"Gilets jaunes" : au procès du CRS jugé pour avoir lancé un pavé, le tribunal anticipe une "décision difficile"
Un policier de 44 ans a comparu, jeudi, à Paris. La procureure de la République a requis trois mois d'emprisonnement avec sursis. Le jugement sera rendu le 19 décembre.
Il évoque un "réflexe", pour organiser un "repli stratégique". Le CRS qui a lancé un pavé en direction de "gilets jaunes", le 1er mai 2019 à Paris, comparaissait, jeudi 21 novembre, au tribunal de grande instance de la capitale, pour "violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique n'ayant pas entraîné d'incapacité". Le brigadier, membre de la CRS 27 et basé à Toulouse, a répondu calmement aux questions du président, malgré un contexte particulier : il s'agit du premier procès d'un membre des forces de l'ordre, après les nombreuses plaintes pour violences policières déposées depuis le début du mouvement des "gilets jaunes".
"Là, je prends peur"
Ce 1er mai, il est environ 17h30, lorsque le CRS de 44 ans voit son capitaine tomber à ses côtés, frappé par un pavé. "Je vois une plaie béante large de 10 centimètres, au niveau de son front. Là, je prends peur", explique-t-il, avec une pointe d'émotion. Ils se trouvent en queue de cortège, dans le 13e arrondissement de la capitale, en face de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Les projectiles continuent de voler. Le CRS ramasse un pavé qui vient de rouler à ses pieds, le lance par-dessus une haie, derrière laquelle se trouvent la chaussée et des manifestants. Le père de deux enfants assure avoir visé une "zone neutre", "un endroit où il n'y avait pas de manifestants", pour aider ses collègues.
"Quand je lance le pavé, c'est pour faire une distance de sécurité pour les collègues et pour moi-même, pour que les manifestants ne se rapprochent pas", se justifie le CRS, considéré par sa hiérarchie comme un excellent élément, noté 6 sur une échelle de 7. Ce geste est-il un "réflexe", comme il le répète, ou bien de la "colère", comme l'a écrit un collègue dans un témoignage versé au dossier ? Deux membres des forces de l'ordre se succèdent à la barre, pour rappeler l'"état d'épuisement total" des forces de l'ordre le 1er mai. Ils soutiennent aussi que ce "réflexe technique" est le "geste élémentaire du combattant".
Le président projette des vidéos des faits, plusieurs fois, à vitesse réelle puis au ralenti, avec des pauses. La vidéo suivante a été diffusée lors de l'audience.
Comment le policier a-t-il pu s'assurer que le pavé n'avait touché personne, interroge le magistrat ? "Il y a des bosquets, mais on peut voir à travers", répond le CRS. Son lancer n'a pas fait de victime connue et aucune partie civile ne s'est constituée dans ce procès. Ce constat pousse Laurent Boguet, l'avocat du CRS, à plaider la relaxe. "Ce jet de pavé, il est minable", lance-t-il, avant de souligner qu'il "atterrit juste derrière la barrière". Cela montre que le CRS n'avait pas la volonté de blesser. La qualification de "violences volontaires" est donc inappropriée, selon l'avocat.
Nécessité et stricte proportionnalité
"Peu importe qu'il y ait des victimes ou pas, peu importe le résultat", tacle la procureure Aude Duret, qui requiert trois mois d'emprisonnement avec sursis. "Ce n’est pas le procès de la police, insiste-t-elle. Ni le procès de certains manifestants black blocs." Pour le ministère public, "la violence légitime des forces de l'ordre s'oppose aux violences immédiates désordonnées de certains manifestants".
Lorsque ce policier lance ce pavé, il ne peut pas ignorer qu'il peut occasionner des blessures graves.
Aude Duret, procureure
De son côté, le président du tribunal rappelle à plusieurs reprises les questions fondamentales que le tribunal doit trancher : ce lancer de pavé était-il "nécessaire" ? Répondait-il à une "stricte proportionnalité" ? Non, tranche la procureure. Elle ne croit pas qu'un jet de pavé puisse être perçu par les manifestants comme une demande de rester à distance ou un geste destiné à arrêter des violences. Au contraire, selon elle, ce geste peut déclencher davantage de violence.
Le président prédit "une décision difficile", mise en délibéré au 19 décembre. "Notre décision est d'ores et déjà critiquée alors qu'elle n'est pas rendue", déclare-t-il. Quelle qu'elle soit, la décision sera épinglée, soit par les forces de l'ordre, soit par les manifestants. Toutefois, à l'issue de l'audience, l'avocat du CRS se montre satisfait. D'après lui, son client "aura eu, au moins, à ce stade de l'affaire, l'impression qu'il a pu s'exprimer et qu'il a pu être entendu". Il salue la façon dont les débats ont été menés et considère les réquisitions "adaptées".
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