Ecotaxe : pourquoi la suspension annoncée par Ayrault n'est pas une solution
Le Premier ministre interrompt l'application du dispositif au niveau national. Ce qui ne devrait pas endiguer la contestation pour autant. Explications.
Un bond en arrière. Après 48 heures de consultations et de négociations sous haute tension, et face à une Bretagne en ébullition, Jean-Marc Ayrault a annoncé, mardi 29 octobre, la suspension du dispositif de l'écotaxe au niveau national. Suspension qui s'accompagne d'un dialogue, lui aussi à l'échelle du pays, impliquant l'Etat, les élus locaux et les "forces économiques". Mais aucun calendrier n'a été évoqué. Cette reculade risque de ne satisfaire personne. Pourquoi ? Explications.
1Parce que ce n'est que partie remise
Ils étaient furieux et c'est à peine retombé. Les agriculteurs bretons maintiennent leur mobilisation prévue le samedi 2 novembre à Quimper (Finistère). En effet, avec les élus de l'opposition, ils réclamaient l'abandon pur et simple de l'écotaxe.
"Ce n'est pas suffisant, la Bretagne demande sa suspension définitive", a déclaré Christian Troadec, maire (DVG) de Carhaix, à l'origine du collectif Vivre, décider, travailler en Bretagne. L'élu martèle : "La Bretagne demande la suspension définitive de l'écotaxe, d'autant plus que nous ne connaissons pas la durée de ce moratoire."
Déception aussi pour Nathalie Marchand, éleveuse de porcs et secrétaire nationale de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles Ille-et-Vilaine, rencontrée par France 2. Elle a l'impression qu'on essaye de "l'endormir une nouvelle fois".
2Parce qu'elle ouvre de nouveaux fronts
Si cette solution a l'avantage de ne pas donner l'impression de favoriser la Bretagne, le flou qui l'entoure n'empêche pas la critique. Et notamment de la part des écologistes, favorables à cette mesure adoptée à l'origine lors du Grenelle de l'environnement en 2009. "C'est lamentable, il n'y a aucun courage politique", assène Bruno Genty, président de la France nature environnement, qui regroupe 3 000 associations environnementales. Et de regretter : "Je ne pense malheureusement pas que cela va résoudre les problèmes de l'élevage... L'environnement devient le bouc émissaire des problèmes économiques."
Sur France info, le député écologiste Noël Mamère s'est dit "atterré par le manque de courage du gouvernement et du Premier ministre", tandis que José Bové qualifie de "minable" cette décision de report "sine die". De leur côté, Barbara Pompili et François de Rugy, coprésidents du groupe Europe Ecologie-Les Verts à l'Assemblée, qui ont été reçus à Matignon, réclamaient une "clarification" et un "calendrier". De quoi reposer la question lancinante de la participation des Verts au gouvernement.
Autre front qui pourrait s'ouvrir : les grandes surfaces. En effet, parmi les pistes évoquées pour alléger la facture des agriculteurs et transporteurs, l'idée avancée par le président PS du conseil régional de Bretagne a fait son chemin. Pierrick Massiot propose de faire payer les grandes surfaces. Destinataires de la plupart des produits transportés et accusées de maintenir la pression sur les exploitants en réduisant leurs marges, elles pourraient payer une partie de l'addition. A la sortie de la réunion avec Jean-Marc Ayrault, Chantal Guittet, députée PS du Finistère a longuement évoqué cette piste. Confirmant au passage une possible levée de bouclier de la part des enseignes.
3 Parce qu'elle peut coûter cher à l'Etat
Si elle ne signifie pas pour l'instant que la taxe est enterrée, sa suspension pose plusieurs questions d'ordre économique. D'abord, ce dispositif devait rapporter 1,1 milliard d'euros par an, dont 760 millions devaient être reversés à l'Etat, pour financer la transition écologique et des moyens de transports plus durables.
Ensuite, l'Etat s'est engagé avec Ecomouv', la société chargée par contrat du financement, de la conception, de la réalisation, de l'entretien, de l'exploitation et de la maintenance de l'écotaxe et de ses équipements. Or une clause, signée par le gouvernement de François Fillon en 2011 prévoit, en cas d'abandon de la mesure, un dédommagement d'un milliard d’euros sur un an, dont 800 millions à payer immédiatement, selon Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture.
4Parce cela affaiblit encore un peu plus l'exécutif
L'une des porte-parole des députés PS, Annick Lepetit, a bien essayé de limiter la casse : "Nous avons prouvé depuis dix-huit mois notre capacité à assumer des décisions difficiles, impopulaires. Mais gouverner, c'est aussi savoir écouter, dialoguer, négocier des compromis intelligents", plaide-t-elle, avant de rejeter tout "acte de faiblesse" ou "crainte d'impopularité".
Mais il s'agit bel et bien d'un nouveau pas en arrière de l'exécutif, qui enterre une à une ses propres taxes, après le retrait de la taxe sur l'excédent brut d'exploitation, le retournement sur la taxe sur le diesel, les reculs sur la niche fiscale pour frais de scolarité, le taux réduit de TVA, ou encore sur l'imposition sur certains produits d'épargne. "Si le gouvernement cède, il n'aura plus d'autorité sur rien ", avait averti le sénateur EELV Jean-Vincent Placé. Dans Le Figaro, un député PS estime que "la crédibilité du gouvernement sur sa capacité à décider est très entamée."
Et l'UMP de s'engouffrer dans la brèche, alors qu'elle réclamait elle-même ce moratoire : "C'est une nouvelle reculade du gouvernement, c'est la reculade du jour, assez pitoyable", a notamment estimé, sur BFMTV, l'ancien ministre des Transports Dominique Bussereau. Quant à Jean-François Copé, il s'est dit "soulagé que le Premier ministre ait reculé". Alors que la crise d'angoisse fiscale guette le gouvernement, et que François Hollande s'apprête à recevoir des présidents de club de football professionnels très remontés contre la taxe à 75%, cette décision envoie un mauvais signal.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.