"Gilets jaunes" : l'absence de réponses crée un "vide sidéral ultra-inquiétant pour l'avenir", selon un économiste
Pour Olivier Bouba-Olga, il faut arrêter de croire que les manifestants sont éloignés du marché de l'emploi, et leur apporter urgemment des réponses.
Il faut "arrêter de croire" que les "gilets jaunes" qui manifestent sont "des gens éloignés du marché de l'emploi, dans les territoires ruraux", affirme l'économiste Olivier Bouba-Olga vendredi 7 décembre sur franceinfo. Selon ce spécialiste des inégalités territoriales à l'université de Poitiers, les manifestants représentent "les classes moyennes" en proie à une "crise de la représentation". Il est urgent de leur apporter des réponses car "il y a un vide sidéral ultra-inquiétant pour l'avenir et pour les prochaines élections", a-t-il averti.
franceinfo : La population française soutient globalement la mobilisation des "gilets jaunes". Les Français s'identifient donc à ce mouvement de protestation ? Cela correspond-il à une réalité française des inégalités ?
Olivier Bouba-Olga : Au début, il y a eu des fausses interprétations très relayées par les médias, du genre : c'est la France périphérique abandonnée par les métropoles qui manifeste. Selon les premiers éléments dont on dispose sur la mobilisation des "gilets jaunes", ce sont plutôt les classes moyennes qui sont concernées. Cela représente donc beaucoup de monde. Ce ne sont pas des épiphénomènes. L'évolution globale de l'emploi en France montre un phénomène de polarisation : on crée un emploi très qualifié d'une part, de l'emploi peu qualifié d'autre part. Et la catégorie de personnes qui souffrent le plus, et très présente dans ces manifestations, ce sont plutôt les catégories de personnes moyennement qualifiées. Elles se sentent coincées, elles voient peu de perspectives pour elles-mêmes et leurs enfants. À qui on demande des efforts fiscaux. Pour savoir quelles réponses apporter aux manifestants, il faut identifier le problème. Et arrêter de croire que ce sont des gens éloignés du marché de l'emploi, dans les territoires ruraux qui protestent : ce n'est pas cela.
Est-ce que c'est un mouvement de peur du déclassement ?
C'est un des vrais moteurs de la mobilisation. On a peur pour soi-même, en se disant "peut-être que je vais devenir pauvre". C'est en lien avec cette polarisation de l'activité économique, avec les perspectives de croissance et de pouvoir d'achat. On demande des choses au gouvernement, mais aussi aux entreprises. On interpelle le gouvernement sur la question de la redistribution des richesses une fois créées. Ce que l'on observe, sur nos éléments de recherche, c'est que cette distribution se fait plutôt au détriment des salariés des classes moyennes, au profit des actionnaires ou des très qualifiés. Il y a aussi des enjeux sur les rapports de force au sein des entreprises, et sur la capacité des salariés à négocier des augmentations de salaires, qui, de mon point de vue, serait légitime.
Ce mouvement a-t-il été anticipé ?
Pas du tout. Nous sommes quand même sur des discours très élitistes, avec la "start-up nation", la récompense à l'excellence dans les universités... On insiste un peu sur les gagnants : cela pose une vraie question. Il y a une deuxième problématique sur la question des "gilets jaunes", c'est la crise de la représentation. Ce sont des manifestants qui veulent porter un message, et qui ne se retrouvent ni dans La République en marche, ni dans les extrêmes de gauche ou de droite. Il y a un vide sidéral ultra-inquiétant pour l'avenir, pour les prochaines élections. Ce serait bien qu'on arrive à trouver des canaux de transmission des mécontentements et d'identifier des réponses à apporter à la population.
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