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Proposition de loi de Liot pour abroger la réforme des retraites : la majorité mise sur l'irrecevabilité financière du texte pour empêcher son examen

Le camp présidentiel compte miser sur l'inconstitutionnalité de ce texte qui devrait être examiné le 8 juin.
Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance, lors d'une conférence de presse à l'Assemblée nationale, le 16 mai 2023. (QUENTIN DE GROEVE / HANS LUCAS / AFP)

Vote bloqué, obstruction parlementaire, examen du texte… Attablée avec quelques journalistes dans un restaurant la semaine dernière, une figure de la majorité listait les options s'ouvrant au camp présidentiel pour faire face à la très redoutée proposition de loi du groupe Liot. La vingtaine de députés, emmenée par Bertrand Pancher, veut soumettre, dans le cadre de sa niche parlementaire du 8 juin, un texte visant à abroger la réforme des retraites. Pour adopter une position commune, les trois groupes de la majorité – Renaissance, Horizons et le MoDem – se sont réunis, mardi 16 mai, en intergroupe. Et selon une source, confirmée en conférence de presse par les présidents de groupe, un large "consensus" s'est dégagé pour tout miser sur l'irrecevabilité financière du texte de Liot, au regard de l'article 40 de la Constitution. 

Le texte de Liot a peu de chances d'aboutir, mais un éventuel vote positif à l'Assemblée nationale, le 8 juin, donne des sueurs froides à la majorité. "Je ne vois pas comment ça ne passerait pas", soupirait auprès de franceinfo un ministre, il y a quelques jours. "Tout va être dans le symbole, on a tout à perdre", lâchait également un député Renaissance, croisé au Palais-Bourbon. 

L'article 40 de la Constitution dispose que les propositions de loi des députés et sénateurs ne sont pas recevables si elles diminuent les ressources ou aggravent les charges publiques. "La proposition de loi de Liot est inconstitutionnelle puisqu'elle crée une charge pour les finances publiques de 15 milliards d'euros", a ainsi affirmé Aurore Bergé devant les journalistes, parlant même d'"un coût global de 22 milliards d'euros". 

"On assume totalement l'application de l'article 40 (...), et pour répondre à ceux qui disent que c'est du blocage, c'est l'application stricte de la Constitution."

Jean-Paul Mattei, président du groupe MoDem

en conférence de presse

Oui, mais voilà, comment s'y prendre ? Le bureau de l'Assemblée nationale s'est déjà réuni sur le sujet, le 25 avril, et a jugé recevable au titre de l'article 40 le texte de Liot. De quoi faire pester certains députés de la majorité, qui jugent Yaël Braun-Pivet, la présidente de l'Assemblée nationale, bien trop frileuse sur le sujet. "Il y a des gens qui manquent de courage politique au bureau…", soufflait un parlementaire Renaissance, en la visant implicitement. Sollicitée de nouveau sur le sujet, en conférence des présidents mardi 16 mai, la tenante du perchoir a fermé la porte à un nouvel examen de cette proposition de loi en ce qui concerne le contrôle a priori. En clair, le dépôt du texte de Liot est bien jugé conforme. 

Mais la majorité compte bien déclarer la proposition de Bertrand Pancher et de son groupe irrecevable en se fondant sur l'alinéa 4 de l'article 89 du règlement intérieur de l'Assemblée nationale. Selon ce dernier, "l'irrecevabilité est appréciée par le président ou le rapporteur général de la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire ou un membre de son bureau désigné à cet effet." Or, l'opposition s'appuie sur une tradition qui veut que la question de la recevabilité financière revienne au président de la commission des finances, en l'espèce, Eric Coquerel. "C'est à moi qu'il revient, s'il y a un recours", de statuer, a ainsi affirmé le député LFI de Seine-Saint-Denis, mardi devant la presse.

"La majorité cherche, une fois de plus, à éviter le vote"

Et sur le fond, ce dernier n'est pas très emballé à l'idée de déclarer le texte irrecevable. "Une certaine jurisprudence a fait en sorte que l'article 40 soit traité de la manière la plus souple possible parce que chacun comprendra que si on l'appliquait de manière très stricte, il n'y aurait plus aucune proposition de loi dans les niches, a-t-il détaillé. La majorité cherche, une fois de plus, une façon d'éviter le vote."

Mais la majorité maintient son bon droit à actionner l'article 40. "Tout député peut saisir soit le président de la commission des finances soit le rapporteur des finances s'il y a un doute sur la recevabilité financière", a martelé Aurore Bergé, assurant que les députés du camp présidentiel procéderaient à cette saisine. En cas de conflit, a-t-elle poursuivi, ce sera au bureau de l'Assemblée nationale de trancher.

De quoi rendre furieux les adversaires de la majorité, qui, en cas de contournement d'Eric Coquerel, y voient "une remise en cause du rôle attribué à l'opposition", selon les mots de Pierre Dharréville. "Ils sont tremblotants à l'égard du vote qui vient", fustige le député PCF, tandis que sa collègue socialiste Christine Pirès-Beaune pointe "la peur panique de la majorité" sur ce sujet. "Ce ne sont que les premières escarmouches de la minorité présidentielle, rassurez-vous", ironise, de son côté, Charles de Courson, député Liot et responsable de son groupe sur les retraites. "Il y en aura d'autres pour empêcher la représentation nationale de se prononcer." Il ne croit pas si bien dire. "Le règlement de l'Assemblée permet des choses", souffle un député de la majorité, sans en dire davantage. Une fois de plus, la séquence sur la réforme des retraites n'en finit plus de s'étirer.

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