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Une enseignante a-t-elle été arrêtée à cause d'une pancarte lors de la manifestation des "gilets jaunes" à Paris ?

Cette professeure parisienne, militante syndicale et "gilet jaune", a été interpellée samedi et placée en garde à vue avec son conjoint. Le motif : avoir brandi une pancarte où il était écrit "Castaner, le Goebbels de Macron". Le parquet doit statuer sur son cas. 

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des enseignants manifestent aux côtés de "gilets jaunes", le 11 mai 2019 à Paris, contre la réforme de l'Education nationale. (AMAURY CORNU / HANS LUCAS / AFP)

A Paris, la mobilisation des "gilets jaunes", samedi 11 mai, se voulait un "soutien aux enseignants" opposés au projet de loi "pour une école de la confiance", la réforme portée par le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer. Dans le cortège parisien, des professeurs étaient donc aussi présents. Dans le live de franceinfo, vous nous avez demandé si une enseignante avait été interpellée au cours de la manifestation et placée en garde à vue à cause d'une pancarte qu'elle avait brandie où il était écrit "Castaner, le Goebbels de Macron". 

Cette enseignante a été contrôlée une première fois par la police "avant le départ de la manifestation", raconte à franceinfo l'un de ses collègues, professeur à la cité scolaire Paul-Valéry, située dans le 12e arrondissement, et membre du Syndicat national Force ouvrière des lycées et collèges (SNFOLC). "Elle tenait une pancarte jugée outrageante par les policiers en civil", explique ce témoin de la scène. Le communiqué de Sud Education Paris évoque également "une pancarte désobligeante" à l'égard d'Emmanuel Macron et du ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, sans la décrire davantage.

"Elle a fait disparaître la pancarte"

Par crainte d'une interpellation, la professeure a ensuite défilé entourée de ses collègues, relate le collègue de l'enseignante. Et, comme l'affirment plusieurs sources, elle a manifesté sans l'écriteau polémique. "Elle a fait disparaître la pancarte", assure le professeur de la cité scolaire Paul-Valéry. "Elle a marché derrière la banderole de l'AG des établissements de Paris Ile-de-France en lutte", poursuit Johan Faerber, enseignant et éditeur. Le communiqué cosigné par les syndicats SNFOLC, SNES-FSU, SNETAA, Sud et CGT de Paris appuie leurs propos et ajoute que l'enseignante a "manifesté pacifiquement".

La professeure a été interpellée "au moment de la dispersion" du cortège, vers 15 heures, non loin de la bibliothèque François-Mitterrand, dans le 13e arrondissement, raconte le collègue de l'enseignante. Des "policiers en civil" l'ont arrêtée ainsi que son conjoint. Franciella, qui travaille à la BNF, a filmé la scène. Sur la vidéo, que franceinfo a pu visionner, on voit la manifestante être emmenée sous bonne escorte. Le poing levé, elle scande : "Prisonnier politique !"

Capture d'écran de la vidéo de l'arrestation d'une manifestante, le 11 mai 2019 à Paris, à la fin de la manifestation des "gilets jaunes" et des enseignants. (FRANCEINFO)

L'enseignante a été placée en garde à vue au commissariat du 12e arrondissement pour "injure publique envers le président de la République", et son conjoint pour "provocation à la rébellion". Elle est sortie libre du poste de police, samedi en début de soirée. Après sa libération, ses soutiens se sont rassemblés devant le commissariat et le rassemblement s'est poursuivi le lendemain. Car le conjoint de la manifestante n'a, lui, été libéré que dimanche en fin d'après-midi, selon le professeur de la cité scolaire Paul-Valéry et l'intersyndicale. Le couple a dû revenir au commissariat pour répondre à une convocation et a de nouveau été accompagné de ses soutiens réunis devant le bâtiment.

La procédure concernant l'enseignante a été transmise au parquet pour analyse et le compagnon de la professeure s'est, lui, vu notifier une convocation devant le tribunal correctionnel pour "provocation à la rébellion", comme l'a confirmé une source judiciaire à franceinfo. 

"Castaner, le Goebbels de Macron" 

Plusieurs personnes interrogées par franceinfo affirment que la pancarte incriminée clamait : "Castaner, le Goebbels de Macron", comparant le ministre de l'Intérieur à l'un des plus hauts dignitaires du régime nazi : le ministre de la Propagande d'Adolf Hitler. Une version confirmée par l'enseignante, Isabelle P. au Monde

Le photoreporter Amaury Cornu, qui couvre les manifestations des "gilets jaunes" pour l'agence Hans Lucas, a pris un cliché sur lequel figure l'enseignante arrêtée. Elle brandit une pancarte, mais celle-ci comporte un tout autre message, visant cette fois le ministre de l'Education nationale : "Blanquer, distillateur de mensonges. Ne pas gober... Risque mortel d'intoxication."  

Le photographe a pris deux autres photos de la manifestante, un mois plus tôt. Lors de la manifestation des "gilets jaunes" du 13 avril à Paris, elle a défilé avec la même pancarte que le 11 mai, et le journaliste a photographié le panneau recto-verso. "Elle avait l'air très pacifique, se souvient le reporter. Elle avait à chaque fois le même panneau. Et je ne l'ai jamais vu avec une pancarte qui puisse être qualifiée d'insultante ou violente."

L'enseignante, militante syndicale et "gilet jaune" mise en cause, ici lors de la manifestation des "gilets jaunes" du 13 avril 2019 à Paris. (AMAURY CORNU / HANS LUCAS / AFP)

L'enseignante, militante syndicale et "gilet jaune" mise en cause, ici lors de la manifestation des "gilets jaunes" du 13 avril 2019 dans la capitale. (AMAURY CORNU / HANS LUCAS / AFP)

Reste que, même s'il a bien brandi un panneau clamant "Castaner, le Goebbels de Macron", cela peut-il justifier une arrestation ? "Il faut faire l'exégèse de la formule, plaide l'avocat au barreau de Paris Anthony Bem. Le nom n'est pas employé de manière fortuite mais dans une volonté de donner du sens. Il est utilisé pour dire que l'un est à la botte de l'autre et que les dirigeants en place sont des nazis."

Pour autant, la formule est-elle susceptible de poursuites judiciaires ? "L'emploi de cette pancarte s'inscrit dans le cadre de la liberté de manifester. Celle-ci n'est consacrée par aucun texte, mais elle comporte deux libertés fondamentales avec lesquelles on ne peut transiger : la liberté d'opinion et la liberté d'expression." Cette liberté s'exerce toutefois dans la limite de l'injure et de la diffamation, pointe le spécialiste du droit. Mais, argumente l'expert, la comparaison avec Joseph Goebbels "est une opinion, certes critiquable, mais qui entre dans les limites de la liberté d'expression et qui n'est donc pas susceptible de plainte." Ni pour injure ni pour diffamation, selon lui. Une analyse partagée par une source judiciaire, contactée par le Monde, qui "confirme l’irrégularité du placement en garde à vue"

"Une mesure d'intimidation et de répression"

Quant au motif "d'injure au président de la République", que les policiers auraient fait valoir, selon les syndicats et les témoins interrogés par franceinfo, "il figurait bien dans la loi de 1881, mais il a été abrogé en 2013", relève l'avocat. 

L'enseignant de la cité scolaire Paul-Valéryet militant syndical y voit davantage "une mesure d'intimidation et de répression". "Ma collègue est très connue comme militante syndicale et, depuis des semaines, comme militante 'gilet jaune'", souligne-t-il. L'intersyndicale parisienne critique, elle aussi, ces "arrestations arbitraires" et "tentatives d'intimidation" visant les enseignants qui s'opposent à la réforme de l'Education nationale, alors que d'autres fonctionnaires ont fait l'objet récemment de convocations, voire de sanctions, de la part de leur hiérarchie.

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