Salariés à Air France, ils "comprennent" les violences contre leurs dirigeants
Ils sont mécanicien, cadre industriel ou pilote. Trois salariés de la compagnie aérienne expliquent les raisons de leur colère.
Il était là, lundi 5 octobre, au siège d'Air France, à Roissy. "J'étais aux premières loges, à deux mètres de Xavier Broseta et de Pierre Plissonier, quand ils ont commencé à se faire arracher leurs vestes." Gérard* assure ne pas avoir pris part aux violences. "Certains agrippaient les dirigeants pour les retenir dans la salle, d'autres tentaient de les laisser sortir, se souvient-il. Moi, j'avais juste la hantise de me faire écraser par la foule."
Comme de nombreux salariés d'Air France, ce mécanicien de 40 ans déplore l'agression du DRH et du directeur de l'activité long-courrier. Mais il regrette tout autant que ces images aient éclipsé le reste de la journée de mobilisation contre les suppressions de postes au sein de la compagnie aérienne. "Si tout cela est arrivé, c'est parce qu'il y a de la colère derrière", insiste-t-il.
Dans le hall de Roissypole, assis sur un banc métallique de la gare RER, à quelques mètres des pistes et du siège, Gérard évoque son "ras-le-bol, partagé par une grande majorité du personnel au sol". Au fil des différents plans de la direction, travailler à Air France est devenu "moins joyeux", avec un avenir incertain et "des collègues qui commencent à chercher un plan de secours ailleurs, au cas où".
Les pilotes dans le viseur
Depuis trois ans, il affirme avoir perdu entre 15 et 25 jours de congés annuels. Il a également subi un gel de salaire et a été privé des majorations de nuit. Ce lundi, en tenue de "mécano" dans le cortège, il en voulait surtout aux pilotes : "On a déjà fait énormément d'efforts au sol et, à cause du refus de quelques centaines de pilotes, c'est tout le personnel qui se retrouve une nouvelle fois la tête dans le sable." Sur le total de 2 900 licenciements, la direction d'Air France prévoit en effet de supprimer 1 700 postes au sol, et 300 dans les cockpits.
Attablé au rez-de-chaussée de l'hôtel Ibis de l'aéroport, Didier Maronese estime, lui aussi, que "les pilotes n'ont pas joué le jeu" en n'atteignant pas leurs objectifs de gains de productivité. "Ce sont ceux qui ont déjà fait le plus d'efforts qui vont être les plus touchés par les licenciements", déplore ce cadre de la direction générale industrielle, qui a perdu 13 jours de congés par an et vu sa charge de travail exploser.
Didier Maronese, 53 ans, n'a pas pris part à la manifestation de lundi. Cet homme calme dit toutefois partager la colère des salariés et "comprendre qu'on puisse en venir à ces violences, une fois poussé dans ses derniers retranchements".
"Le gouvernement ne nous aide pas beaucoup"
Pour le cadre, le refus des pilotes de travailler 100 heures de plus par an sans hausse de salaire n'a été que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Le cœur du problème est ailleurs, selon lui. Il en veut surtout au gouvernement, qui "ne nous aide pas beaucoup" face à la concurrence plus ou moins loyale des compagnies à bas coût et des compagnies du Golfe. Il ne digère pas les décorations de la Légion d'honneur remises au PDG de Qatar Airways en 2004 (chevalier) et 2015 (officier).
Colère contre les pilotes, colère contre les autorités, mais aussi colère contre la direction. Jennifer Jones-Giezendanner est pilote de ligne sur "triple sept" (Boeing 777), et élue du Syndicat national des pilotes de ligne. Tout juste descendue d'un vol en provenance de Genève (Suisse), elle confie, dans les locaux du puissant syndicat, "mal vivre" la "stigmatisation des pilotes orchestrée par la direction et relayée par les politiques et les médias".
"L'agression physique répond à l'agression sociale"
Selon Jennifer Jones-Giezendanner, les salariés qui ont pris part à la manifestation de lundi ne se sont pas laissés "berner par la communication officielle anti-pilotes" et ont fait front face aux dirigeants – une version partagée par Erika, une hôtesse au sol. Les violences ? Elle les condamne, mais estime que "l'agression physique répond à l'agression sociale de ces dernières années."
Jennifer Jones-Giezendanner affirme que, si les pilotes n'ont pas fait tous les efforts attendus d'eux, c'est parce que la direction n'a pas tenu ses engagements à leur égard. Elle souligne aussi que les effectifs de pilotes ont été réduits de "12% depuis 2009" et que leurs salaires ont baissé de "10% en moyenne" durant la crise. "A l'inverse, les dix principaux dirigeants, dont la gestion laisse à désirer, ont vu leur rémunération progresser de 10% en deux ans", peste-t-elle. Malgré des positions irréconciliables, les salariés interrogés semblent finalement tous se retrouver dans leur opposition à la direction du groupe.
* Son prénom a été modifié à sa demande.
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