POINT DE VUE. Edwy Plenel ou la détestation de la démocratie libérale
Pour le politologue Gérard Grunberg, la remise en cause de la légitimité démocratique d'Emmanuel Macron par le journaliste Edwy Plenel repose sur des arguments fallacieux.
Gérard Grunberg, auteur de cet article, est directeur de recherche émérite au CNRS. La version originale de cet article a été publiée sur le site Telos, dont franceinfo est partenaire.
Edwy Plenel a toujours détesté la démocratie libérale. Il a toujours été un révolutionnaire trotskiste. Cette haine de la démocratie libérale, il nous en a donné récemment, face au président de la République, une nouvelle illustration en niant la légitimité démocratique qu'elle donne aux élus de la nation. Emmanuel Macron ne disposerait pas d'une telle légitimité pour appliquer son programme compte tenu des conditions dans lesquelles il a été élu. Ce n'est pas la première fois que l'extrême gauche développe ce type d'arguments.
Dans les démocraties libérales, le candidat élu est celui qui a eu le plus de voix
Rappelons-les. D'abord Plenel ne prend en compte que les résultats aux inscrits et non aux suffrages exprimés. Certes, les deux types de calculs ont leur intérêt, mais, dans les démocraties libérales, le candidat élu est celui qui a eu le plus de voix. C'est sur cette règle simple que repose sa légitimité. Le mode de calcul choisi par Plenel lui permet de cumuler les abstentionnistes avec les voix des autres candidats et de diminuer ainsi le score du candidat élu, afin de montrer qu'il n'est pas en réalité majoritaire et qu'il n'a donc pas une pleine légitimité. Mais il aura beau nous répéter qu'il a toujours calculé les résultats électoraux de cette manière, cela ne changera rien aux règles en vigueur dans notre république pour désigner nos gouvernants.
Plenel nous explique ainsi que Macron n'a obtenu au premier tour que 18% des inscrits. On pourra lui répondre qu'il n'en est pas moins arrivé en tête et qu'il a ainsi été qualifié pour le second tour. Or, lors de ce second tour, il a obtenu les deux tiers des suffrages exprimés. Entre les deux tours, le nombre de ses voix est passé de 8,6 à 20,7 millions. En outre, la participation a été importante, les deux tiers des électeurs ayant voté. Certes, calculé sur les inscrits, le score d'Emmanuel Macron est de 44%. Rappelons cependant que lors de la première élection présidentielle, en 1965, le général de Gaulle avait été élu avec la même proportion d'électeurs inscrits.
De toutes manières, à l'inverse de la lettre et de l'esprit des institutions, ce n'est pas, selon Plenel, le second tour de scrutin qui est décisif pour asseoir la légitimité du nouveau président.
Gérard Grunberg, directeur de recherche émérite au CNRS
Selon un raisonnement particulièrement spécieux, il explique que la victoire au second tour n'a pas de réelle signification dans la mesure où, par un pur accident, Macron était opposé à une candidate d'extrême droite. Dans ces conditions cette victoire facile ne donnait pas de légitimité au nouveau président pour appliquer son programme car les électeurs – 20 millions rappelons-le – avaient voté davantage contre Le Pen que pour lui. On pourra lui répondre que le fait qu'ils se soient déplacés pour voter Macron plutôt que s'abstenir signifiait que leur proximité à ce dernier était plus grande que leur proximité à sa concurrente. Mais son raisonnement permet à Plenel de considérer que ce second tour ne compte pas véritablement. D'où son choix de ne retenir que le premier tour et son résultat sur les inscrits – les fameux 18% – pour évaluer la légitimité véritable du président élu. Un tel score ne lui donne pas, selon Plenel, une légitimité suffisante pour appliquer son programme.
On pourrait objecter au fondateur de Mediapart, en nous situant de son propre point de vue, qu'un récent sondage de l'Ifop pour Paris-Match, Sud Radio et CNews du 18 avril montre que si l'on refaisait aujourd'hui l'élection présidentielle de 2017 (en remplaçant Fillon par Wauquiez) le score au premier tour de Macron sur les inscrits serait de 27% au lieu des 18% de l'an dernier. Mais il est à parier qu'une telle progression, bien que significative, ne serait pas encore suffisante à ses yeux.
Edwy Plenel se garde bien, cependant, de nous dire à partir de quel score le président élu disposerait d'une réelle légitimité.
Gérard Grunberg, directeur de recherche émérite au CNRS
Lorsqu'Emmanuel Macron lui a fait justement remarquer qu'il avait obtenu aux élections législatives de juin une majorité absolue avec son allié le Modem qui confirmait la légitimité obtenue par son élection, Plenel, jamais à court d'argument, en a sorti un de derrière les fagots : victoire normale car le président élu "rafle la mise aux élections législatives". Oubliant qu'en 1988, François Mitterrand, largement réélu, n'avait pas disposé, lors des législatives qui eurent lieu dans la foulée de l'élection présidentielle, d'une telle majorité, ce qui compliqua fortement l'action de Michel Rocard et de ses successeurs à Matignon. Quoi qu'en dise Plenel, il s'est bien agi en 2017 d'un second verdict du suffrage universel qui confirmait le premier et donnait au nouveau président les moyens politiques d'agir et la légitimité pour appliquer son programme.
Dans l'optique plénélienne, aucun élu ne disposera jamais d'une réelle légitimité
Ici apparaît le désaccord de fond entre nous et le toujours-trotskiste Plenel. Dans un véritable système de démocratie pluraliste, avec des élections libres et non faussées, un candidat ne peut généralement pas, lors d'un premier tour et même d'un second tour, rassembler une majorité absolue des électeurs inscrits. Dans ces conditions, dans l'optique plénélienne, aucun élu ne disposera jamais, sauf rarissimes exceptions, d'une réelle légitimité pour appliquer son programme. Seules les démocraties illibérales permettent d'atteindre de tels scores. Plenel devrait donc dire clairement qu'il rejette le système politique des démocraties libérales au motif que ce type de régime ne donne jamais pleine légitimité aux élus.
Mais alors quel type de régime politique donnerait selon Plenel aux gouvernants cette légitimité que les démocraties libérales ne peuvent leur accorder ?
Gérard Grunberg, directeur de recherche émérite au CNRS
Cette question, Emmanuel Macron n'a pas pu lui poser le 15 avril, bien que Plenel ait insisté sur l'égalité de statut des trois personnages assis autour de la table. Non ! Le président n'était pas à égalité avec les deux compères. Non pas seulement du fait du ridicule et orgueilleux refus de Plenel de considérer que le président de la République n'était pas tout à fait un Français comme les autres, mais surtout parce qu'Emmanuel Macron ne pouvait se battre avec eux à armes égales. En particulier, alors que Plenel, adoptant la posture d'un homme politique et non pas d'un journaliste, accusant plutôt qu'interrogeant, mettant le président en demeure, à coup d'injonctions, de répondre à ses accusations plutôt qu'à ses questions, le traitant comme un suspect plutôt que comme l'élu des Français, se comportant avec lui comme un véritable opposant politique, le président ne pouvait l'attaquer comme tel puisqu'il se présentait comme un journaliste.
Il ne pouvait donc pas lui poser la question centrale qu'il aurait pu lui poser dans le cadre d'un véritable débat politique : par quels moyens et procédures, dans le régime politique qu'il souhaite voir s'instaurer à la place de notre régime politique, une force politique pourrait acquérir la pleine et entière légitimité lui permettant d'appliquer son programme. Une révolution populaire ? Et ensuite ? Quel type de pouvoir ? Nous aurions pu alors comparer les différents régimes politiques qui existent dans le monde et le type de légitimité populaire qui est celle de leurs dirigeants.
Emmanuel Macron porte une part de responsabilité dans cette affaire car il n'a pas précisément mesuré cette inégalité réelle entre les trois protagonistes de l'émission. Une inégalité en sa défaveur clairement assumée par Plenel, qui a élégamment défini cette émission comme "un entretien d'évaluation un an après le contrat d'embauche". Plenel se donnait ainsi le droit de décider si ce "contrat" serait ou non renouvelé, incarnant ainsi à lui seul la véritable légitimité populaire. Mais à quel titre ? Celui de son appartenance au courant historique trotskiste qu'il n'a cessé de revendiquer ? "Le trotskisme comme expérience et comme héritage fait à jamais partie de mon identité, non pas comme un programme ou un projet, mais comme un état d'esprit", déclarait-il en 2001. C'est alors la conception de la légitimité politique produite par cet "état d'esprit" qu'il faudrait que Plenel nous expose un jour clairement.
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