Fichage, notes de frais, guerre de succession... Pourquoi Force ouvrière est affaiblie par plusieurs crises
Après la démission mi-octobre de Pascal Pavageau du poste de secrétaire général du syndicat, l'organisation traverse une zone de turbulences.
Force ouvrière dans la tourmente. Alors que l'élection du prochain secrétaire général du syndicat doit se tenir le 22 novembre, l'organisation syndicale ne cesse d'être secouée : après la démission à la mi-octobre de Pascal Pavageau, liée à la révélation d'un fichier occulte listant les cadres de la centrale, Le Parisien révèle, lundi 12 novembre, la "situation financière inquiétante" dans laquelle se trouve le syndicat et pointe une "dérive financière". Etat des lieux des différentes crises qui affaiblissent FO.
Une affaire de fichage embarrassante
"Bête", "mauvais", "ordure", "complètement dingue", "franc-maçon"... Ces observations apparaissaient dans un fichier dévoilé par Le Canard enchaîné dans son édition du 10 octobre. Le document a été constitué par des proches de Pascal Pavageau, en 2016, à une époque où ce dernier se positionnait pour remplacer Jean-Claude Mailly à la tête du syndicat. La liste recensait 126 personnes, cadres du syndicat, pour la plupart responsables des fédérations professionnelles et des fédérations départementales.
>> Cinq questions sur l'affaire de fichage qui mine Force ouvrière
Après une semaine de polémique, Pascal Pavageau a été forcé de démissionner de son poste de secrétaire général de FO, moins de six mois après son élection. "A tous les adhérents, je m’excuse de lâcher, mais c'est trop dur, explique-t-il dans un courrier adressé à tous les membres du Comité confédéral national. Dans ce message, il fait également état d'une plainte "suite au vol effectué dans le bureau de la responsable du personnel, le 1er octobre". Et prévient : "Plusieurs fichiers sensibles et confidentiels concernant les salariés et les secrétaires confédéraux du siège devraient être diffusés."
Tout ce petit monde ne cherche pas uniquement à ce que des têtes tombent, mais poussent aussi par leurs agissements intéressés à ce que notre organisation cesse de bouger et que certains tiroirs ne soient jamais ouverts.
Pascal Pavageaudans son e-mail de démission
Et Pascal Pavageau d'accuser : "La première chose que vous avez cherché à m'imposer d'arrêter est la mise en place d'un audit sur l'état des finances internes."
Une situation financière délicate
C'est dans Le Parisien qu'est révélée, lundi 12 novembre, la situation financière de Force ouvrière : le syndicat a subi 635 182 euros de pertes en 2017, selon des documents de comptabilité interne cités par le quotidien. En 2016, FO avait enregistré un excédent de 1,1 million d'euros, selon ses comptes certifiés. L'actuelle direction conteste le chiffre des pertes pour 2017 et assure auprès de l'AFP que ses comptes n'ont encore été certifiés par aucune instance en interne mais que ce sera fait "très rapidement".
Le Parisien assure également que les 13 membres de la direction de la confédération totalisent 388 683 euros de notes de frais (hôtels, loyers, trains...) pour 2017. Ainsi, Pascal Pavageau a présenté une facture de 50 836 euros, contre près de 50 000 euros en 2016 et 33 800 euros en 2015. Jean-Claude Mailly, son prédécesseur, a lui présenté une facture de 34 000 euros, contre 32 000 euros en 2016 et 35 000 euros en 2015. Le quotidien pointe également les "confortables salaires" des cadres de FO. En 2017, l'ancien numéro un du syndicat a par exemple perçu 100 334 euros brut tout compris.
Dans un communiqué diffusé lundi après-midi, le bureau de FO dénonce "une campagne de dénigrement et de calomnie". "L'article paru ce matin amalgame des éléments qui ne sont en rien constitutifs de la rémunération", regrette la direction du syndicat. Le texte évoque notamment les différentes situations "des camarades issus de conditions salariales très différentes et résidant en province", y compris dans les territoires d'outre-mer, ainsi que "l'obligation d’une double résidence à Paris (loyer et frais de transports) lorsque la famille demeure en province".
Interrogé par L'Obs, Patrice Clos, candidat à la succession de Pascal Pavageau, estime lui qu'"il faut remettre de l'ordre dans les finances de FO".
Les adhérents de FO ne payent pas des cotisations pour que ça profite aux dirigeants !
Patrice Closdans "L'Obs"
Patrice Clos poursuit : "Il faudra limiter les notes de frais et plafonner les rémunérations. J'irai jusqu'au bout, et l'article d'aujourd'hui [celui du Parisien] ne fait que me conforter dans ma volonté."
Une guerre de succession incertaine
Dans l'histoire de FO, qui vient de fêter ses 70 ans, il y a rarement eu plus d'un candidat à la tête du syndicat, mais ils n'ont jamais été plus de deux. Cette fois, la situation est inédite. Trois candidats s'affronteront le 22 novembre pour succéder à Pascal Pavageau. Car FO relève d'un équilibre politique hétéroclite et subtil : le syndicat rassemble réformistes, trotskistes mais aussi des anarchistes.
Faute de consensus, Patrice Clos, secrétaire national de la fédération des Transports et de la logistique et proche de Pascal Pavageau, s'est lancé dans la bataille. Puis Christian Grolier, l'homme de la fonction publique chez FO, s'est déclaré. Il est décrit par certaines sources internes comme proche des trotskistes. Enfin, Yves Veyrier, membre de la direction de FO et réputé proche de l'ancien secrétaire général Jean-Claude Mailly, est également candidat.
Ces trois candidatures font redouter une multiplication des divisions au sein d'une organisation déjà déchirée. Force ouvrière fait face à "une crise existentielle", souligne Le Monde (article payant). "Minoritaires dans les instances, les réformistes sont majoritaires à la base, où FO signe autour de 90 % des accords d’entreprise. Sans consensus minimal, c’est la plongée dans l’abîme qui guette la centrale", analyse le journal du soir.
C'est dans ce climat que FO doit préparer les élections professionnelles de la fonction publique, qui se tiendront le 6 décembre. Le score de l'organisation sera particulièrement scruté : aujourd'hui, Force ouvrière représente la troisième force syndicale du secteur public et même première dans la fonction publique d'Etat.
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