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Comment les syndicats comptent rattraper la fronde sociale

Sept syndicats régionaux ont appelé à une mobilisation en Bretagne le 23 novembre. Mais la problématique du "ras-le-bol fiscal" est difficile à appréhender pour ces organisations.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT (à gauche), et Jean-Claude Mailly, leader de Force ouvrière (à droite), le 9 avril 2013, lors d'une manifestation, à Paris. ( WITT / SIPA)

Ils ont beau avoir choisi une couleur caractéristique du syndicalisme, les "Bonnets rouges" n'agissent pas au nom d'un mouvement syndical. Depuis le début de la mobilisation contre l'écotaxe, les syndicats se sont davantage signalés par leur discrétion que par leur solidarité avec les protestataires, qui assurent pourtant lutter pour l'emploi dans leur région. Mercredi 13 novembre, sept organisations syndicales régionales de Bretagne ont finalement appelé les salariés à une journée de mobilisation régionale, le 23 novembre. Mais les grandes centrales semblent peu à l'aise avec une grogne qu'elles veulent réorienter. Francetv info détaille comment les syndicats tentent de prendre le train de la contestation en marche.

Refuser le "ras-le-bol fiscal" et exiger une réforme globale

Dénonçant la récupération politique, Laurent Berger, le leader de la CFDT, justifie ainsi la non-participation des syndicats au mouvement des "Bonnets rouges" : "Il y a une montée du populisme et du Front national dans le monde salarial, et on ne nourrira pas cette situation en gueulant le plus fort." Pas question donc de souscrire au "ras-le-bol fiscal", une cause qui jure avec les thèmes habituellement défendus par les syndicats, comme l'analyse Le Figaro. "L'impôt est utile, précise Jean-Claude Mailly, numéro un de Force ouvrière. Il finance les services publics et contribue à réduire les inégalités."

Mais pour être accepté, l'impôt doit être "juste", affirment en chœur les organisations syndicales. Le problème de la politique fiscale du gouvernement ne réside pas dans un trop-plein d'impôts, mais dans "les hésitations, les ordres et les contre-ordres", souligne Luc Bérille, secrétaire général de l'Unsa, pour qui "il faut mettre les choses à plat et redonner du sens". "Si l'impôt est aujourd'hui remis en cause, c'est que notre système est devenu illisible, incompréhensible et inéquitable", affirme de son côté la CFDT. Comme toutes les centrales, cette dernière plaide, non pas pour une baisse des taxes, mais pour "une réforme fiscale globale", indispensable pour assurer "la cohésion sociale".

Défendre les salariés, pas les contribuables

Les organisations syndicales ne nient pas pour autant l'exaspération des Français. Jean-Claude Mailly évoque clairement "un sentiment de révolte", "un volcan" qui "bouillonne". Cependant, pour le leader syndical, ce conflit n'est pas uniquement social, mais "protéiforme", explique-t-il sur BFM Business

"L'objet de la grogne ne se limite pas aux salariés, analyse Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail, contacté par francetv info. Il s'agit d'une colère liée aux impôts, une grogne fiscale qui concerne tout le monde, les artisans, les chefs d'entreprise ou les professions libérales. Je parlerais même plus de 'jacquerie', de mouvement sociétal, identitaire, lié aux particularismes historiques de la Bretagne en matière d'impôts. En revanche, les syndicats sont présents pour défendre les salariés des groupes en difficulté, comme Gad ou Doux. Ils sont là où ils doivent être." 

Déplacer la cible sur le patronat

Déjà présentes dans les réunions impliquant élus bretons, "Bonnets rouges" et membres du gouvernement, sept organisations syndicales de Bretagne ont fini par appeler à manifester le 23 novembre, avec des rassemblements prévus dans les quatre départements de la région. Mais le "ras-le-bol fiscal", ou la suppression de l'écotaxe, sont absents de la déclaration unitaire annonçant cette mobilisation. On y dénonce plutôt le "pacte d'avenir" pour la Bretagne, l'accord promis par le gouvernement, jugé "insuffisant".

Pointant du doigt les "manœuvres de récupération" de la "détresse" des salariés, les organisations y exigent des garanties sur l'utilisation des sommes promises aux entrepreneurs en colère. Pas question donc que ces aides servent à alléger les charges des patrons, au lieu de financer le maintien de l'emploi. "Il faut en finir avec ces méthodes de gestion de trop d'entreprises irresponsables et arrogantes, détournant et gaspillant subventions et force de travail". Les syndicats veulent donc modifier en profondeur le message de la fronde contre le gouvernement, pour en faire un moyen de pression sur le patronat.

Surfer sur la vague malgré les conditions défavorables

Cette mobilisation anti-taxes tombe mal pour des organisations syndicales en manque d'unité. Dans une interview accordée au Figaro, Thierry Lepaon, le leader de la CGT, oppose l'unité des patrons et des "Bonnets rouges" aux dissensions opposant les syndicats, matérialisées lors de la dernière conférence sociale. Il fustige notamment la CFDT, "ultraprivilégiée" par le gouvernement. FO, de son côté, a claqué la porte des négociations en Bretagne, et ne soutient pas la mobilisation du 23 novembre.

Plus concrètement, les syndicats ont également eu du mal à attirer les foules lors des derniers rassemblements. Le 10 septembre, à Paris, entre 155 000, selon la police, et 370 000 personnes, selon les organisateurs, ont participé à une manifestation contre la réforme des retraites, alors que la CGT visait les 500 000 participants.

Malgré ces obstacles, les leaders syndicaux ne veulent pas rater le coche de la grogne antigouvernementale. Ils n'hésitent pas à taper à leur tour sur l'exécutif, "qui en fait trop pour les patrons", comme l'a clamé Thierry Lepaon, mercredi sur RTL.

L'objectif des syndicats est de greffer leurs propres chevaux de bataille à la liste des revendications qui s'empilent sur le bureau de François Hollande. Un rassemblement de la CGT doit à nouveau dénoncer la réforme des retraites, le 19 novembre, jour du retour du texte à l'Assemblée. Et le 1er décembre, ce sera la hausse de la TVA, programmée pour le 1er janvier, qui sera dans le viseur, lors d'une grande manifestation organisée à Paris.

Mais la CGT, comme d'autres organisations, hésite à participer à cette "marche pour une révolution fiscale", lancée par Jean-Luc Mélenchon. L'Unsa et les représentants de Solidaires ont déjà annoncé qu'ils n'y prendraient pas part. Car là encore, difficile de savoir de quel camp viendront les protestataires. Ainsi, dans la foulée du mouvement des "Bonnets rouges", l'UMP et l'UDI ont également prévu de fustiger la hausse de la TVA, comme l'expliquent Les Echos, aux côtés des artisans et des commerçants de l'UPA. C'est donc à un inévitable numéro d'équilibriste que doivent se préparer les organisations syndicales. Sauter dans un train en marche n'est jamais simple.

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