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Énarque, fan de rap et roi du bras de fer... Mathias Vicherat, le porte-parole de la SNCF dont l’ascension va bon train

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Mathias Vicherat arrive à l'Elysée, le 15 septembre 2017, pour une cérémonie en l'honneur de l'attribution des Jeux olympiques à Paris en 2024. (CHRISTOPHE MORIN / MAXPPP)

A 39 ans, le directeur adjoint de la compagnie publique ferroviaire est placé sous le feu des projecteurs en tant que porte-parole en pleine période de grève.

En rêve-t-il le matin en taillant avec soin sa barbe rousse ? Ancien directeur de cabinet de la mairie de Paris, Mathias Vicherat apparaît, à 39 ans, comme un successeur crédible à Guillaume Pepy, l'indétrônable patron de la SNCF depuis une décennie. La grève déclenchée par les syndicats de cheminots contre la réforme de la compagnie ferroviaire sera-t-elle son épreuve du feu ? Elle le place, en tout cas, en première ligne en tant que porte-parole de l'entreprise. Issu, à l'instar d'Emmanuel Macron, de la promotion Léopold Sédar Senghor de l'ENA, le directeur général adjoint de la SNCF chargé du projet d'entreprise et de la communication possède quelques atouts pour succéder à l'actuel PDG, qui partira au plus tard en 2020...

"Il a choisi le service public, pas le privé"

Petite singularité par rapport à nombre de ses camarades de l’Ecole nationale de l’administration : Mathias Vicherat est né en Seine-Saint-Denis. Le futur énarque a poussé son premier cri le 26 mai 1978 aux Lilas, commune qui toise Paris du haut de la colline de Belleville, dans l'ex-banlieue rouge. Éducatrice spécialisée, sa mère fut d'ailleurs "longtemps communiste", rapporte Le Figaro. Ancien cadre de la Fnac, son père codirige désormais les éditions Utopia, qui défendent des convictions écologiques et solidaires. Bon sang ne saurait trahir : à Sciences Po Paris, le jeune Mathias monte une section de l'organisation altermondialiste Attac. A l'occasion, pendant la même période, de 2000 à 2002, il fournit des éléments de langage au cabinet du ministre de l'Enseignement supérieur, Jean-Luc Mélenchon, dont il admire "l'intelligence et la verve", selon Libération.

Cet engagement à gauche ne s'est jamais démenti, affirment en chœur ses amis. "En choisissant de travailler à la SNCF, il a choisi le service public, pas les capitaux privés", assène Gaspard Gantzer, ancien camarade de l'ENA et ex-conseiller de la communication de François Hollande. D'autres s'en font l'écho en termes moins technocratiques. Le fondateur du collectif de défense des quartiers populaires Pas sans nous, Mohamed Mechmache, se souvient de sa rencontre avec Mathias Vicherat "lors des révoltes sociales en 2005, quand il était sous-préfet à Bobigny". "Je l’ai vu aller à la rencontre des enfants, des familles à Clichy-sous-Bois. On est devenu amis. On a des points communs : l’approche pragmatique dans la lutte contre les inégalités, les injustices", raconte-t-il.

Il est différent des autres énarques que j’ai pu rencontrer. Pour moi, c’est quelqu’un de simple et c’est cette simplicité qui est attachante.

Mohamed Mechmache

à franceinfo

Soirées arrosées avec Emmanuel Macron

Cette "simplicité" ferait quasiment oublier son côté énarque. C'est pourtant loin d'être un détail, car le jeune homme doué a intégré la promotion Léopold Sédar Senghor (2002-2004), devenue prestigieuse avec l'accession à l'Elysée d'un des siens, Emmanuel Macron. Dans son livre-enquête Les Jeunes Gens (éd. Grasset), Mathieu Larnaudie cite Mathias Vicherat blaguant à propos des apparitions du chef de l'Etat sur le grand écran télé de son bureau :

Parfois, je lève les yeux, et lorsque je vois Emmanuel serrer la main de Poutine alors que je suis en train de régler des problèmes de TER, je me dis que j'ai raté ma vie professionnelle

Mathias Vicherat

dans "Les Jeunes Gens"

"Rater sa vie professionnelle" : l'expression est moqueuse mais les liens de jeunesse avec le président ne sont pas feints. "Entre 2002 et 2004 se forme un petit groupe : ce sera celui des amitiés solides, explique Mathieu Larnaudie à Paris Match. Autour d’Emmanuel Macron, il y a Aurélien Lechevallier, Mathias Vicherat, Aymeric Ducrocq, Frédéric Mauget, Gaspard Gantzer et Sébastien Jallet. On enchaîne les 'moments mémorables'." Et l'auteur d'évoquer les matchs de foot, les soirées à l’Académie de la bière, un bar strasbourgeois, et les karaokés au Bunny’s Bar. Si Emmanuel Macron connaît la variété française sur le bout des doigts, Mathias Vicherat, lui, est un fin connaisseur du rap, auquel il a consacré un essai : Pour une analyse textuelle du rap français (éd. L'Harmattan). Et leurs relations aujourd'hui ? "Ils sont toujours amis, et chacun est dans son rôle", précise un proche.

Au plus proche des attentats du 13-Novembre

Mais la vie ne s'arrête pas dans les winstubs à colombages du bord de l'Ill. Comme les précédentes, la promo Senghor s'empresse de quitter l'Alsace pour la capitale. Après sa sortie de l'ENA et quatre années passées à la préfectorale, Mathias Vicherat rejoint en 2008 Frédéric Péchenard à la direction générale de la police nationale. Entre le sous-préfet de gauche et le grand flic proche de Nicolas Sarkozy, le courant passe. Au point que l'actuel vice-président de la région Ile-de-France ne tarit pas d'éloges sur son ancien conseiller technique. "S'il a des défauts ? Plein : il est jeune, beau, vif et sympa, rigole l'élu des Républicains. Au boulot, il est remarquable. Professionnellement top. Je retravaillerai avec lui sans hésiter."

Cette collaboration s'achève lorsque Mathias Vicherat rejoint en 2010 la municipalité de Paris. Il dirige alors le cabinet du maire, Bertrand Delanoë, puis celui d'Anne Hidalgo. Un poste qui lui vaudra, le 13 novembre 2015, de vivre de près la nuit d'horreur du Bataclan, où il arrive vingt minutes après la prise d’otages.

C’était vraiment très dur, on a vu des gens mourir sur le trottoir. On s’est mis en mode automatique.

Mathias Vicherat

à "Libération"

"Pendant un mois et demi, j’ai été à la tête de la cellule de crise, un rythme absolument dingue. Ça a laissé des traces, je ne sais pas lesquelles", confie-t-il au quotidien.

Le goût des paillettes et de la lumière

A cette époque, il vit déjà avec la journaliste Marie Drucker, de quatre ans son aînée. En avril 2015, le couple a eu un enfant prénommé Jean, comme feu son grand-père maternel, Jean Drucker, PDG d'Antenne 2, puis de M6. Mathias Vicherat refuse d'évoquer sa vie privée avec la présentatrice, mais il est difficile d'échapper à la presse people lorsque son nom est accolé à une dynastie audiovisuelle aussi célèbre.

Mathias Vicherat et Marie Drucker assistent à la finale de Roland-Garros, le 5 juin 2016. (MARTIN BUREAU / AFP)

Le signe chez ce fringant jeune homme d'un goût pour les paillettes et la lumière ? Sous couvert d'anonymat, un de ses anciens condisciples le confirme. "Il battait froid une partie de la promo et ne fréquentait guère les élèves venus par le concours interne [réservé aux agents publics] ou issus du troisième concours de l'ENA [réservé aux élus, responsables associatifs...]", affirme-t-il.

Il était très 'beautiful people', copain avec les jolies filles et les mecs bien fringués, qui avaient une surface sociale.

Un ancien de la promotion Senghor

à franceinfo

Logiquement, le natif des Lilas s'est lié avec quelques-uns de ces "enfants de la balle", fils ou petit-fils d'énarques et de ministres qui peuplent encore largement l'ENA. En 2006, au château du Clos de Vougeot en Bourgogne, il est, relate Mathieu Larnaudie, l'un des témoins du mariage de Sibyle Petitjean et Sébastien Veil, petit-fils de Simone, tous deux futurs conseillers de Nicolas Sarkozy. Lors du discours d'usage pendant la cérémonie, il fait allusion à leurs affinités politiques par une plaisanterie qui va jeter un froid : "Et si [vos futurs enfants] n'ont pas l'ENA, ils pourront toujours vendre des Kärcher !"

"Je pense qu'il ferait un bon politique"

En janvier 2017, le quasi-quadragénaire quitte la mairie de Paris pour devenir directeur général adjoint de la SNCF, où il est chargé de la communication. Il rejoint ainsi un empire qui a dépassé en 2017 les 33 milliards d'euros de chiffre d'affaires, formant un "groupe tentaculaire de 250 000 salariés, présent d'Aurillac à Hyderabad [en Inde]", notent Les Echos. Fort de ce parcours, Mathias Vicherat est propulsé en 4e position du classement Choiseul 2018 (PDF) des "100 leaders économiques de demain".

La grève a projeté en pleine lumière ce directeur général adjoint, qui a noué des liens avec le conseiller de Paris Didier Le Reste, ancien secrétaire général de la CGT cheminots de 2000 à 2010, réputé pour ses positions inflexibles lors des négociations. Connaît-il aussi bien les syndicalistes actuels ? "On l'a découvert récemment, ironise l'un d'eux. Il est au premier plan depuis que nous, nous le sommes avec la grève." Une bonne occasion pour les syndicats de le tester ?

Je vais vous dire quelque chose que vous ne savez peut-être pas : il est champion de bras de fer, il a même battu le numéro 2 du Raid. Ça lui sera peut-être utile avec les cheminots !

Frédéric Péchenard

à franceinfo

C'est oublier que Mathias Vicherat n'est pas chargé des négociations, mais de la communication. Il joue d'ailleurs de tous les canaux médiatiques. Pour défendre les cheminots, mais aussi la réforme vis-à-vis d'un public jeune, il répond aux questions du site Konbini. Ou il dément, sur son propre compte Twitter, "les erreurs ou approximations" contenues dans une publicité payée par une association ultralibérale, à propos des retraites au sein de la SNCF.

Eviter d'avoir un train de retard est dans la logique de sa trajectoire. Les énarques, a-t-il expliqué à Mathieu Larnaudie, sont virtuoses dans l'art de penser à "la phrase d'après" dans un discours. Ils songent aussi à la phase d'après, même si le jeune directeur, à l'orée de ses 40 ans, se dit "investi à 100% à la SNCF pour accompagner la réforme actuelle". A-t-il les épaules – ou l'envie – qui lui permettront de succéder à Pepy ? Ou se fraiera-t-il une autre voie ? "A titre personnel, explique Mathieu Larnaudie, je pense qu'il ferait un très bon politique. Mais s'il s'engage en politique, c'est pour être actif, pas pour végéter. Les leviers de pouvoir, c'est ça qui l'excite."

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