Cinq questions sur la taxation des super-profits des grandes entreprises réclamée par la Nupes et le Rassemblement national
Faut-il taxer les grandes entreprises comme TotalEnergies qui réalisent des profits considérables en ces temps de crise ? La question a émergé ces dernières semaines, notamment à l'Assemblée nationale. Alors que le Parlement a rejeté une proposition de taxe sur les super-profits, en août, lors des discussions sur le projet de loi de finances rectificative 2022, la Première ministre, Elisabeth Borne, dit ne pas "fermer la porte" à cette taxation que réclament la gauche et le RN. Tandis que le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, affirme ne pas comprendre de quoi il retourne. "Je ne sais pas ce que c'est", a-t-il clamé devant le patronat, cette semaine. Franceinfo apporte sa plus-value au débat en cinq questions.
1De quoi parle-t-on ?
La notion de super-profits, qui n'est pas réellement définie en économie, désigne des profits considérables qui ont été réalisés par des entreprises. L'expression a émergé dans le débat public et politique avec la guerre en Ukraine et les bénéfices très importants des grands groupes pétroliers et énergétiques comme TotalEnergies ou Engie. "Ce terme désigne une hausse exceptionnelle des profits dans un secteur d'activité à la suite d'une crise exogène, explique l'économiste Anne-Sophie Alsif. On parle là d'un effet d'aubaine."
Ces bénéfices ont ainsi été réalisés en raison d'une conjoncture indépendante des entreprises : la guerre et le contexte inflationniste. TotalEnergies a annoncé fin juillet un bénéfice de 5,6 milliards d'euros au deuxième trimestre 2022, soit un boom de 159% sur un an, grâce à la hausse des prix du pétrole et du gaz. Parallèlement, la flambée des prix de l'énergie plonge des millions de ménages dans la précarité et fait dépenser aux Etats des sommes considérables.
2Comment pourrait se matérialiser cette taxe ?
Il faut d'abord créer un cadre juridique, puisque les super-profits sont un nouveau concept. Les députés et les sénateurs ont ainsi rejeté deux amendements pour taxer les "bénéfices exceptionnels" des grands groupes. "Il faudrait définir un secteur, et imposer des critères de taxation par rapport au chiffre d'affaires ou au nombre d'employés, par exemple", explique l'économiste Anne-Sophie Alsif. Le gain de cette taxe est encore difficile à apprécier. "Cela dépend d'où l'on met le curseur, puisqu'il n'y a pas de périmètre défini."
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3Quelles entreprises seraient concernées ?
Cette taxe ne concernerait en réalité que quelques groupes pétroliers et énergétiques, notamment TotalEnergies, Engie ou l'armateur CMA-CGM. Au Sénat, le groupe socialiste avait déposé un amendement pour taxer les super-profits des grosses entreprises gazières, pétrolières ainsi que les concessions maritimes et d'autoroute.
Face au spectre d'une taxation spéciale, les groupes CMA-CGM et TotalEnergies ont déjà annoncé fin juillet des ristournes à leurs clients. L'armateur a promis de réduire ses taux de fret de 750 euros par conteneur de 40 pieds vers l'Hexagone et l'outre-mer. TotalEnergies a garanti de son côté une remise à la pompe de 20 centimes par litre entre septembre et novembre dans toutes ses stations-service, puis de 10 centimes par litre du 1er novembre au 31 décembre.
4Que disent le gouvernement et les oppositions ?
L'exécutif n'est globalement pas favorable à une telle taxation. Elisabeth Borne, qui a expliqué dans un entretien au Parisien ne pas "fermer la porte" à cette mesure, argue qu'il est compliqué de savoir qui fait des super-profits. "Je ne sais pas ce que c'est qu'un super-profit", a jugé de son côté le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. Selon lui, "Total, CMA-CGM, les distributeurs, un certain nombre d'autres entreprises ont déjà fait des efforts pour redistribuer ce qu'elles avaient gagné directement dans la poche du consommateur".
A gauche, La France insoumise et le PS sont favorables à un référendum d'initiative partagée sur le sujet. En juillet, l'imposition des super-profits des grands groupes était une proposition phare du contre-projet "visant à répondre à l'urgence sociale" porté par la Nupes. L'alliance de gauche plaide pour l'instauration en 2022 et 2023 d'une "taxe exceptionnelle de 25% sur les super-profits des sociétés pétrolières et gazières, des sociétés de transport maritime et des concessionnaires d'autoroutes". Le Rassemblement national défend également une taxe sur les super-profits.
5Quels pays ont déjà mis en place cette taxation ?
Le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne ont légiféré pour taxer les bénéfices des entreprises du secteur de l'énergie qui ont profité de la crise. Les Britanniques ont instauré une taxe temporaire de 25% sur les bénéfices des géants du pétrole et du gaz, tels que BP, après des semaines de tractations. Cette taxe doit permettre de financer un tiers des nouvelles mesures sociales, en rapportant autour de 5 milliards de livres en un an.
En Espagne, le chef du gouvernement, Pedro Sanchez, a annoncé que des taxes exceptionnelles allaient être mises en place sur les sociétés énergétiques et financières en 2023 et 2024. Le gouvernement espère engranger quelque 3,5 milliards d'euros par an sur deux ans.
De son côté, l'Italie a dévoilé fin mai son intention de porter à 25% sa taxe sur les super-profits, égalant le taux en vigueur au Royaume-Uni. Fin mars, le pays avait instauré par décret une taxe de 10% sur les bénéfices des grandes entreprises de l'énergie – telles que Enel ou Eni – réalisés grâce à la flambée des prix due à la guerre en Ukraine. La Roumanie et la Grèce ont elles aussi imposé des mesures touchant des groupes d'énergie.
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