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Les gaz lacrymogènes lancés contre les "gilets jaunes" contiennent-ils un composant du Zyklon B ?

La police des polices et le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure nient fermement. Et les symptômes évoqués par Raquel Garrido, avocate et chroniqueuse proche de la France Insoumise, sont compatibles avec ceux du gaz lacrymogène autorisé.

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un "gilet jaune" et des policiers à Paris, samedi 9 février 2019, pour le 13e samedi de mobilisation du mouvement. (VALENTINE ZELER / HANS LUCAS)

Au lendemain de la manifestation des "gilets jaunes" à Paris, Raquel Garrido se "réveille doucement d'une nuit horrible." L'avocate et chroniqueuse proche de la France Insoumise, s'interroge sur Facebook, dimanche 10 février, sur le gaz lacrymogène "d’une puissance particulièrement forte" auquel elle dit avoir été exposée la veille.

Le gaz n’avait pas le 'goût' que je connaissais. Là c’était acide. (...) Toute la soirée et nuit, douleurs et spasmes à l’estomac. Vomissements. Une migraine atroce.

Raquel Garrido

sur Facebook

Sur Twitter, elle ajoute : "Selon mon médecin, cela ressemble un empoisonnement à l’acide cyanhydrique." Et réclame au ministère de l'Intérieur la publication de la composition du gaz utilisé par les forces de l'ordre. "Je comprendrais qu’on ne publie pas ces informations si c’était une arme de guerre ou s'il y avait un intérêt de secret-défense, explique-t-elle à franceinfo. Mais là, c’est contre les Français qu'elle est utilisée donc on doit quand même consentir à son utilisation."

"C'est n'importe quoi : même à très faible dose, elle aurait suffoqué"

Sur les réseaux sociaux, la mention de l’acide cyanhydrique dans le message de l'avocate a suscité des commentaires indignés. Car ce composé chimique, aussi appelé cyanure d’hydrogène ou acide prussique, a été utilisé dans la fabrication du zyklon B, le gaz mortel des camps d’extermination du régime nazi. Ensuite utilisé comme insecticide et rodenticide, l’acide cyanhydrique est encore toléré en France dans certains cas, notamment pour désinfecter les avions ou des locaux vides.

"Evidemment que je n'ai pas reçu du zyklon B à des doses mortelles", répond Raquel Garrido face aux critiques. Avant d'émettre l'hypothèse qu'une dose "moins importante" d'acide cyanhydrique pourrait être présente dans le gaz lacrymogène et avoir provoqué ses symptômes. Nous avons soumis la théorie de Raquel Garrido au toxicologue Robert Garnier, dirigeant du centre d’information toxicologique de l’hôpital Fernand Widal à Paris, le seul centre antipoison d'Ile-de-France. Il est catégorique. "C'est n'importe quoi", répond-il à franceinfo

Si elle avait été exposée à de l’acide cyanhydrique, même à très faible dose, elle aurait suffoqué et elle serait morte.

Robert Garnier, dirigeant du centre d’information toxicologique de l’hôpital Fernand Widal à Paris

à franceinfo

"La recette n'a absolument pas changé", assure Beauvau

Mais alors de quoi sont composées les grenades lacrymogènes lancées sur les manifestants ? Invité de la matinale de franceinfo lundi, Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, a été interrogé sur les accusations de Raquel Garrido. "Il n'y a pas de produits tenus secrets [dans la composition], a-t-il répondu. C’est du gaz lacrymogène. Il n’y a pas de produit de nature incapacitante." "La recette n’a absolument pas changé", a-t-il martelé, sans donner plus de détails. Nous avons contacté le ministère de l'Intérieur à de multiples reprises pour en savoir plus, sans succès.

De quoi sont composés les gaz lacrymogènes ? La réponse de Laurent Nunez
De quoi sont composés les gaz lacrymogènes ? La réponse de Laurent Nunez De quoi sont composés les gaz lacrymogènes ? La réponse de Laurent Nunez

Raquel Garrido a de son côté saisi l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). En France, les forces de l'ordre utilisent dans "toutes les grenades (...) fumigènes (...) détonantes et assourdissantes (...)" du gaz composé de 2-chlorobenzylidène malonitrile (aussi appelé "CS", en raison des initiales de ses inventeurs), assure l'IGPN, dans un mail de réponse à l'avocate, que franceinfo a consulté. Ce composé chimique se présente sous la forme d'une poudre blanche dégageant une odeur poivrée.

Aucun autre gaz lacrymogène que le 'CS' n’est employé.

IGPN

dans un courriel à Raquel Garrido

Christophe Rouget, secrétaire général adjoint du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI), assure aussi que la police n'emploie que du chlorobenzylidène malonitrile. "Sous-entendre que le gaz utilisé est le même que celui utilisé par les nazis jette l’opprobre sur les forces de l’ordre", ajoute-t-il. Les grenades, et le gaz contenu à l'intérieur, sont livrés en "produit fini" aux forces de l'ordre, précise-t-il encore. "On ne peut absolument pas intervenir et modifier quoi que ce soit a posteriori."

"Nausées, vomissements, diarrhées"

Alors, comment expliquer les symptômes ressentis par Raquel Garrido ? Dans le catalogue des fabricants des grenades lacrymogènes autorisées en France, la concentration de CS dans les armes varie entre 10% et 20%, soit "des concentrations d’au moins 2 600 fois plus faibles que la concentration létale, note l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), dans un guide toxicologique (PDF) publié en 2003. Ce grand écart entre la concentration causant une irritation bénigne et la concentration causant des effets néfastes confère au CS une grande marge de sécurité."

"Ce que l'on recherche, c'est la gêne sans l'agressivité mais en aucune façon que les gens soient pris de spasme au contact du gaz", expliquait en 2006 à Libération un cadre de la société Alsetex, qui fabrique des grenades lacrymogènes. Contactées par franceinfo, cette dernière, ainsi que Nobel Sport, elle aussi fabriquante du type de grenades utilisées par la police et la gendarmerie, n'ont pas souhaité nous répondre.

Mais l'inhalation de gaz CS n'est pas neutre. Elle "entraîne une sensation d’irritation marquée du nez, de la gorge et des poumons qui est accompagnée d’éternuements, de rhinorrhée et de toux", jusqu'à "30 minutes" après arrêt de l'exposition, note l'INSPQ. Une "exposition aiguë" au gaz CS (notamment dans un "espace confiné") peut même provoquer "des dommages pulmonaires, oculaires et cutanés", ainsi que "des nausées, des vomissements et de la diarrhée" et "une opacité partielle" temporaire ou permanente de la vision.

"L'effet irritant [du 2-chlorobenzylidène malonitrile] est le plus net et se manifeste sur l'œil (larmoiement, conjonctivite, parfois photophobie), sur la peau, sur le tractus respiratoire (rhi​norrhée, toux, dyspnée et douleur thoracique) : parfois s'y ajoutent des troubles digestifs (nausée,vomissement et diarrhée) et des céphalées", abonde l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) dans sa fiche toxicologique. Les symptômes ressentis par Raquel Garrido ne sont donc pas incompatibles avec une exposition au gaz lacrymogène CS, utilisé par les forces de l'ordre lors des manifestations.

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