Témoignages Rénovation énergétique : les travaux dans les copropriétés, un "parcours du combattant" face à des propriétaires fantômes, démotivés ou fauchés

Au 1er janvier, toutes les copropriétés de plus de 15 ans devront être dotées d'un plan pluriannuel de travaux (PPT), un échéancier de rénovations s'étalant sur dix ans. Mais dans les immeubles, des propriétaires motivés se heurtent à la difficulté d'enclencher ces ambitieux chantiers.
Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
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Dans le parc immobilier privé, les travaux d'envergure nécessaires dans de nombreuses copropriétés ne peuvent aboutir, malgré les aides et l'accompagnement des pouvoirs publics. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

Il existe des "copros" aux airs de calendrier de l'Avent maudit. Des immeubles où chaque fenêtre cache un problème, toujours plus difficile à digérer. Alors que de nouvelles règles entrent en vigueur au 1er janvier 2025 pour lutter contre les passoires thermiques, peu de copropriétés se lancent dans des travaux de rénovation énergétique. Elles ne représentent que 8,2% des logements rénovés en 2023 avec MaPrimeRénov', selon l'Agence nationale de l'habitat. Mieux informés, aidés et accompagnés qu'autrefois dans le labyrinthe des dispositifs et des subventions, les ménages sont de plus en plus sensibles aux arguments écologiques, et surtout économiques, en faveur de logements plus sobres. Mais dans le parc privé, certains copropriétaires motivés se cassent les dents sur d'insolubles blocages.  

La preuve à Marseille, où Michèle, 69 ans, a pris l'initiative de se renseigner auprès de l'Agence locale de l'Energie et du climat (Alec) et de mettre à l'ordre du jour de la réunion de copropriétaires de sa résidence la réalisation d'un audit énergétique. "J'ai envoyé le compte rendu, avec les tranches d'aides possibles par niveau de revenus, etc. Et puis rien", raconte-t-elle au téléphone, depuis son appartement, l'un des 27 logements que compte cet immeuble des années 1960. Au 1er janvier, toutes les copropriétés de plus de 15 ans devront disposer d'un projet de plan pluriannuel de travaux (PPPT). Mais "les copropriétaires refusent toutes les dépenses, même en discuter ce n'est pas possible", regrette la retraitée.

Après avoir milité de longues années pour mieux isoler les parties communes – "L'été, il fait 40°C dans les escaliers" – et faire changer la chaudière préhistorique du bâtiment – "L'entreprise n'existe plus, on ne peut même pas changer les pièces" – elle confie, dépitée : "Malheureusement, ce qui n'est pas contraignant n'est pas incitatif. On dirait que même les aides ne font pas avancer les choses." 

"Sur une vingtaine de logements, on n'est que quatre à se pointer aux AG" 

Evan travaille dans le secteur de l'énergie, alors forcément, quand il a acheté il y a trois ans un appartement au dernier étage d'une copropriété des années 1940, à Grenoble (Isère), le trentenaire "savait" : "Il faut tout refaire." Double vitrage, isolation par l'intérieur de certaines façades, réparation de fuites du toit-terrasse... Il a (presque) tout refait. "Reste à intervenir sur la façade, poursuit-il. Mais là, j'attends... Sur une vingtaine de logements, on est quatre à se pointer aux AG."

Dans un immeuble essentiellement dédié à la location, il assure se heurter au désintérêt de certains propriétaires-bailleurs. "Tout le monde n'est pas au même niveau de son cheminement", dit-il, compréhensif envers "des retraités qui ont acheté il y a trente ans et sont plus conservateurs sur ces questions". Mais le trentenaire perd patience face au "désengagement général assez fort vis-à-vis de tout ce qui concerne l'immeuble" de la part des multipropriétaires ou autres bailleurs aux abonnés absents, moins sensibles à un investissement qui bénéficie d'abord aux locataires. 

"Il faut voir le niveau de motivation. On devrait quand même pouvoir se rencontrer, échanger davantage, enfin je ne sais pas moi. On n'a même pas un groupe WhatsApp !"

Evan, copropriétaire-occupant

à Grenoble (Isère)

Antoine, lui, reconnaît un brin amusé qu'il appartient à cette caste "des multipropriétaires", avec un total de cinq appartements. L'un d'eux, un studio de 26 m2 acheté en 2013 dans une mini copropriété de six logements, se trouve dans une ancienne bâtisse cossue d'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). "L'appartement est sain, il n'a pas de problèmes d'humidité, les relations avec la locataire installée depuis quatre ans sont bonnes", énumère-t-il. Mais comme souvent dans ces habitats anciens des centres-villes, le cachet se paye au prix fort sur le diagnostic de performance énergétique (DPE) : en 2022, le bien est classé "G". "Tout de suite je comprends qu'avec la loi de 2021, si la locataire déménage après 2025, je ne pourrai plus mettre l'appart en location", raconte le quadragénaire, qui vit à Toulouse. "Sur le moment, c'est un petit peu la panique. Mais je me dis que j'ai trois ans devant moi, je vais y arriver'."

Avec une locataire installée, pas question d'isoler par l'intérieur, ce qui ferait en outre perdre de précieux mètres carrés. Rénover la façade extérieure ? "Pas le droit d'y toucher". Isoler les combles ? "Pas suffisant pour passer en 'E'", continue-t-il. Installer une pompe à chaleur ? "Un parcours du combattant."

"Avec une assemblée générale des copropriétaires par an, on se retrouve dans une inertie qui ne permet pas de respecter le calendrier."

Antoine, copropriétaire-bailleur

à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine)

D'autant que "parmi les six copropriétaires, l'un n'a jamais donné signe de vie et trois sont occupants sans intention de louer. Pour eux, être classé 'G' le 1er janvier 2025, ce n'est pas un problème."  

En novembre, 250 000 logements classés G, en copropriété, étaient mis à la location, selon le député des Deux-Sèvres Bastien Marchive (Parti radical) interrogé sur franceinfo et porteur d'une proposition de loi autorisant des propriétaires-bailleurs dans la même situation qu'Antoine à continuer de mettre ces biens à la location, en contrepartie de la possibilité pour le locataire d'obtenir une baisse du loyer. La censure du gouvernement Barnier a eu raison de ce texte, soutenu par la ministre du Logement démissionnaire, Valérie Létard. 

"Vous pensez que ma voisine de 90 ans va bénéficier d'un prêt à taux zéro sur quinze ans ? "

En 2023 (dernière année pour laquelle des chiffres sont disponibles), seulement 579 rénovations d'ampleur ont été engagées selon le ministère de l'Ecologie (PDF), pour 30 200 logements, via le dispositif MaPrimeRénov' Copropriétés, qui finance des travaux sur les parties communes d'immeubles ou les parties privatives d'intérêt commun. Le montant des travaux par logement a atteint 19 100 euros en 2023 (+7% sur un an), pour un montant moyen des subventions de l'Anah stable, d'environ 7 800 euros. Les foyers les plus modestes peuvent également bénéficier d'aides, ainsi que d'un prêt à taux zéro.

Mais pour Isabelle, 58 ans, copropriétaire occupante à Toulon (Var), ces coups de pouce ne suffisent pas à régler la question des inégalités entre copropriétaires. Pointant "les jeunes qui viennent d'acheter, qui devraient demander un nouvel emprunt", la jeune retraitée, en invalidité, alerte sur un autre profil, discret mais bien présent dans les 88 logements de sa copropriété : "des femmes âgées, veuves, avec une petite retraite. Ce sont des personnes qui ont acheté quand elles étaient mariées et vivaient en famille et qui se retrouvent seules et presque sans revenus dans de grands appartements", explique-t-elle. "Comme on paye les rénovations en fonction des mètres carrés, ça ne fonctionne pas", ajoute-t-elle. Elle ironise : "Vous pensez que ma voisine de 90 ans va bénéficier d'un prêt à taux zéro sur quinze ans ?" 

Autre blocage : la nécessité, pour bénéficier du taux maximum d'aide (soit 30% du montant des travaux), d'afficher un gain énergétique de 35% via les rénovations engagées par une copropriété. Plus efficaces, les rénovations globales sont aussi plus difficiles à faire adopter en copropriété. Or, les "petits gestes" d'hier sont aujourd'hui pénalisants dans des immeubles qui envisagent de se lancer dans les grands travaux, décomptés du calcul des gains énergétiques potentiels.

"Personne ne veut s'embêter avec une petite copro"

Surtout que l'assurance de bénéficier d'aides ne garantit pas de faire face au coût de l'intégralité des travaux, prévient Vincent, 50 ans et propriétaire de l'appartement qu'il occupe dans l'agglomération de Grenoble (Isère). "Jusqu'alors, l'entretien a consisté à faire enlever l'amiante, on avait aussi des tuyaux en plomb, des choses qui dataient des années 1960, 1970", liste-t-il. Dans ce petit immeuble qui ne compte que six copropriétaires et où il assume le rôle de syndic, la principale difficulté de Vincent n'a pas été de convaincre les copropriétaires de poursuivre "cette démarche d'entretien", avec des rénovations globales. Mais plutôt de se faire entendre des professionnels agréés : bureau d'études, maître d'œuvre, artisans... Face à l'explosion des demandes, "ils savent qu'on n'a pas d'autre choix que de travailler avec eux", déplore le père de famille.

"Personne ne veut s'embêter avec une petite copro, explique-t-il. Même si on se mettait d'accord à six sur des points techniques, on nous disait juste 'non'. C'est ça ou rien, en fait. Et tant pis si nous avons des suggestions ou des demandes particulières pour l'immeuble." Au final, un devis "monstrueux", chiffré à "pas loin de 300 000 euros", a mis fin à ses ambitions de rénovation globale.

"J'ai quand même transmis le devis aux autres copropriétaires, pour la forme. Mais là, on peut se demander si ce n'est pas moins cher de démolir l'immeuble et d'en reconstruire un autre."

Vincent, copropriétaire-occupant

à Fontaine (Isère)

"Désormais, on fait les travaux, mais différemment", explique celui qui "a à cœur de réduire [son] impact". Là, il s'apprête à faire remplacer ses vieux volets, sans aides ni dispositifs. "La subvention, on se la fait soi-même en faisant jouer la vraie concurrence", ajoute-t-il.

A Paris aussi, Agnès regrette que le besoin d'aides et de subventions ait limité la marge de manœuvre dans sa copropriété, non loin de la gare Montparnasse. Erreurs de factures, ouvriers sans échafaudage ou échafaudages sans ouvrier, comptage de vis, isolant détrempé et maître d'œuvre à distance...  Malgré les efforts d'un "syndic impliqué" et d'"un conseil des copropriétaires soudés", elle raconte deux ans d'un chantier "ubuesque". Votées en septembre 2022, les rénovations globales de son immeuble viennent de s'achever. "Pour ma part, j'avais déjà bien isolé mon appartement. Mais pour d'autres, le gain qualitatif est très net. L'hiver, la chaleur est plus agréable, il y a eu un gros travail de fait sur la ventilation, etc." Elle qui travaille dans le secteur de l'énergie conclut : "De toute façon, c'est ce vers quoi il faut aller." Pour beaucoup de copropriétaires, même les plus motivés, le chemin reste long et difficile.

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