enchaîné, Michel Gaillard, s'est dit "un peu étonné" mais "pas inquiet" après le dépôt de plainte pour diffamation de M.Squarcini.
"Ca va être un très beau procès", a-t-il ironisé, "puisqu'on va avoir des témoins de grande qualité, à commencer par le chef de l'Etat et le Premier ministre qui vient par l'intermédiaire de son directeur de cabinet de faire une note en disant qu'il était illégal de se faire communiquer les fadettes (factures téléphoniques détaillées, ndlr) des journalistes".
"Je me demande si l'avocat de Squarcini a eu connaissance de cette note avant de déposer plainte", s'est interrogé Michel Gaillard.
La police examine sans autorisation les factures détaillées de téléphone des journalistes, selon le Canard
L'hebdomadaire impute à l'Elysée une manoeuvre qui a permis, selon lui, à la police de se passer d'autorisation pour examiner les factures d'appels téléphoniques de journalistes.
Selon le Canard enchaîné, le secrétaire général de l'Elysée Claude Guéant a organisé en septembre 2009 une réunion avec des représentants de la DCRI, un membre du cabinet du Premier ministre François Fillon et un conseiller de Nicolas Sarkozy.
Il s'agissait, affirme le journal satirique, de trouver une parade à l'interdiction faite aux opérateurs téléphoniques de livrer sur demande à la police les factures détaillées de téléphone. La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), instance indépendante, venait de rappeler à ces opérateurs une loi de 1991, qui impose son autorisation préalable.
Il aurait été décidé entre l'Elysée, Matignon et les principaux services de police de faire valoir un "intérêt supérieur de l'Etat" pour se passer d'autorisations, alors que la loi de 1991 ne prévoit cette dérogation que dans certains cas limités d'écoutes ou de surveillance hertzienne.
L'Elysée aurait ensuite nommé en octobre 2009 un président de la CNCIS plus "accommodant" que le précédent, Hervé Pelletier. Sur ordre de l'Elysée, il a fait adopter en catimini, dixit le Canard, la nouvelle interprétation de la loi, lors d'un vote technique le 21 janvier 2010.
Depuis, la police examine sans autorisation les factures détaillées de téléphone des journalistes, affirme le Canard.
Ainsi, la DCRI a reconnu avoir identifié l'été dernier par des "vérifications techniques" une source du journal Le Monde dans le dossier de l'héritière de L'Oréal Liliane Bettencourt. La DCRI invoque le "secret-défense" pour refuser de livrer les éléments de cette enquête au procureur de Paris, qui les demande après une plainte du Monde. Accusé déjà par le site d'information sur internet Mediapart d'être l'organisateur de l'espionnage des médias, Claude Guéant a annoncé dimanche qu'il porterait plainte en diffamation.
Le journal enfonce le clou contre l'Elysée
Le Canard enchaîné a porté mercredi 10 novembre de nouvelles accusations sur l'espionnage présumé de la presse par l'Elysée. L'entourage de Nicolas Sarkozy n'a pas souhaité commenter dans l'immédiat cet article paru mercredi, expliquant qu'il souhaitait en prendre directement connaissance.
L'Elysée avait qualifié de "farfelues" les premières accusations de l'hebdomadaire.
Selon un article signé par le patron du Canard enchaîné, Claude Angeli, spécialiste du monde du renseignement, "une enquête est en cours, à Levallois, au siège de la Direction centrale du Renseignement intérieur (DCRI)" pour identifier la source de ses premiers écrits. Claude Angeli avait lancé le sujet la semaine dernière.
Il cite un cadre de la DCRI qui parle de "suspicion généralisée". Selon un collaborateur de cette direction cité par le nouvel article, cette affaire serait "plus inquiétante que la gestion des crises d'otages ou les menaces terroristes, car elle concerne le président de la République".
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