Plan vélo : la France a-t-elle les moyens de ses ambitions ?
Les amoureux de la Grande Boucle vont-ils se mettre en selle au quotidien ? Alors que le Tour de France s'élance samedi 1er juillet, la pratique du vélo reste encore très associée aux loisirs dans l'imaginaire collectif. Elle ne représentait que 3% des déplacements en 2019, selon des chiffres gouvernementaux. Pourtant, la petite reine possède bien des avantages face à la voiture, à l'heure de la lutte contre le réchauffement climatique.
Ce n'est pas un hasard que le sujet soit affiché comme l'une des priorités du gouvernement, qui a présenté un plan vélo ambitieux le 5 mai. Le but : développer "une culture du vélo dans tous ses aspects", selon le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu (document PDF). Ce plan d'action, le deuxième de l'histoire du pays, prévoit d'investir la somme record de 2 milliards d'euros sur les quatre prochaines années, et vise notamment à accélérer le développement de pistes cyclables sur tout le territoire.
Une façon pour l'exécutif de booster une dynamique déjà amorcée. En 2022, la pratique du vélo a augmenté de 8% par rapport à 2021 et de 31% par rapport à 2019, selon un bulletin de fréquentation (document PDF) de l'association Vélo & Territoires, qui rassemble des collectivités engagées pour le vélo, publié en janvier. La poussée, permise en partie grâce aux déploiements d'infrastructures cyclables durant la pandémie de Covid-19, est cependant restée largement cantonnée aux grandes villes. "On voit que le climat pour les cyclistes est toujours mauvais dans de nombreux endroits, cela explique que les gens ne s'y mettent pas", souligne Thibault Quéré, chargé de plaidoyer à la Fédération des usagers de bicyclette (FUB). Le baromètre des villes cyclables, publié par l'association 2022 et portant sur l'année 2021, pointe du doigt le retard français sur ses voisins européens.
Faire monter tout le monde à vélo, y compris à la campagne
Le nouveau plan vélo sera-t-il à même de donner un grand coup de pédale ? Les associations saluent l'engagement de plusieurs ministres ainsi que les subventions de l'Etat allouées aux collectivités grâce à des appels à projets pluriannuels via le programme Avelo 2. Mais les sommes engagées sont loin d'être suffisantes : "On estime que la France va dépenser 19 euros, tout niveau confondu, par an et par habitant pour le vélo. Pour avoir une politique de rattrapage correcte, il faudrait au minimum dépenser 30 euros par an et habitant", pondère Camille Thomé, directrice de Vélo & Territoires."Même si tout cela n'est pas suffisant et qu'il reste énormément de choses à faire, il ne faut pas bouder notre plaisir", tempère auprès de franceinfo Marie Huyghe, consultante en mobilité.
Car au-delà de la question pécuniaire, celle de la bonne distribution des aménagements est cruciale pour faire monter tous les Français en selle, y compris ceux qui n'habitent pas en ville. D'après l'Insee, près de 33% des Français habitent en effet en zone rurale, et que 86% des déplacements domicile-travail s'y font en voiture. Distances plus longues qu'en ville, absence de pistes, dangerosité des routes… la pratique du vélo fait encore face à de nombreux freins, à la campagne et dans les zones péri-urbaines. Et puis, "il ne faut pas oublier l'attachement fort aux modes de transports individuels en milieu rural, qui sont perçus comme vecteurs de liberté", souligne Thibault Quéré.
La route pour convaincre les élus locaux et habitants des bienfaits de la bicyclette est encore longue. Pour faire basculer les esprits, Thibault Quéré souligne l'importance "que des collectifs d'habitants et des associations d'usagers s'organisent pour faire pression sur les décideurs et effectuer des retours aux collectivités", une recette "qui a déjà fait ces preuves en ville". Cibler les élus est aussi une bonne idée, souligne la présidente de Vélo & Territoires :
"Il faut utiliser la stratégie de 'l'essayer, c'est l'adopter'. Il suffit d'emmener des élus dans des territoires qui ont mis en place des infrastructures pour qu'ils soient convaincus."
Camille Thomé, directrice de Vélo & Territoiresà franceinfo
Mais même convaincus, les élus se heurtent parfois au mille-feuille territorial qui complique grandement les mises en œuvre de projets cyclables. Comment bâtir un réseau cohérent quand certaines routes sont gérées par les communes, d'autres intercommunalités et des départements ? "La mise en place de schémas directeurs par les départements est primordiale", répond Camille Thomé. Certains élus départementaux affichent d'ailleurs un volontarisme sur le sujet.
L'Ille-et-Vilaine a ainsi décidé d'investir 70 millions d'euros sur sept ans pour son plan vélo, rapporte Ouest-France. "Nous voulons notamment développer des axes structurants, des liaisons sécurisées pour les vélos entre les villes", détaille auprès de franceinfo Schirel Lemonne, conseillère départementale d'Ille-et-Vilaine déléguée au plan vélo. Une fois le cadre posé, aux intercommunalités "de venir ensuite se raccrocher à ces axes pour développer leurs propres réseaux cyclables", ajoute l'élue.
La révolution électrique qui efface les distances
C'est justement le travail engagé par la communauté de communes d'Erdre & Gesvres, qui regroupe 17 communes de Loire-Atlantique, département avant-gardiste en matière de vélo. "Nous avons adopté un plan vélo à 9 millions d'euros en 2021, avec l'ambition de diminuer la part de la voiture dans les déplacements, alors que la moitié des actifs travaillent sur Nantes", détaille Sylvain Lefeuvre, vice-président de l'intercommunalité en charge des mobilités. Les élus ont ainsi décidé de mettre en place des liaisons sécurisées entre les bourgs des communes, "notamment en réservant des petites routes communales aux vélos". "On incite également nos communes à avoir des politiques ambitieuses dans leurs bourgs", complète l'élu.
En plus des infrastructures, le territoire investit par ailleurs "sur l'aspect incitatif", en ciblant notamment "les collégiens" et en installant "des box à vélo sécurisés". De quoi convaincre les réfractaires ? "Grâce à la révolution des vélos électriques, qui effacent les reliefs, on ne peut pas dire que les distances sont trop grandes quand on doit faire 4 km pour rejoindre un autre bourg", souligne Sylvain Lefeuvre.
Un constat partagé par Florian Maitre, vice-président en charge des mobilités de la communauté d'agglomérations Grand Lac, près de Chambéry (Savoie) : "le vélo électrique est bien adapté à notre territoire semi-rural et semi-urbain, avec du dénivelé". L'agglomération s'est dotée il y a un an d'un schéma directeur, dont l'objectif "est d'arriver à 230 km de pistes et de voies vertes entièrement sécurisées à un horizon de 10 à 15 ans, contre 89 km aujourd'hui", précise l'élu. Florian Maitre ne note pas de "réticences" sur son territoire, soulignant l'importance "de ne pas miser que sur le vélo, mais de favoriser également les transports en commun".
L'importance de former les élus et les professionnels
La qualité des infrastructures réalisée est l'une des clefs de la réussite d'un réseau cyclable. Bien séparer les vélos des voitures, ne pas faire de discontinuité… les bonnes recettes sont connues, mais pas toujours mis en œuvre par les localités. Afin d'éviter les bandes cyclables sans protection sur les trottoirs ou en bordure de nationale, "il faut former les élus, qui ont parfois un gros manque de compétence sur ces questions", souligne Marie Huyghe. Les collectivités risquent également de faire face à une pénurie d'experts au fur et à mesure de la mise en place de plans vélos. "Il va falloir trouver de l'argent pour embaucher des chefs de missions vélo. Il faut aussi former et trouver des personnes qui ont de bonnes compétences techniques, car dessiner et construire une piste, ça ne s'improvise pas", détaille Camille Thomé.
Sur cette question, la montée en compétences des agents départementaux en charge des routes est capitale. "Il a fallu expliquer à nos collègues que leurs compétences étaient transférables aux projets cyclables, c'est un changement de mentalité", confie Schirel Lemonne. Les services et élus peuvent s'appuyer sur les recommandations des associations, ainsi que sur les travaux menés par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) qui a publié un guide pour "rendre sa voirie cyclable".
Les services et élus devront apprendre à expérimenter, car on ne construit pas de la même façon à la campagne qu'en ville. La solution ne sera pas toujours "la création d'une piste à double sens sécurisée", note Sylvain Lefeuvre. Reconversion d'une ancienne ligne de train, voie verte, route fermée aux voitures ou piste sur le bas-côté... les solutions ne manquent pas.
La France ne deviendra pas les Pays-Bas tout de suite
Le vélo ne pourra se développer sur tout le territoire que si les efforts sont continus. "On l'a vu avec le premier plan vélo du gouvernement : certains territoires ont lancé leurs propres plans vélo et n'ont plus eu de budget au bout de trois ans, les projets se sont cassé la figure", souligne Marie Huyghe. Plus prosaïquement, Florian Maitre rappelle "qu'il y a un gros effort à faire sur la question de l'entretien des pistes et des voies vertes, sans quoi elles se dégraderont".
Les associations appellent surtout l'Etat à changer sa manière de penser l'aménagement du territoire. "Il y a une schizophrénie de la politique du gouvernement, qui veut développer le vélo, mais investit aussi dans de nouveaux projets routiers qui favorisent l'étalement urbain", souligne Thibault Quéré. La France ne risque donc pas de sitôt de devenir les Pays-Bas, référence européenne dans le domaine, "même s'il faut quand même rappeler qu'ils ont 40 ans de politique pro-vélo derrière eux", s'amuse Camille Thomé. "On pourrait imaginer voir des collectivités qui font office de mini-Hollande sur le territoire", espère Thibault Quéré. Des territoires modèles qui pourraient ensuite en inspirer d'autres.
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