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"Ce n'est pas un choix, c'est une absence de choix" : ils prennent leur voiture tous les jours pour faire de courtes distances

Des automobilistes ont expliqué à franceinfo les raisons qui les poussent à utiliser ce mode de transport, au quotidien, pour effectuer quelques kilomètres.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Des voitures dans les embouteillages, à Paris. (MAXPPP)

Les prix du carburant flamblent et la colère gronde. Rien d'étonnant à cela : 70% des Français vont travailler en voiture, selon des chiffres de l'Insee publiés par Libération. Et si l'automobile est utilisée pour faire de longs trajets, elle l'est tout autant sur de très courtes distances, "que ce soit sur des distances adaptées à la marche à pied (moins de 3 km) ou idéales à vélo (moins de 5 km)", écrit le quotidien. Pour aller au-delà des chiffres, des automobilistes qui roulent tous les jours pour faire une poignée de kilomètres autour de chez eux expliquent à franceinfo pourquoi ils ont opté pour ce mode de transport.

"Je suis cardiaque"

Catherine, 48 ans, vit à Hirson, dans l'Aisne. Elle prend sa voiture tous les jours pour se rendre à son bureau, qui se trouve à seulement 2,5 km de son domicile. "Les transports en commun sont inexistants" dans sa commune et elle ne peut pas faire le trajet à pied ou à vélo, car elle est cardiaque. "Je porte un pacemaker, je suis très vite essoufflée. Faire 500 ou 600 m à pied, c'est compliqué", explique-t-elle. "Si c'est du plat, ça va mais quand il y a du dénivelé, comme c'est le cas près de chez moi, c'est difficile", poursuit-elle.

Le vélo électrique, elle y a songé. Elle l'a même essayé. Mais avec sa condition physique, ce n'était pas une solution "viable". Elle dit avoir réfléchi au covoiturage avec des collègues mais il est impossible à mettre en place. "Nous n'avons pas les mêmes horaires, nous n'habitons pas à côté et je ne suis pas sur leur route", justifie-t-elle. Difficile également de songer à ses voisins : "L'un travaille parfois de nuit, il fait les 3-8", d'autres quittent leur domicile à 7 heures du matin tandis qu'elle part habituellement aux alentours de 7h30 ou 7h45. De plus, son village est principalement habité par des retraités. Il n'y a "pas d'autre solution que la voiture", conclut-elle.

"Tout dépend de l'existence d'un choix, s'il y a une alternative à la voiture, ou pas. A Paris, les alternatives sont abondantes. A Lyon aussi, c'est confortable. Mais dans un territoire périurbain ou rural, cela va être beaucoup plus difficile", résume auprès de franceinfo Bruno Marzloff, sociologue spécialiste de la mobilité.

Deux tiers des Français déclarent ne pas avoir la possibilité de choisir leur mode de déplacement.

Bruno Marzloff

à franceinfo

Dans le détail, il existe une importante différence selon les zones plus ou moins denses : 32% des ménages des grandes agglomérations déclarent ne pas avoir d'autre choix que la voiture, contre 83% dans les zones rurales. "La mobilité est devenue une source de fracture territoriale", analyse Bruno Marzloff.

"Aucun bus ne dessert la gare"

Ingrid habite à côté de Toulouse, en Haute-Garonne. Tous les jours, pour se rendre à son bureau, elle utilise sa voiture afin de parcourir les 4 km entre son domicile et la gare la plus proche de chez elle. De là, Ingrid prend le train puis le métro. Elle dit être contrainte d'emprunter sa voiture pour au moins trois raisons : "aucun bus ne dessert la gare", le trajet jusqu'à la gare est trop "dangereux" à vélo et "les vols de vélo au parking de la gare sont monnaie courante".

Ce n'est pas un choix, c'est plutôt une absence de choix.

Ingrid

à francenfo

D'après Bruno Marzloff, d'une part, "l'offre de transport est insuffisante pour répondre à une demande qui croît très fortement", d'autre part, "les routes et le système ferré sont usés". Et, pour lui, après une longue période d'"hégémonie de la voiture", la situation est telle que "nous sommes dans une course impossible où l'offre ne pourra jamais rattraper la demande".

"Le vélo, c'est bien quand il fait beau"

Clément vit dans le centre-ville d'Orléans. Son lieu de travail se trouve à 7 km de chez lui, en périphérie de la préfecture du Loiret. Il dit être contraint de faire le trajet en voiture matin, midi et soir car il n'y a pas de transports en commun pour s'y rendre. "J'aimerais beaucoup me passer d'utiliser ma voiture, avec une alternative comme un deux-roues électrique par exemple, mais ce moyen de locomotion reste trop cher pour moi", explique-t-il. 

L'idée de recourir à un "vélo classique" a effleuré son esprit. "Mais il faut être honnête : c'est bien quand il fait beau", tranche-t-il. Sans compter qu'il doit emprunter un "axe très fréquenté""circulent de nombreux poids lourds". Et de commenter : "Pour la sécurité en deux-roues léger, on repassera."

Pour le sociologue, nous sommes piégés par la façon dont les villes ont été pensées et par "la réflexion urbanistique, qui est très en retard".

En France, la métropolisation a grignoté les périphéries, a dédensifié les villes et a rallongé les distances entre le domicile et le travail ou entre le domicile et les commerces.

Bruno Marzloff

à franceinfo

Le spécialiste des mobilités estime qu'il est nécessaire d'"inverser ce courant" : 'Il faut éviter le ruissellement urbain et remettre de la proximité."

"Ça a été un vrai casse-tête"

Vivien, père de deux enfants de 4 ans et 6 ans, vit à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). En 2015, lorsque son fils entre à l'école maternelle, qui se trouve à 1,5 km de chez lui, il commence par faire les trajets à vélo. "Mon fils était raviDu moins jusqu'au mois de janvier-février", commente-t-il.

Un enfant de 3 ans sur un vélo par 0°C sous la pluie, ça passe quelques jours mais au bout de plusieurs semaines, il était évident que c'était ingérable.

Vivien

à franceinfo

"Il tombait malade tout le temps et moi je revenais à la maison trempé comme une soupe à 8h45", raconte-t-il. Dans la foulée, il prenait une douche pour se réchauffer et enfourchait son scooter pour se rendre sur son lieu de travail, dans le 10e arrondissement de Paris. Il n'arrivait pas au bureau avant 9h45 voire 10 heures. "La honte", glisse Vivien.

Ensuite, lorsqu'il a obtenu une place en crèche pour sa fille, la situation n'a pas été simplifiée car l'établissement se trouve à "600 m" de l'école de l'aîné. "Deux enfants sur le vélo sous la pluie ? Ce n'était pas raisonnable", juge-t-il. Il explique avoir été refroidi par les quelque 3 000 euros à débourser pour acquérir un triporteur et par "tous les retours [qui] disent que c'est dangereux sur la route avec les voitures". Faire le trajet à pied est une option qui a été écartée. "Les enfants ne marchent pas vite du tout", justifie-t-il, estimant qu'il lui aurait fallu "25 minutes pour aller à l'école puis 15 pour la crèche et 15 autres pour revenir en courant". Et le bus ? "Avec les temps d'attente, c'est ingérable", tranche Vivien.

Finalement, le couple a décidé d'acheter une petite voiture citadine "pas chère" à titre expérimental. "J'arrive à 9h30 au travail, c'est encore acceptable", se satisfait Vivien. Mais il fait part de sa "tristesse" à l'idée de polluer.

Ce sujet a été un vrai casse-tête entre désir d'écologie et réalité du quotidien.

Vivien

à franceinfo

Le père de famille a donc opté pour la voiture en dernier recours. Une situation qui ne surprend pas Bruno Marzloff : "Si dans les grands centres urbains, la possession de la voiture et la pratique de la voiture quotidienne deviennent obsolètes, la possession et la pratique de la voiture continue de croître dans le rural et dans le périurbain."

"La voiture, c'est un gain de temps"

Jérémy, 28 ans, habite à Ergué-Gaberic (Finistère). Tous les jours, il emprunte sa voiture pour se rendre à 5 km de là, à Quimper, où il travaille. En auto, il fait ce trajet en moins de 10 minutes. En bus, c'est trois fois plus long. "Pour des raisons donc de temps principalement, je privilégie ma voiture", dit-il.

Je ne suis pas réfractaire au bus mais il faudrait raccourcir le temps de trajet.

Jérémy

à franceinfo

A vélo, il mettrait 25 minutes pour se rendre sur son lieu de travail. Un temps plus long qui ne l'effraie pas. Se décrivant comme "plutôt sportif", il a déjà essayé de faire le trajet à vélo. Mais les tentatives n'ont pas été concluantes. "Sur le trajet, il n'y a aucune piste cyclable, c'est assez dangereux", raconte-t-il. Jérémy explique que les rues du centre-ville de Quimper sont "trop étroites" et qu'il n'y a pas d'espace pour que les voitures et les vélos puissent cohabiter sur la chaussée. Résultat : son vélo reste au garage. C'est pourtant un mode de déplacement qu'il apprécie. "J'ai habité à Brest et dès que j'allais quelque part, je prenais facilement mon vélo car il y a des aménagements", souligne-t-il.

Bruno Marzloff pense que le vélo représente un "gisement de mobilité sous-exploité". Le sociologue préconise des mesures pour encourager son utilisation, telles que "l'aménagement d'infrastructures pour garantir le confort de circulation et la sécurité des cyclistes (comme l'évitement de grands carrefours) et le développement de vélos électriques pour soulager les utilisateurs".

Quand on parle de pistes cyclables, quand on parle de parking à vélos, ce sont des investissements qui sont dérisoires par rapport aux dizaines de milliards d'euros nécessaires pour la mise à niveau des actuels moyens de transport.

Bruno Marzloff

à franceinfo

Outre les infrastructures et les questions d'urbanisme, le spécialiste des mobilités estime que nos habitudes de déplacement et notre façon de penser sont également à reconsidérer. "Le télétravail permet d'éviter des déplacements, de gagner du temps. Aujourd'hui, le cadre juridique existe, l'appétence des travailleurs existe également mais nous n'en sommes qu'aux prémices", constate-t-il, pointant un frein du côté des employeurs. "Les entreprises sont réticentes, elles estiment que c'est une perte de pouvoir de laisser le travailleur organiser lui-même son travail", résume-t-il. "Là, on est dans l'ordre du culturel", souffle Bruno Marzloff, laissant entendre que la route est encore longue.

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