"Parfois, ça monte un peu dans les tours" : entre parents, entre amis, comment les "gilets jaunes" sèment la zizanie
Entre un fils et sa mère ou un petit-fils et son grand-père, les manifestations des "gilets jaunes" ont parfois fait apparaître deux camps irréconciliables : ceux qui participent aux blocages et ceux qui n'approuvent pas ces actions.
"Quand les 'gilets jaunes' ont commencé à faire le buzz sur internet, j’ai été partant tout de suite, car j’en ai ras-le-bol de toutes ces taxes. J’en ai parlé autour de moi pour savoir qui voudrait se joindre à moi", témoigne Christopher. Mais son appel a jeté un froid. "Quand mes amis, pro-Macron, ont appris que je rejoignais le mouvement et que je comptais participer aux blocages, ils l’ont très mal pris."
Le carrossier de 20 ans est donc allé manifester, seul. Il a passé tout le week-end des 17 et 18 novembre à un barrage de "gilets jaunes" à Chinon (Indre-et-Loire). Et quand il a repris le travail lundi, il est tout de même passé ravitailler ses camarades de lutte à la pause déjeuner. Il est bien tenté d'aller manifester à Paris, samedi 24 novembre. Mais si le jeune homme est déterminé à faire entendre sa colère, il ne s'attendait pas à ce que son engagement le brouille avec sa bande d'amis.
On s’est embrouillés à ce sujet, il y a trois semaines. Au point qu’on ne se parle plus du tout. Pourtant, c’est des amis que je voyais tous les jours.
Christopher, "gilet jaune" à Chinonà franceinfo
"Je me sens en décalage avec eux, confie Christopher. Je subis l’augmentation de toutes les taxes. Le pouvoir d’achat en prend un sacré coup. Je touche un smic : une fois tout payé, il me reste même pas 150 euros." A l'inverse, l'ouvrier pense que ses amis, qui "viennent d’un milieu beaucoup plus aisé", sont épargnés. "Je regrette de m'être embrouillé avec eux, mais ce serait à refaire, je le referais", tranche-t-il. Christopher sait pouvoir compter sur sa famille. Son père, ses deux oncles et quelques cousines ont également manifesté.
Mathieu lui aussi s'est fâché avec certains de ses amis. Administrateur d'un groupe Facebook de "gilets jaunes", cet infographiste de 27 ans qui vit à Loudun (Vienne) partage beaucoup de publications militantes sur son propre compte et provoque ainsi "des débats interminables dans les commentaires". Des échanges qui se concluent presque toujours sur un constat de désaccord. "Briser des amitiés pour ça, c'est dommage", déplore le "gilet jaune".
"Ça a jeté un froid pendant le repas"
Se heurter à un mur en tentant de faire entendre ses arguments, Clément, "gilet jaune" à Rouen (Seine-Maritime), a également connu ça. Mais pour lui, c'était en famille. "Ça a jeté un froid pendant le repas" quand son grand-père octogénaire a découvert que son petit-fils participait à la mobilisation. "Il a commencé à hausser le ton, il ne comprenait pas. Pour lui, on perdait notre temps, alors qu’on avait la belle vie et rien à revendiquer", raconte l'étudiant de 24 ans. "C'est un agriculteur qui a toujours vécu dans sa campagne, très loin de tous les sujets", argue-t-il, déplorant que son grand-père, qui "a toujours été à droite" et "n'a jamais manifesté de sa vie", "ne voie pas les réalités".
Il n’imagine pas la situation de la jeunesse : pour lui, on a un cadre de vie bien plus privilégié que le sien. Il ne se rend pas compte de nos situations financières, du coût de la vie.
Clément, "gilet jaune" à Rouen, à propos de son grand-pèreà franceinfo
"Je vis avec entre 500 et 600 euros par mois. Ma mère n’a absolument pas les moyens de financer mes études. Heureusement que ma compagne gagne 1 000 euros et qu'on vit ensemble. Sans ça, il faudrait que je retourne chez mes parents, loin de là où j'étudie. Ce serait très compliqué", assure le jeune homme. "Quand Macron a décidé de retirer 5 euros d’APL, j’ai trouvé ça insupportable parce que ça touchait prioritairement les étudiants qui n'ont pas beaucoup de moyens et qui doivent travailler à côté de leurs études."
Sa mère, qui "gagne 1 600 euros par mois", a aussi manifesté samedi. "Elle a élevé seule cinq enfants et vient d’apprendre qu’elle devra attendre 63 ans à la place de 62 pour partir en retraite alors qu’elle a commencé à travailler à 15 ans." Clément juge que son grand-père retraité devrait comprendre leur combat. "Il ne roule pas sur l’or. Il gagne aux alentours de 800 euros de retraite par mois. Avec ma grand-mère, ça leur fait 1 500 euros à deux." A Rouen, l'étudiant est mobilisé depuis quatre jours. "Si on fait ça, c’est parce que les manifestations classiques, où on défile dans la rue avec les syndicats, ça ne fonctionne pas."
Autour de la table, la discussion entre le petit-fils et son grand-père a duré trois quarts d'heure, se remémore Clément, qui a "tenté de lui démontrer que lui aussi était touché par l'ensemble des hausses de taxes". En vain.
En parlant de la météo et des pommiers du jardin, le repas s'est finalement bien terminé.
Clément, "gilet jaune" à Rouen, à propos de son grand-pèreà franceinfo
A l'avenir, le petit-fils évitera toutefois de remettre les "gilets jaunes" au menu des conversations avec son grand-père. "Sa position et la mienne sur le sujet ne bougeront pas", estime-t-il.
"Pour elle, il y a d’autres problèmes plus urgents à régler"
Chez Kévin, c'est au sein même du couple que les dissensions sont apparues. "Ma compagne n’est pas du même avis que moi. Elle est contre les blocages. Elle pense que c’est surtout une action contre les prix du gasoil. Pour elle, il y a d’autres choses à faire que ça, d’autres problèmes plus urgents à régler", explique-t-il.
Le "gilet jaune" chinonais, "un peu contre tout ce que fait Macron", met ces divergences sur le compte de leur vie professionnelle. "J’ai ma propre entreprise, alors les problèmes des taxes, je connais. Mon épouse ne voit pas ces lourdeurs administratives par exemple. Elle est employée, donc elle s’en rend moins compte." Pas de quoi l'empêcher de renoncer à la convaincre. "J'essaie de lui expliquer les choses, mais en la ménageant", sourit-il.
A Montargis (Loiret), le problème est inverse pour Dylan. L'apprenti en informatique de 19 ans, qui soutient la politique d'Emmanuel Macron, est en décalage avec toute sa famille. Sa mère a défilé samedi, tout comme son oncle et sa tante, retraités. "Même ceux qui n'ont pas manifesté sont pour les 'gilets jaunes'", se désole-t-il. Alors forcément, "parfois, ça monte un peu dans les tours" pendant les repas.
Le jeune homme a d'autant plus de mal à comprendre sa mère qu'elle a bénéficié de certaines mesures gouvernementales. "Elle a profité de la prime à la conversion de 2 000 euros pour s’acheter une voiture diesel d’occasion", soupire-t-il. "Ma mère a eu une réduction de 30% de sa taxe d’habitation. Elle l’a ressentie, assure Dylan. L’augmentation du prix du carburant, je trouve ça dérisoire. C’est 10 euros par mois en plus pour elle. Elle est assistante maternelle, elle n’utilise pas énormément la voiture."
"Ça pourrait tourner au vinaigre"
Entre Simon et sa mère, "ça pourrait tourner au vinaigre", lâche carrément Anne-Françoise. "On n'est pas d'accord, on débat, on ne s'engueule pas non plus", relativise le jeune homme de 28 ans, qui ne comprend pas pourquoi sa mère a bloqué un rond-point à l'entrée d'une grande surface, samedi, à Cholet (Maine-et-Loire). "Je lui ai dit que ça ne servait à rien", tranche-t-il. "Il y a un ras-le-bol général, fait valoir la quinquagénaire. Les salaires n'évoluent pas et autour, tout augmente. On ne demande pas grand-chose : juste arrêter de survivre et vivre un peu."
Je ne le comprends pas. Le jour où il aura une maison et des enfants, il pensera peut-être différemment.
Anne-Françoise, "gilet jaune" à Cholet, en désaccord avec son filsà franceinfo
Mère et fils décrivent deux situations bien différentes. "D'un côté, ils nous donnent un peu d'argent en supprimant la taxe d'habitation, mais ils nous reprennent de l'autre avec la taxe foncière", se plaint Anne-Françoise. "Le gasoil, je fais attention", note celle qui fait "32 km matin et soir" entre son domicile et son travail. Et "les courses", c'est "chez Lidl", parce que "c'est nettement moins cher que dans les grandes surfaces".
Simon, lui, estime qu'il n'est pas à plaindre : "Quand je regarde mon salaire, avec les suppressions de cotisations, j’ai gagné de l’argent. Avec la taxe d’habitation qu’ils ont supprimée cette année, j’ai gagné encore plus de pouvoir d’achat." Le jeune homme évalue à 1 500 euros les économies ainsi réalisées par son couple sur l'année.
A l'inverse de sa mère, le fils approuve la politique d'Emmanuel Macron, pour qui il a voté. "Laissons-le faire. On ne peut pas juger de son action au bout d’un an. On verra à la fin du quinquennat", pointe-t-il en souhaitant que le gouvernement persiste et ne recule pas. Avec une nuance toutefois. "Je veux bien payer plus de taxes ou d’impôts, mais si c’est bien utilisé. Ce n’est pas un chèque en blanc."
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