"Un président isolé" : la crise des retraites, nouvelle illustration de l'exercice solitaire du pouvoir par Emmanuel Macron
Emmanuel Macron a été réélu il y a moins d'un an, mais déjà flotte dans l'air comme un parfum de fin de règne. Le recours à l'article 49.3 de la Constitution a donné une seconde jeunesse à la mobilisation contre la réforme des retraites, mais aussi provoqué toute une série de violences dans plusieurs villes de France. La contestation va désormais au-delà de la seule question des retraites. "Ne pas avoir pensé une seule seconde que le 49.3 allait foutre le feu au pays c'est une faute dingue", s'agace un conseiller ministériel.
Comme au temps des "gilets jaunes", la colère se cristallise autour de la personne du président de la République. "J'avais été frappé lors des 'gilets jaunes' de la haine de certains envers Emmanuel Macron et là, ça revient", soupire le maire de Dijon, François Rebsamen. L'ancien ministre socialiste, qui avait appelé à voter pour le président sortant en 2022, dit ne pas reconnaître "l'homme qu'il a vu pendant la campagne présidentielle" et avoir "du mal à expliquer pourquoi".
Au sein du camp présidentiel, on se pose les mêmes questions. Quelles sont les raisons qui poussent Emmanuel Macron à se montrer aussi inflexible ? Entend-il, comprend-il réellement ce qui se joue un peu partout dans le pays ? "On découvre les événements et la stratégie au fur et à mesure qu'elle se déroule, nous ne sommes associés à rien et tout cela renvoie l'image d'un homme seul", observe un député de la majorité, dépité.
"Il a toujours été comme ça"
Pour certains, Emmanuel Macron succombe, comme d'autres présidents avant lui, à "la malédiction de l'Elysée". "Par définition, l'Elysée enferme", explique ainsi un conseiller ministériel. "J'ai tendance à dire que de manière générale, le pouvoir isole", observe le député Renaissance Benoît Bordat, tandis qu'un élu MoDem compare l'Elysée à "une tour d'ivoire". Pour Jérémie Peltier, codirecteur de la Fondation Jean-Jaurès, c'est aussi la personnalité d'Emmanuel Macron qui est en cause. "Il n'y a pas de changement depuis qu'il est arrivé au pouvoir, il a toujours été comme ça, à dire : 'Faites-moi confiance, je sais mieux faire que les autres.' Sauf que là, les gens ne lui accordent plus ça", explique-t-il.
"Emmanuel Macron dit : 'Je suis sûr qu'on saura tous s'unir et se réunir pour l'avenir de notre pays.' Mais, est-ce qu'il se rend compte que les gens sont unis contre lui ?"
Jérémie Peltier, codirecteur de la Fondation Jean-Jaurèsà franceinfo
Selon un sondage BVA pour RTL paru lundi, Emmanuel Macron ne recueille plus que 28% d'opinions favorables. Deux points au-dessus de son plus bas historique, lors de la crise des "gilets jaunes", en novembre 2018. Une impopularité à mettre en relation avec son absence du terrain, qui renforce l'image d'un président bunkérisé.
Le chef de l'Etat a effectué, jeudi 30 mars, pour la première fois depuis deux mois, un déplacement à Savines-le-Lac (Hautes-Alpes) pour annoncer son "plan Eau", sous étroite escorte policière. La contestation "ne m'empêche pas d'aller à la rencontre des Français", a cru bon de souligner le chef de l'Etat, alors que les manifestants contre la réforme des retraites et les écologistes étaient tenus à bonne distance. Une image qui contraste avec le Macron de 2017, adepte des bains de foule, y compris en terrain hostile et malgré les sueurs froides des services de sécurité.
Un président "qui n'écoute plus personne"
Avant cette séquence à Savines-le-Lac, Emmanuel Macron a enchaîné les voyages officiels à l'étranger, faisant douter ses propres soutiens. "Il ne sort plus, à part pour faire de l'inter ou de l'Europe, on a l'impression que la France l'emmerde", constatait, en début de semaine, une cheville ouvrière de Renaissance. Le même dépeignait "un président isolé, qui n'écoute plus personne".
Faux, répond l'entourage du président. "Il est profondément enraciné et attentif au pays. Ce n'est pas parce qu'il ne répète pas ce que disent les commentateurs parisiens qu'il ne comprend pas l'humeur de la nation", assure un conseiller élyséen. "Dans la période récente, j'ai pu constater que le président était pro-actif, en demande de remontées de terrain sur l'état du pays et le ressenti de l'opinion publique", relate le député Renaissance Marc Ferracci, très proche d'Emmanuel Macron.
"Il parle à des députés qui ont des circonscriptions très différentes, rurales ou urbaines, qui lui sont favorables ou pas, afin de ne pas avoir le même son de cloche. Il fait très attention à ça. Il a également gardé contact avec des maires rencontrés pendant le grand débat national en 2019."
Marc Ferracci, député Renaissanceà franceinfo
"Il est le président décidé à changer les choses de la vie, pas celui des plateaux et des sondages, poursuit également un conseiller élyséen. Sur les marchés du pays, on parle d'eau, d'école et de santé. Pas du 49-3." "On a l'impression que rien ne remonte ! Il est aussi mal accompagné et entouré", contredit pourtant un député de la majorité qui assure ne pas avoir de contacts avec le cabinet présidentiel. "Il y a un sentiment d'injustice chez les Français que j'aimerais bien lui faire sentir", relate François Rebsamen, qui n'a pas eu l'occasion d'échanger avec lui depuis le début de la crise.
De nouveau, l'entourage du président est pointé du doigt. "Je ne sais pas si les gens autour de lui osent lui dire la vérité", s'interroge un élu local qui le connaît bien. "C'est le problème des courtisans, dès l'instant où tu as du pouvoir, tu as des courtisans, il n'y en a pas beaucoup qui le confrontent", assure un parlementaire macroniste. Les critiques se concentrent, comme à chaque crise, autour du tout puissant et indéboulonnable secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, qui tire le chef de l'Etat vers sa droite. Morceaux choisis au sein de la majorité : "il cristallise pas mal de colère", "il ferait bien de le virer, ça nous ferait des vacances".
"Il est très conscient de l'état du pays"
Autre personnage élyséen dans le viseur : Frédéric Michel, le conseiller communication d'Emmanuel Macron. Surnommé "l'Américain" par certains macronistes, cet ancien lobbyiste en chef de Rupert Murdoch, qui vivait avant son recrutement à New York, "ne comprend pas l'état du pays", note Jérémie Peltier. "Il a été recruté pour laisser une marque du président à l'international", soupire une source ministérielle. Le choix fait par Frédéric Michel d'accorder à Pif Magazine une interview du chef de l'Etat, publiée en pleine contestation sociale, interroge. Surtout pour y déclarer qu'en cas d'"énorme crise", le président peut remettre son mandat en jeu "et le peuple vote à nouveau". Une petite phrase qui résonne étrangement dans le contexte actuel.
En décalage, le président ? La théorie d'un président déconnecté, qui ne comprend pas le pays, est battue en brèche par certains. "Lorsqu'on est à l'Elysée, on a tous les capteurs, on sait ce qui se passe dans le pays, mais lui n'écoute pas", assène un macroniste. Emmanuel Macron aurait donc parfaitement conscience de la colère qui agite la France mais choisirait sciemment de passer outre. "Il est très conscient de l'état du pays. Il a fait le choix de réformer le pays contre une opinion publique majoritaire et il l'assume", livre un député de la majorité, sceptique sur cette méthode.
"Il est dans une logique : peu importe les conséquences politiques, l'important est de mener les bonnes réformes pour le pays."
Un parlementaire de la majoritéà franceinfo
La stratégie du pourrissement, choisie par Emmanuel Macron, semble porter ses fruits depuis quelques jours, observent certains de ses soutiens. "La semaine n'a pas été si terrible que ça avec mardi une mobilisation en baisse, la future rencontre entre les syndicats et Borne la semaine prochaine, et le président qui revient sur le terrain avec le plan Eau", se réjouit un élu macroniste. Trop tôt pour dire si la sortie de crise est réelle. "Le président pensait que les gens seraient résignés, alors que la réforme des retraites a réveillé les Français", rappelle Jérémie Peltier.
Le chef de l'Etat, qui doit reprendre la parole à partir de la mi-avril, va devoir montrer qu'il est encore en phase avec les préoccupations des Français. "Il est plus que jamais attentif à mieux prendre en compte la société et rénover la démocratie", livre un conseiller élyséen, qui cite la réforme des institutions ou la convention citoyenne pour la fin de vie. Mais les troupes d'Emmanuel Macron sont en plein doute. "On ne sait pas comment recréer le lien, le pays est profondément divisé", lâche, lucide, un député Renaissance.
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