Manifestations contre la réforme des retraites : une centaine de plaintes déposées pour "atteinte arbitraire à la liberté" et "entrave à la liberté de manifester"
Ils dénoncent des arrestations et des détentions "arbitraires, visant à dissuader [les manifestants] d'exercer leur droit de manifester et à casser le mouvement social" contre la réforme des retraites. Un collectif de vingt avocats a déposé une centaine de plaintes pour "atteinte arbitraire à la liberté par personne dépositaire de l'autorité publique" et "entrave à la liberté de manifester", vendredi 31 mars, auprès du parquet du tribunal judiciaire de Paris, a appris franceinfo. Ils représentent des manifestants placés en garde à vue depuis le recours au 49.3 par le gouvernement pour faire adopter le texte de loi. Comme le signale l'une des avocates, Coline Bouillon, à franceinfo, les pénalistes s'attendent à recevoir d'autres plaintes dans les jours à venir.
Selon les chiffres du parquet de Paris communiqués à franceinfo, 952 personnes ont été placées en garde à vue entre le 15 et le 28 mars, date de la dernière journée de mobilisation. Seules 43 personnes ont fait l'objet d'une comparution immédiate devant le tribunal. La majorité a été relâchée sans poursuites, avec un classement sans suite. D'autres ont été présentées à un délégué du procureur en vue d'un "classement sans suite sous conditions". Dans un communiqué et lors d'une conférence de presse, vendredi après-midi, les avocats ont dénoncé cette procédure, qui prive "le mis en cause d'une audience publique" et qui peut notamment aboutir à une interdiction de manifester ou de se rendre à Paris pour une durée de six mois.
"J'ai eu très peur"
"J'ai été interpellée avec plusieurs personnes à la suite d’une nasse, on était une vingtaine de jeunes, on a reçu beaucoup de coups", a témoigné une jeune femme de 25 ans, interpellée le 18 mars, place d'Italie à Paris. "J'ai fait vingt et une heures de garde à vue. J'avais très peur pour mon avenir, qu'il y ait quelque chose sur mon casier", a-t-elle ajouté, avant de préciser avoir finalement été relâchée sans poursuites le dimanche après-midi.
A ses côtés, un étudiant en histoire de l'art de 18 ans a raconté avoir été arrêté lundi 20 mars alors qu'il marchait dans "une rue perpendiculaire" au rassemblement. "Un mouvement de foule est arrivé sur moi, je suis tombé et j’étais par terre quand j’ai été arrêté", a-t-il décrit. "Une fois en garde à vue, j'ai dû attendre cinq heures et demie avant de voir un médecin. J'ai eu très peur." Lui aussi est sorti dimanche après-midi avec un classement sans suite.
Une étudiante en cinéma de 22 ans a également rapporté des violences lors de son interpellation le jeudi 23 mars au soir. "J'étais avec ma copine, on marchait dans la rue, une policière m'a tirée par les cheveux, elle m'a cogné la pommette contre le mur, ma copine a subi des attouchements au moment de la fouille, a-t-elle déclaré. On nous a attaché des 'serflex' aux poignets alors qu'on ne se débattait pas, on a eu des marques pendant plusieurs jours."
"On a fait vingt et une heures de garde à vue. Dans la cellule, une jeune femme avait une plaie ouverte au crâne en raison d'un coup de matraque, il y avait des matières fécales au mur. Les policiers ont été odieux, on nous a refusé d'appeler un proche."
Une plaignantelors de la conférence de presse
Selon l'une des avocates, Aïnoha Pascual, plusieurs plaintes pour violences policières vont être déposées dans les prochains jours, "un tiers" des plaignants déclarant en avoir subi.
Les pénalistes et leurs clients critiquent aussi les motifs des interpellations lors des manifestations. La plupart des manifestants sont arrêtés pour "attroupement après sommations" ou "participation à un groupement en vue de la préparation de violences et de destructions", un délit puni d'un an de prison et de 15 000 euros d'amende. "Ils interpellent les gens avant qu'ils aient commis quoi que ce soit, c'est ce qu'on appelle une interpellation préventive", a fustigé l'un des avocats du collectif, Raphaël Kempf, lors de la conférence de presse. "Ce sont des gardes à vue 'sanctions', pour dissuader les personnes de revenir manifester", a appuyé sa consœur Coline Bouillon.
"Un aussi grand nombre d'interpellations n’avait pas été vu depuis les 'gilets jaunes'."
Coline Bouillon, avocateà franceinfo
L'avocate a également dénoncé "une opération de fichage des manifestants" avec "prélèvement des empreintes et de l'ADN". Ceux qui ont refusé se sont parfois vu poursuivre pour ce seul motif, a affirmé son confrère Alexis Baudelin. "Une de mes clientes, menacée de détention provisoire par le procureur au moment du défèrement, a craqué et a fini par les donner. Elle a obtenu ensuite une relaxe", a-t-il illustré.
Dix-sept enquêtes judiciaires confiées à l'IGPN
Dans leurs plaintes déposées contre X, dont franceinfo a pu consulter un exemplaire, les plaignants et leurs avocats relèvent que le fait d'être placé en garde à vue jusqu'à quarante-huit heures sans être poursuivi par la suite ne peut faire l'objet d'une réparation pour "privation de liberté injustifiée au sein d'un commissariat". Le droit français ne le prévoit pas. Par conséquent, "le seul moyen d'obtenir réparation consiste à déposer la présente plainte", écrivent-ils.
S'agissant du délit d'"entrave à la liberté de manifester", il doit "pouvoir être appliqué lorsque les forces de l'ordre et leur hiérarchie (...) font un usage illégitime de leur pouvoir", peut-on lire dans la plainte. "Ce comportement organisé (...) a eu pour effet de créer de la stupeur et de l'effroi parmi les manifestants qui se trouvaient dépossédés de la possibilité d’exercer pleinement leur liberté", poursuit le texte.
L'Inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie de 17 enquêtes judiciaires depuis la première journée nationale de mobilisation, le 19 janvier. Parmi celles-ci, l'une vise des policiers de la Brav-M, une brigade motorisée décriée, enregistrés en train de tenir des propos menaçants et humiliants à l'égard de jeunes manifestants interpellés dans la capitale.
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