Prix des carburants : "Nous payons aujourd'hui notre retard", estime un spécialiste de la transition énergétique des transports
Confronté à une explosion des prix à la pompe, le gouvernement a décidé en urgence d'accorder une remise de 15 centimes par litre d'essence pendant quatre mois. Pour le chercheur Aurélien Bigo, cette mesure de court terme illustre un échec flagrant.
Les grands moyens. Face à la flambée des prix des carburants, provoquée par la guerre en Ukraine, le gouvernement a décidé de financer une remise de 15 centimes par litre d'essence à la pompe. Une décision d'urgence pour soulager le budget des ménages, mais qui coûtera 2 milliards d'euros à l'Etat et ne durera que quatre mois.
Une solution coûteuse et temporaire, donc, alors que ce n'est pas la première fois que la France se retrouve confrontrée à de telles hausses des prix de l'essence. Pour le chercheur Aurélien Bigo, auteur d'une thèse sur la transition énergétique des transports, cette crise illustre "encore une fois le retard et le manque d'ambition dans la transition énergétique de toutes ces dernières années". Il appelle à des mesures de long terme pour éviter de se retrouver dans la même situation dans quelques mois ou quelques années.
Franceinfo : Que pensez-vous de cette mesure gouvernementale sur le prix des carburants ?
Aurélien Bigo : Il y a un côté inévitable et un côté un peu opportuniste par rapport à l'élection présidentielle. C'était inévitable d'apporter une réponse aux craintes sociales sur le budget des ménages. Toute la difficulté, c'est de réussir à mettre en place des mécanismes qui sont socialement bien ciblés. Ce n'est pas le cas en l'occurrence. Cette baisse est valable pour tout le monde, donc aussi bien pour des personnes très précaires, qui en ont vraiment besoin, que pour des personnes riches qui vont utiliser aussi l'essence pour des trajets de loisirs.
Ces mesures ne doivent pas non plus limiter la transition énergétique des transports. Je regrette qu'une nouvelle fois, les décisions à ce jour ne prennent pas le problème à la base et n'agissent pas sur la réduction de la dépendance au pétrole. C'est pourtant le passage obligé de la transition énergétique, que ce soit pour des raisons climatiques, pour des raisons de santé, avec la pollution atmosphérique, ou que ce soit pour des raisons sociales, de résilience, avec la dépendance au pétrole.
Ce qu'il aurait fallu faire, au-delà d'une aide par rapport au coût des carburants, ce sont aussi des mesures qui permettent d'accélérer la transition énergétique, autant que possible, pour permettre à un maximum de personnes de sortir de cette dépendance et réduire les consommations de pétrole. Quinze centimes de rabais ne les sort pas du tout de la dépendance. Ce n'est pas une solution de long terme ou même de moyen terme, et c'est sûrement inadapté pour les personnes les plus modestes.
Que pouvait faire le gouvernement face à cette crise ?
Le problème, quand on arrive dans une période de crise et qu'on doit gérer l'urgence, c'est que beaucoup des leviers de décarbonation des transports ont un impact à moyen ou long terme. Ce qu'on paye aujourd'hui, c'est encore une fois le retard et le manque d'ambition dans la transition énergétique de toutes ces dernières années.
"Il y a eu les deux chocs pétroliers des années 70, la flambée des prix du pétrole précédant la crise financière de 2008, la crise des gilets jaunes... Si on avait agi plus sérieusement et avec plus d'anticipation face à ces crises et à l'urgence climatique, nous serions bien moins vulnérables aujourd'hui."
Aurélien Bigoà franceinfo
Nous payons le manque d'ambition sur ces sujets. Donc, dans ce contexte de crise où on espère sortir de la dépendance du pétrole en quelques semaines alors que c'est un projet sur plusieurs décennies, les moyens d'actions sont forcément assez limités ou imparfaits. Il y a cependant tout un tas d'accélérations qu'on peut mettre en place. Mais elles ne permettront pas de résoudre toutes les vulnérabilités, donc c'est là qu'il peut y avoir besoin de soutien financier pour les plus précaires.
Quelles sont ces mesures ?
Elles sont de plusieurs types. Sur la demande de transports, le gouvernement aurait pu planifier une modération des déplacements, avec le télétravail, comme avec le Covid-19. A moyen terme, il y a également des choses à faire. Par exemple, le gouvernement annonce un mécanisme plus ciblé pour les "gros rouleurs". Si on prend le problème à la base, il faut commencer par se demander qui sont ces gros rouleurs et que peut-on faire pour qu'ils sortent de cette dépendance aux longs trajets en voiture, pour recréer plus de proximité. Aujourd'hui, on se pose assez peu ces questions-là. Pourtant, on peut trouver des réponses, comme le fait la start-up 1km à pied avec les entreprises multisites.
Sur le report modal [le changement de mode de transport], pendant la crise du Covid-19, les communes avaient accélérée la mise en place des aménagements cyclables, ce qui devrait être remis sur la table. En Nouvelle-Zélande, le gouvernement a également diminué de 50% les prix des transports en commun [en complément d'une réduction sur les carburants à la pompe, comme le détaille le New Zealand Herald]. Quand on pense aux 2 milliards dépensés pour cette remise [celle de 15 centimes sur le litre d'essence], on peut imaginer tout un tas d'autres politiques publiques : extension du forfait mobilité durable en entreprise, aides pour le covoiturage...
Sur l'efficacité énergétique, il y a le seul levier de court terme : les 110 km/h sur les autoroutes. C'est la seule mesure qui, du jour au lendemain, baisse les consommations de pétrole et nos émissions de gaz à effet de serre de manière significative. Pour toutes les autres solutions citées précédemment, il y a une certaine inertie avant qu'elles entraînent des baisses de consommation de pétrole à un niveau significatif. Les premières limitations de vitesse (130, 110, 90) ont été mises en place en 1974 après le premier choc pétrolier, et la mise en place des radars n'est pas pour rien dans la baisse des émissions des transports au début des années 2000. Ce qui montre bien que c'est une mesure qui peut être pertinente.
Cette mesure avait été très critiquée lorsque la Convention citoyenne l'avait proposée...
Son acceptabilité sociale est limitée. Les derniers sondages que j'ai vus donnaient un peu moins de 50% d'opinions favorables à cette mesure, il n'y a pas non plus 80% de la population contre [selon les chiffres de l'Ademe, qui sonde chaque année depuis 2004 les Français sur cette mesure, le pourcentage de personnes favorables a oscillé entre 56% (2008) et 34% (2014), pour s'établir à 42% en 2021].
Contrairement à une taxe carbone qui peut faire tomber dans la précarité certaines personnes, la limitation à 110 km/h, c'est un peu de perte de temps, mais cela entraîne des économies pour les ménages, ce sont même des économies. Si on reste dans la limitation des vitesses, la limitation à 30 km/h favorise, indirectement, les modes de transport actifs comme le vélo ou la marche, en rendant ces derniers plus sûrs.
"Le dernier levier, c'est le passage à l'électrique. Il peut y avoir tout un tas d'aides pour favoriser la conversion à l'électrique. Celles qui existent actuellement ne sont pas toujours très bien ciblées et n'encouragent pas toujours les véhicules les plus vertueux."
Aurélien Bigoà franceinfo
Il faudrait privilégier des véhicules plus légers, qui sont aussi moins chers. Peu de ménages ont accès au marché du neuf et il y a un surcoût à l'achat pour l'électrique. En terme de coût global et à l'usage, la voiture électrique est déjà compétitive par rapport à la thermique, mais elle demande un investissement de base qu'il faut pouvoir faire. Il n'y a clairement pas de solution parfaite. Il est indispensable d'accélérer dès aujourd'hui certains de ces leviers qui pourront avoir des impacts significatifs, dans quelques semaines, quelques mois et donner progressivement des solutions à une partie de la population.
Une fois que cette remise sur les prix des carburants arrivera à son terme, comment voyez-vous la suite ?
Pour la remise, cela dépendra de ce que donnera l'élection présidentielle. Le gouvernement actuel a annoncé que s'il était toujours aux manettes, il y aurait un dispositif plus ciblé à partir de fin juillet. C'est important que cela soit davantage ciblé à l'avenir.
Il y a une grande incertitude sur l'évolution de la crise et des prix du pétrole. Le pire, ce serait de dire qu'elle va passer et qu'on peut continuer comme aujourd'hui, à notre rythme largement insuffisant pour la transition énergétique. Il faut se préparer à ce que les prix restent à des niveaux élevés ou que cela continue à augmenter.
"Il faut anticiper les possibles dispositifs qui peuvent être mis en place et éviter que ce soit de l'argent public qui finance les pays producteurs de pétrole comme la Russie. C'est financer le problème qu'on essaye de combattre actuellement."
Aurélien Bigoà franceinfo
A chaque fois qu'il y a une crise, nous sommes toujours dans le même type de dispositif de court terme pour amortir et, à chaque fois, on retombe dans nos travers. Si certaines mesures de la Convention citoyenne pour le climat avaient été mises en place, nous aurions déjà pu réduire certaines vulnérabilités et gagner en résilience. Le changement climatique était déjà une raison suffisante pour changer nos habitudes de transport. Là, à très court terme, nos transports financent en partie un conflit. C'est une raison supplémentaire pour se questionner sur cette dépendance au pétrole.
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