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ENTRETIEN. Réforme des retraites : "Le Conseil constitutionnel se confronte rarement au pouvoir politique", observe une constitutionnaliste

Article rédigé par Lola Scandella - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le Conseil constitutionnel, Paris, le 4 avril 2023. (CARINE SCHMITT / HANS LUCAS / AFP)
Alors que les Sages doivent rendre vendredi une décision très attendue sur le projet de loi, la professeure de droit public et constitutionnel Lauréline Fontaine estime que "l'opacité" et le "manque d'impartialité" de l'institution l'empêche d'être "un véritable contre-pouvoir".

Perçu par les opposants à la réforme des retraites du gouvernement Borne comme l'un des derniers recours possibles contre le texte, le Conseil constitutionnel se retrouve au centre de toutes les attentions. Il doit se prononcer, vendredi 14 avril, sur la constitutionnalité, ou non, du texte. Une décision sur laquelle compte le gouvernement pour, d'une manière ou d'une autre, tenter de sortir de la crise politique dans laquelle il s'est enlisé. 

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Si la décision des Sages cristallise toutes les attentes, l'institution, ses membres et son fonctionnement, demeurent relativement peu connus du grand public. L'occasion, pour Lauréline Fontaine, professeure de droit public et constitutionnel à l'Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, autrice de La Constitution maltraitée, anatomie du Conseil constitutionnel (éd. Amsterdam, mars 2023), de pointer ses manques. 

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Franceinfo : Le Conseil constitutionnel a trois possibilités de décisions concernant le texte de la réforme des retraites : une validation, une censure partielle ou une censure totale. Précédemment, des cas de censure totale de lois ont-ils marqué les esprits ?  

Lauréline Fontaine : Le Conseil constitutionnel a déjà censuré complètement des lois, mais il n'y a pas de grands souvenirs collectifs de ces censures, dans la mesure où elles ne portaient pas sur des questions aussi emblématiques que l'est aujourd'hui la réforme des retraites. Et jusqu'ici, le Conseil n'a jamais censuré totalement une grande réforme sociétale ou sociale. Il peut censurer quelques dispositions, mais lorsqu'on lui soumet une grande réforme, comme des nationalisations, des privatisations ou d'autres exemples plus sociétaux comme le pacte civil de solidarité (Pacs), il n'en censure pas le principe. S'il en allait différemment cette fois-ci, ce serait inédit.

La décision sur la réforme des retraites ne constitue-t-elle pas une occasion pour le Conseil constitutionnel d'affirmer son autorité ? 

Je n'en suis pas certaine. S'il jouait la carte de la censure totale de la réforme, ce serait certes une bonne nouvelle pour ceux qui s'y opposent, mais cela ne lui conférerait pas, à mon sens, de brevet de légitimité. Cela ne changera rien à ses dysfonctionnements. Il a déjà rendu des décisions "fortes", dans la mesure où elles renvoyaient au législateur et au gouvernement le sens du respect des grandes libertés individuelles, à l'instar de la liberté d'association en 1971, du respect de la vie privée avec l'assimilation de la fouille des véhicules à des perquisitions en 1977, ou du respect des droits de la défense avec la censure de la procédure de la garde à vue en 2010 (en PDF). Mais ce sont un peu les arbres qui cachent une forêt d'autres décisions. Cela fait quarante ans que l'on détricote l'Etat social et que le Conseil constitutionnel valide ce détricotage, ainsi que des restrictions aux droits et libertés individuels et collectifs. Il n'en est pas à l'origine, mais il ne s'y oppose pas. A l'inverse, et c'est très largement documenté, il protège très bien les libertés économiques, les libertés d'entreprendre et contractuelle.

"Si on prétend que le Conseil constitutionnel est un juge, gardien des droits et des libertés, on peut tout à fait démontrer qu'il ne remplit pas totalement son rôle." 

Lauréline Fontaine, professeure de droit constitutionnel

à franceinfo

Le Conseil constitutionnel n'est pas un véritable contre-pouvoir, c'est plutôt une annexe du pouvoir politique, auquel il ne se confronte que rarement.

Dans votre ouvrage, vous soulignez le manque d'indépendance et d'impartialité du Conseil constitutionnel. Sur quels éléments vous basez-vous ? 

Un juge, dans un Etat de droit, doit avoir certaines qualités. La première, c'est d'être ce qu'on appelle un tiers, c'est-à-dire d'être étranger à une affaire ou aux parties d'une affaire. Or, actuellement, le juge constitutionnel n'a pas cette qualité.

"Les membres du Conseil sont pratiquement toujours des anciens collègues de ceux qui font la loi. Certains se sont même parfois prononcés ou ont participé à la fabrication de la loi qu'ils peuvent être amenés à juger."

Lauréline Fontaine, professeure de droit constitutionnel

à franceinfo

Par exemple, on peut se demander si Alain Juppé [membre du Conseil et ancien Premier ministre] est impartial pour juger une réforme sur les retraites. Il s'est, par le passé, directement penché sur cette question, il a lui-même essayé de mettre en œuvre une telle réforme. En vue de la décision du 14 avril, il pourrait se déporter, autrement dit ne pas prendre part au jugement. On ignore à ce stade s'il prévoit de le faire. De la même manière, les autres membres du Conseil pourraient lui demander de se déporter, mais il est peu probable qu'ils le fassent. Tout cela fait peser un doute légitime sur la décision rendue. 

Comment ces liens avec le pouvoir politique que vous décrivez se reflètent-ils dans la composition du Conseil constitutionnel ?

C'est une situation structurelle. Tous les membres du Conseil sont, d'une manière ou d'une autre, liés à l'exercice du pouvoir politique. C'est le cas des membres actuels de l'institution. Trois membres n'exerçaient, certes, pas directement de fonctions politiques avant d'entrer au Conseil, mais étaient liés à ce pouvoir, l'un en étant directeur de cabinet du président du Sénat [François Seners, de 2014 à 2017], l'autre en étant directrice de cabinet du garde des Sceaux [Valérie Malbec, de 2020 à 2022] et une troisième en étant secrétaire générale de l'Assemblée nationale [Corinne Luquiens, de 2010 à 2016]. Les autres membres sont d'anciens sénateurs [François Pillet, sénateur du Cher de 2010 à 2019], ministres [Jacqueline Gourault et Jacques Mézard, anciens ministres dans le gouvernement d'Emmanuel Macron] ou Premiers ministres [Laurent Fabius et Alain Juppé].

Cette situation est impensable à l'étranger, où les cours suprêmes et constitutionnelles ne sont pas du tout constituées de la même manière. Il est très rare d'y trouver des juges ayant exercé une fonction politique. Les opinions des juges sur les décisions sont publiques, on sait toujours si les décisions sont rendues à l'unanimité ou non, à quelle majorité… En France, seule la décision finale est publiée. Il y a une forme d'opacité. 

Comment résoudre les problèmes de partialité que vous pointez ?

La première solution serait de ne pas nommer des personnes qui ont exercé des fonctions politiques ou qui en exercent au moment où elles sont nommées.

"Il ne faut pas que le pouvoir contrôleur soit le même que le pouvoir contrôlé."

Lauréline Fontaine, professeure de droit constitutionnel

à franceinfo

Ensuite, qui nommer ? Je pense que c'est une question à la fois politique et sociale. Pour moi, c'est un choix qui devrait relever d'une réflexion collective.

Personnellement, je plaide plutôt pour une composition assez mixte du point de vue socio-professionnel, un Conseil il n'y ait pas nécessairement une prépondérance des juristes. Ces derniers y auraient une place, mais n'auraient pas forcément d'ascendant. Il faudrait également qu'ils représentent plusieurs branches du droit : droit de la personne, droit pénal, droit fiscal… La Constitution embrasse tous ces domaines. Je pense par ailleurs qu'il faudrait augmenter le nombre de juges, jusqu'à une quinzaine (contre neuf actuellement) et les doter d'une équipe personnelle composée, entre autres, de juristes hautement qualifiés.

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