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Divisions internes, trêve post-attentat, froid... Pourquoi la mobilisation des "gilets jaunes" s'est-elle essoufflée pour "l'acte 5" ?

"L'acte 5" des "gilets jaunes" a beaucoup moins mobilisé que les samedis précédents. Pour le politologue Olivier Costa, "il y a un effet de fatigue mais ce n'est pas ce qui joue de manière prépondérante".  

Article rédigé par franceinfo - Juliette Campion
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des "gilets jaunes", le 15 décembre 2018 sur les Champs-Elysées à Paris. (VALERY HACHE / AFP)

"Quand on voit concrètement combien de personnes il y a dans la rue, je vous le dis honnêtement, je n'ai qu'une envie, c'est de poser le gilet. On est moitié moins de ce qu'on était la semaine dernière" résume Stella, membre des "gilets jaunes", à l'AFP, samedi 15 décembre, à Lyon. Un mois après le début du mouvement, les rues sont apparues plus clairsemées lors de cette cinquième journée de mobilisation.

Au total, quelque 66 000 personnes ont manifesté dans toute la France, selon un décompte du ministère de l'Intérieur publié dans la soirée. Soit deux fois moins que les 126 000 samedi dernier. A Rennes, 300 personnes ont défilé contre 2 200 le 8 décembre, tandis qu'à Nantes on dénombrait 1 200 "gilets jaunes" contre 3 000 une semaine plus tôt. Pourquoi le mouvement faiblit-il ? Franceinfo vous propose trois éléments de réponse. 

Parce que les annonces d'Emmanuel Macron ont créé des clivages internes 

Pour le politologue Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS, les mesures proposées par le chef de l'Etat lundi 10 décembre ont contribué à créer de fortes dissensions entre les "gilets jaunes" : "Macron a réussi à diviser le mouvement et à retourner l’opinion. Les plus modérés ont reconnu qu'un effort substantiel avait été fait", explique-t-il à franceinfo. 

Beaucoup s'aperçoivent que le président n'ira pas plus loin et ont envie de passer à autre chose.

Olivier Costa

à franceinfo

Plusieurs figures des "gilets jaunes" ont en effet partagé leur satisfaction après l'allocution présidentielle. Dès le lendemain, Jacqueline Mouraud, l'une des icônes des protestataires, a appelé sur LCI à "sortir intelligemment du mouvement". Contacté par franceinfo, Benjamin Cauchy, porte-parole des "gilets jaunes libres", souligne que le "gouvernement a tendu la main". Il a choisi de ne pas manifester samedi pour privilégier "la négociation et le dialogue social pour faire avancer le pouvoir d'achat". "Aujourd'hui, Macron nous a compris et ce n'est pas en mettant la France à feu et à sang que nous obtiendrons gain de cause", tranche-t-il. 

Parce que l'attentat de Strasbourg a renforcé ces divisions 

Peu après l'attentat de Strasbourg, qui a fait quatre morts, mardi soir, le gouvernement a appelé les "gilets jaunes" à ne pas poursuivre leur mobilisation samedi, par mesure de sécurité et pour préserver les forces de l'ordre. "Il n'est pas raisonnable de manifester", a insisté Benjamin Grivaux, jeudi sur CNews, car "nos forces de l'ordre et de sécurité ont été mises à contribution énormément ces dernières semaines". Des propos également tenus par la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. Celle-ci a jugé, mercredi, que "le mouvement devait cesser" à la suite de "l'événement dramatique" de Strasbourg, et compte tenu des "réponses apportées par le président de la République" à la mobilisation. 

Pour le politologue Olivier Costa, l'attentat de Strasbourg a également pu être mal vécu par certains "gilets jaunes", en raison des théories complotistes circulant sur des groupes Facebook liées au mouvement. "Il y avait déjà, pour eux, la problématique de la violence des casseurs."

La multiplication des déclarations conspirationnistes, faites après l'attentat de Strasbourg, a refroidi toute une partie des militants sincères et engagés.

Olivier Costa

à franceinfo

Beaucoup de manifestants "ne veulent pas être assimilés à ces théories", poursuit le politologue. Plusieurs internautes avaient, dès l'annonce de l'attaque, assuré sur des groupes Facebook que le gouvernement ou les services secrets étaient à l'origine de l'attentat, et ce faisant, qu'ils souhaitaient "casser le mouvement" des "gilets jaunes". "Le mec qui veut faire un attentat vraiment, il n'attend pas qu'il y ait trois personnes dans une rue le soir à 20 heures, il va en plein milieu des Champs-Elysées quand il y a des millions de personnes et il se fait exploser. Ça c'est un vrai attentat", avait notamment estimé, dans une vidéo, Fly Rider, alias Maxime Nicolle, l'un des chefs de file de la mobilisation. Face à ces messages, plusieurs administrateurs de ces groupes ont déclaré qu'ils préféraient empêcher toute publication – un geste salué par beaucoup de "gilets jaunes" dénonçant ces messages complotistes. 

Parce que le froid et la fatigue pèsent sur la motivation des "gilets jaunes" 

Samedi, les plus motivés ont dû braver le froid et parfois la pluie pour faire entendre leurs revendications. Des conditions météorologiques plus rudes que les autres semaines qui n'aident pas à mobiliser, comme le constate le "gilet jaune" Frank Buhler. "Il y a beaucoup de gens qui sont tombés malades à force d'être restés stationnés dans le froid pendant des jours", explique cette figure du mouvement originaire de Tarn-et-Garonne, à franceinfo. 

Il y a aussi l'arrivée de Noël : il faut préparer les fêtes, faire les courses... Les familles des "gilets jaunes" leur mettent la pression pour qu'ils lèvent le pied.

Frank Buhler

à franceinfo

Pour Olivier Costa, cette lassitude aura une conséquence : l'essentiel des mobilisations va se recentrer sur les ronds-points. "Le mouvement faiblit dans sa capacité à mobilier dans les grandes villes. On va revenir à l'essence de la lutte : là où les casseurs ne peuvent pas s'inviter", juge-t-il. 

Marie, l'une des coordinatrices à Dinan (Côtes-d'Armor), confirme auprès de franceinfo cette volonté d'insuffler un nouvel élan : "Le mouvement ne s'éteint pas, mais il prend une forme différente. On va tenter d'élaborer des actions plus construites, moins fatigantes." Sa principale revendication ? La mise en place de "RIC", ces "référendums d'initiative citoyenne", largement inspirés de ce qui se pratique en Suisse. Un scrutin plus participatif qui permettrait de "pérenniser le mouvement et redonner aux citoyens un instrument pour peser sur la vie politique", analyse Olivier Costa. 

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