Les mesures d'Edouard Philippe peuvent-elles enrayer la violence des manifestations des "gilets jaunes" ?
Le Premier ministre a annoncé, lundi, plusieurs mesures qu'il espère dissuasives pour empêcher de nouveaux débordements lors des manifestations des "gilets jaunes". Auront-elles un impact ? Franceinfo a posé la question à des experts.
Le gouvernement prend des risques. En annonçant des mesures plus fermes pour contrer le retour de la violence du mouvement des "gilets jaunes", Edouard Philippe a admis que ce choix allait générer "plus de risques" sur le plateau du 20 heures de France 2 lundi 18 mars. "Nous devons avoir une réponse beaucoup plus ferme face à des personnes qui viennent à Paris non pas pour manifester. Leur revendication, c'est la violence. Ils viennent pour casser, piller, incendier", a-t-il déclaré.
Pour le gouvernement, cette fermeté passe par une interdiction de manifester dans certains lieux, l'utilisation de nouveaux produits, une augmentation du montant de l'amende infligée en cas de participation à une manifestation interdite et aussi une nouvelle organisation des forces de l'ordre. Franceinfo évalue l'efficacité de ces mesures.
L'utilisation de nouveaux moyens techniques
C'est quoi ? Dans son annonce, Edouard Philippe a évoqué l'utilisation de "marqueurs chimiques" et de "drones" pour aider les forces de l'ordre. "Ce sont des mesures intéressantes car novatrices", déclare Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris, qui tient un blog dans lequel il décrypte l'actualité juridique. Si les drones ont déjà été utilisés pour filmer les manifestations, les marqueurs chimiques, ces PMC (Produits marquants codés), sont une nouveauté. Du moins en apparence, puisqu'ils avaient déjà été testés "sous le manteau" lors des manifestations du 1er mai 2018, affirme-t-il à franceinfo.
Ces produits seraient pulvérisés par les canons à eau ou par le gaz lacrymogène, et sont "invisibles, détectables uniquement grâce à la lumière violette, explique-t-il, ils sont chimiquement similaires à de l'ADN de synthèse". Ces marqueurs chimiques transmettraient des informations cruciales comme la date et l'endroit où ils ont été tirés. Ces PMC sont commercialisés depuis près de dix ans dans les pays anglo-saxons. Ils sont résistants à plusieurs lavages, rappelle BFMTV, et persistent trois à quatre semaines sur la peau et plusieurs mois sur les vêtements, précise L'Express.
Est-ce que ça marche ? "Est-ce que la personne touchée par ces marqueurs pourra être envoyée devant les tribunaux ? Non", annonce d'emblée l'avocat Thierry Vallat. Il assure qu'il faudra que ces preuves soient corroborées par autre chose, d'où l'utilisation des drones. "Les pulvérisations, plus les drones, plus les témoignages", constitueront des faisceaux d'indices. L'utilisation de ces marqueurs chimiques inquiète toutefois certaines personnes, comme Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT : "Je vais en avoir, des marqueurs sur la peau. Tous les manifestants cet après-midi, avec une telle mesure, vont être fichés, marqués. Qu'est-ce que ça veut dire ?"
L'interdiction de manifester dans certains lieux
C'est quoi ? C'est la mesure phare annoncée par Edouard Philippe. "Dès samedi prochain et chaque fois qu'il le faudra, nous interdirons les manifestations se revendiquant des 'gilets jaunes' dans les quartiers qui ont été les plus touchés dès lors que nous aurons connaissance d'éléments ultras et de leur volonté de casser", a-t-il indiqué. Les lieux concernés : les Champs-Elysées, qui ont connu un nouveau samedi noir le 16 mars ; la place Pey-Berland, à Bordeaux ; celle du Capitole, à Toulouse. Mercredi, le maire de Nice, Christian Estrosi, a également annoncé l'interdiction de manifester samedi dans "un périmètre défini" de sa ville.
Est-ce que ça marche ? Cette restriction des zones de manifestation avait déjà tourné au cauchemar à Paris lors de la troisième journée de manifestation des "gilets jaunes". Le samedi 1er décembre, un filtrage avait été instauré sur les Champs-Elysées, amenant les éléments les plus déterminés à se disperser vers les grands axes attenants. L'arc de Triomphe et d'autres lieux avaient alors été plongés dans le chaos.
De plus, ce genre d'interdiction est déjà possible, comme l'a indiqué Claude Guéant sur RTL. "Tous les éléments de fait et de droit le permettaient", a avancé l'ancien secrétaire général de Nicolas Sarkozy. "Oui c'est possible, confirme l'avocat, localement par arrêté préfectoral ou municipal, on peut interdire de manifester". Cette interdiction ne vaut que lorsque l’événement "est de nature à troubler l’ordre public", rappelle l’article L211-4 du Code de sécurité intérieure, note Le Parisien. Le quotidien avance que, pour que la mesure soit validée, il faut que le Conseil d'Etat la considère comme nécessaire, proportionnée et adaptée.
Plus concrètement, cela ne fait que "décaler le problème", avance Thierry Vallat. "Pourquoi la sanctuarisation de certains endroits par rapport à d'autres ?" regrette-t-il. "Ce que je ne veux pas, c'est qu'on déshabille les quartiers à côté et que, du coup, les casseurs ou les manifestants radicalisés aient plus de possibilités de dégrader les choses alentour", craint le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, interrogé lors du journal de 13 heures de France 2 mardi 19 mars.
L'augmentation du montant de l'amende
C'est quoi ? Actuellement, les personnes qui se rendent à un rassemblement interdit, ce qui constitue une contravention et non un délit, risquent une amende d'un maximum de 38 euros. Un montant jugé trop peu dissuasif par le Premier ministre, qui a "demandé à la garde des Sceaux d'augmenter très nettement le montant de la contravention encourue en cas de participation à une manifestation interdite". Cette amende va passer à 135 euros. Selon une source policière, aucune amende de ce type n'a pour l'instant été infligée depuis le début du mouvement, parce qu'aucune manifestation n'avait été interdite.
Est-ce que ça marche ? Thierry Vallat est catégorique, il ne croit pas du tout à cette mesure. "C'est un effet d'annonce, cela ne dissuadera personne de venir manifester", assure-t-il. Même son de cloche chez Stanislas Gaudon, porte-parole du syndicat de police Alliance, qui confirme que "ça ne sera pas dissuasif". "En plus, cela prive notamment les policiers du moyen coercitif d'interpellation de ces individus", insiste-t-il. Et l'avocat de mettre également en avant les difficultés pratiques qu'engendre cette mesure. "Comment va-t-on verbaliser des centaines ou des milliers de personnes durant une journée comme celle de samedi ?" s'interroge-t-il.
La plus grande autonomie des forces de l'ordre
C'est quoi ? Pour répondre aux difficultés des forces de l'ordre sur le terrain, le Premier ministre a annoncé qu'elles auront "une plus grande autonomie". A Paris, où elles seront "dotées d'une large capacité d'initiative", leur commandement sera "unifié". Les détachements d'action rapide seront transformés en "unités anti-casseurs dotées d'une capacité de dispersion et d'interpellation".
Est-ce que ça marche ? Cette mesure crée "plus de risques" a avoué le Premier ministre sur le plateau de France 2. "Il faut assumer, a confirmé Christophe Rouget, secrétaire général adjoint du syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI-CFDT) sur le plateau de "C dans l'air", oui à la fermeté, mais si on va au contact, il y a aura plus de blessés, forcément."
#GiletsJaunes "Il y avait un problème d’effectifs ce week-end. Mais samedi sur les #ChampsÉlysées, on a vu clairement que les #policiers étaient des cibles et là il faut une ligne claire. Si on va au contact, il y aura plus de blessés". Christophe Rouget #Sécurité #cdanslair pic.twitter.com/03glafnoxZ
— C dans l'air (@Cdanslair) 18 mars 2019
Cette "large capacité d'initiative" annoncée par le Premier ministre pourrait entraîner un glissement vers "davantage de bavure, vers un risque de matraquage individualisé" explique le sociologue, qui compare cette autonomisation aux voltigeurs, mis en place par Charles Pasqua, et responsables de la mort de Malik Oussekine le 6 décembre 1986, comme le rappelle France Inter. Le sociologue implore de "revenir à un maintien de l'ordre démocratique" et incite à regarder ce qui se fait du côté de la Belgique, de l'Allemagne ou du Japon, où les forces de l'ordre interviennent "de manière collective et non individuelle" et où existe un contrôle de la hiérarchie.
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